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ENTRETIENS 25 avril 2024

Gautier Capuçon,
le bonheur de partager

© Michael Tammaro

En plein Ă©panouissement, le jeune violoncelliste Gautier Capuçon embrasse la carrière de musicien sous toutes ses facettes, du rĂ©pertoire solo Ă  la musique de chambre en passant par le rĂ©pertoire concertant, le tout sans exclusive. Rencontre avec un artiste qui a la passion de partager, et dont Virgin publie l’enregistrement des concertos de Dvořák et Herbert.
 

Le 23/02/2009
Propos recueillis par GĂ©rard MANNONI
 



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  • Votre dernier disque chez Virgin Classics est consacrĂ© Ă  deux concertos pour violoncelle et orchestre, l’un très connu, celui de Dvořák, l’autre presque inconnu, celui d’Herbert. Pourquoi les avoir rĂ©unis ?

    Des liens forts unissaient ces deux compositeurs. Ils Ă©taient très amis et Dvořák s’inspira mĂŞme de l’orchestration du concerto d’Herbert pour le sien. De formation europĂ©enne traditionnelle, les deux hommes travaillèrent aussi en AmĂ©rique puisque Dvořák y composa son concerto. Herbert a fait de la musique de comĂ©die musicale pour Broadway, pour le cinĂ©ma et les Ziegfield Follies, des chansons, et mĂŞme un autre concerto pour violoncelle dont il est d’ailleurs presque impossible de trouver aujourd’hui la partition.

    Ces donnĂ©es historiques ont leur importance, mais ce n’est pas ce qui m’a d’abord poussĂ© Ă  rassembler les deux Ĺ“uvres sur un mĂŞme disque. C’est parce que j’aime ces deux concertos. Chez Dvořák, le violoncelle est totalement roi. C’est un peu la pièce maĂ®tresse de notre rĂ©pertoire. On le travaille très tĂ´t, on le joue souvent en examen, en concours, mais c’est une pièce qui reste vraiment très forte. Il commence par un tutti de plusieurs minutes et ensuite, quelle entrĂ©e formidable pour l’instrument !

    J’aime aussi beaucoup le concerto d’Herbert que j’ai dĂ©couvert dans l’interprĂ©tation de Yo-Yo Ma, que j’ai travaillĂ© au Conservatoire et jouĂ© en concert. C’est un concerto de violoncelliste, plus lĂ©ger que celui de Dvořák dont il n’a pas la puissance, mais chez l’un comme chez l’autre on se trouve dans cette intĂ©ressante pĂ©riode de transition entre deux siècles. Dvořák est mort en 1904 et Herbert en 1924, des temps oĂą le postromantisme s’éteint mais perdure encore et oĂą la modernitĂ© s’annonce avec plus ou moins de force selon les Ă©coles et les personnalitĂ©s.

    L’écriture du premier mouvement de Dvořák est très moderne Ă  cet Ă©gard. Quand nous avons choisi d’enregistrer Dvořák avec Paavo Järvi, je lui ai donc proposĂ© de faire aussi Herbert, ce qu’il a d’emblĂ©e acceptĂ©.

     

    Au stade où vous en êtes de votre très belle carrière, où se trouve le plus grand plaisir ? Dans le partage qu’implique la musique de chambre, dans le rôle de soliste des suites de Bach par exemple ou dans celui de virtuose des grands concertos ?

    Je n’ai aucune préférence. Ce qui importe pour moi est le bonheur de partager la musique. Aujourd’hui, la recherche de la perfection technique prend beaucoup le pas sur le reste. Tous les instrumentistes peuvent jouer les œuvres les plus ardues à la demande mais on oublie trop la musique. Pour progresser, pour rester au meilleur niveau technique, on doit forcément travailler, mais il faut songer d’abord au bonheur et à la chance qu’on a de faire de la musique et de la partager.

    C’est cela qui m’importe avant tout, qu’il s’agisse d’un trio de Brahms ou de Schubert, du concerto de Dvořák ou de Schumann ou des suites de Bach. Ce sont des Ĺ“uvres diffĂ©rentes, qui exigent une prĂ©paration diffĂ©rente et qui gĂ©nèrent des Ă©motions diffĂ©rentes, mais je veux avoir du bonheur en les jouant.

    Aujourd’hui, il est vrai que je peux de plus en plus choisir ce que je veux jouer et c’est vraiment un luxe car la musique est pour moi un bonheur partagé. Je ne peux pas imaginer de jouer sur scène avec un musicien avec lequel je ne m’entende pas ou à qui je n’ai rien à dire, même dans la vie. Parfois, c’est impossible et on doit faire des compromis, mais de manière exceptionnelle et ponctuelle.

     

    On dit parfois que le répertoire du violoncelle n’est pas très vaste, mais n’avez-vous des horizons infinis avec la musique de chambre que vous aimez et pratiquez beaucoup ?

    La musique de chambre est un champ d’action immense, mais celui des concertos est beaucoup plus vaste qu’on ne le croit. Beaucoup d’entre eux sont hélas méconnus et jamais joués, sans doute à cause d’une certaine frilosité des organisateurs qui craignent d’effaroucher le public avec des œuvres peu connues.

    On prétend constater une baisse de fréquentation du public. Je n’y crois pas du tout. Bien au contraire. Certaines salles sont moins pleines parce qu’il y a beaucoup plus de concerts. Ne serait-ce qu’à Paris, beaucoup de salles en affichent tous les soirs : Pleyel, les Champs-Élysées, le Châtelet, le Louvre, Orsay, Gaveau, la Cité de la Musique, sans compter les églises !

    En rĂ©gions, la frĂ©quence est moindre mais les concerts sont toujours pleins. Certains programmateurs craignent pourtant d’afficher certains compositeurs, comme Elgar, peu jouĂ© en dehors de la Grande Bretagne. En revanche, Chostakovitch, Dvořák, Schumann n’effraient personne. Notre rĂ©pertoire de concertos est loin d’être restreint si l’on veut bien le considĂ©rer sans exclusives.

     

    Est-ce que dans une ville comme Paris, le public n’est pas de toute façon attiré par la célébrité d’un soliste plus que par le titre d’une œuvre ?

    Ce n’est pas faux. Un soliste célèbre court relativement peu de risques en affichant une œuvre mal connue ou un compositeur jugé trop difficile ou trop contemporain. Certains programmateurs savent cependant prendre des risques. Je vais par exemple jouer bientôt à Lausanne la Symphonie concertante pour violoncelle et orchestre de Britten, œuvre splendide mais quasiment jamais jouée. C’est une partition géniale, composée pour Rostropovitch qui l’a créée.

     

    Comment arrive-t-on à bâtir une équipe de musique de chambre comme celle que vous formez avec Renaud, Nicholas Angelich, Frank Braley, Gérard Caussé notamment ?

    Ce sont des envies communes, notamment celle de bâtir quelque chose. Sur scène, on vit une relation très intime. C’est pourquoi j’ai du mal à m’ouvrir vraiment avec quelqu’un avec qui je ne m’entends pas, avec qui le dialogue ne passe pas. Je n’arrive pas à me donner. Dès l’instant où l’on a un vrai rapport en profondeur, on a envie d’aller plus loin, de s’investir, pour le bonheur de se retrouver et de faire de la musique ensemble, de mûrir certaines œuvres.

    Je pense aux Brahms, aux Schubert qu’on a beaucoup joués, enregistrés et qu’on continuera à jouer. À titre individuel, on n’a jamais fini de découvrir ces musiques, mais quand on peut le faire ensemble, c’est une chance incroyable ! Certains artistes n’ont pas forcément ce désir et préfèrent changer régulièrement de partenaires.

    Dire qu’il est impossible de mener à la fois une carrière de soliste et une carrière de chambriste avec une même équipe n’est pas exact. Quand on veut, on peut, avec naturellement des galères d’emploi du temps et de planning, mais si on veut trouver des plages de répétition, on les trouve toujours. Quand on a un vrai projet musical, on trouve des solutions.

     

    Avec vos partenaires habituels, qu’avez-vous en commun ?

    Nous avons les mêmes motivations, le même bonheur à se retrouver, à jouer ensemble et continuer à prolonger notre bonheur après le concert, en dînant ensemble, en discutant. Nous ne sommes pas un cas d’espèce dans notre génération. D’où le renouveau et la multiplication assez récente des concerts de musique de chambre un peu partout.

     

    Êtes-vous prêt à jouer tous les répertoires, du baroque au contemporain ?

    Je n’ai a priori aucune exclusive. Parfois on doit faire des compromis, ou tenter des expériences qui ne marchent pas forcément. Mais je n’ai pas répertoire de prédilection. Cependant, pour donner et partager une musique, il faut qu’elle me parle. Parfois je viens de la découvrir et j’ai tout à apprendre. Je dois trouver mes marques. Parfois certaines musiques ne me plaisent pas, ou je ne les comprends pas. On ne peut pas tout comprendre. Peut-être les comprendrai-je plus tard ? Peut-être jamais ! Mais j’ai besoin d’avoir un certain contact avec une œuvre. C’est ma seule règle pour les œuvres de toutes les époques.

     

    N’y a-t-il aucun compositeur que vous n’osiez pas aborder, comme c’est le cas pour certains pianistes qui attendent la maturité pour aborder par exemple Bach ?

    Le rapport des violoncellistes avec Bach est particulier car nous le jouons très tôt. Nous abordons dès le début ses sarabandes et autres pièces du même type. On se sent proche de lui et en même temps, il nous effraie un peu. En revanche, j’ai abordé tard l’Arpeggione de Schubert et le concerto de Schumann que je joue beaucoup maintenant, et je vais jouer l’Arpeggione en tournée avec Frank Braley l’année prochaine.

    Je n’ai que 27 ans mais ils sont entrés tard dans mon répertoire par rapport à d’autres œuvres. J’avais ce rapport un peu frileux avec eux. La première phrase du concerto de Schumann est tellement naturelle et délicate pour le vibrato, l’intensité du son, la direction de la phrase, que je peux passer trois heures dessus et vingt minutes sur le reste de la partition.

     

    Finalement, est-ce que la maturité existe pour les interprètes ? L’expérience montre souvent que les premiers enregistrements d’un soliste ou d’un chef ne sont en rien inférieurs à ceux de leur fin de carrière. Herbert von Karajan en est un exemple frappant.

    La maturitĂ©, cela veut dire quelque chose et en mĂŞme temps, cela ne veut rien dire. On mĂ»rit tous. On change, oui, mais pas forcĂ©ment en bien. Je ne jouerai pas forcĂ©ment mieux Ă  cinquante ans que maintenant. Si vous prenez les quatre ou cinq enregistrements du concerto de Dvořák par Rostropovitch, ce n’est pas nĂ©cessairement le dernier que l’on va prĂ©fĂ©rer. On prĂ©fère très souvent les versions de jeunesse. Les approches sont diffĂ©rentes, il y a des changements, mais pas forcĂ©ment ce que l’on peut appeler un progrès. Cela correspond Ă  une Ă©volution.

    Ce qui reste important, c’est le moment oĂą l’on se sent prĂŞt Ă  jouer une Ĺ“uvre. Dans ce que nous faisons, il y a bien sĂ»r beaucoup de travail mais aussi beaucoup d’instinct. Qu’est-ce qui est trop tĂ´t ou trop tard ? Pas facile Ă  dire. J’ai jouĂ© Dvořák en concert avec Paavo Järvi et on a eu envie de l’enregistrer ensemble, sans se poser trop de questions pour savoir si c’était bien stratĂ©giquement de le faire maintenant ou plus tard. On a eu envie de continuer Ă  partager par le disque le bonheur que nous avions eu au concert.

     

    Êtes-vous maître de votre carrière discographique ?

    Avec Virgin, on est extrêmement libre. C’est l’une des dernières maisons qui a le même boss depuis plus de vingt ans, qui suit ses artistes, qui a une grande fidélité envers eux. On parle naturellement de nos envies, dans un vrai dialogue. Je vient d’enregistrer les Variations Rococo et le Prokofiev avec Gergiev, en direct, dans l’enthousiasme, mais sans aucune pression, sur la lancée d’un moment de partage formidable.

    Naturellement, toutes les firmes de disques ont des problèmes économiques et on ne peut non plus se lancer dans n’importe quoi. Il faut bien accepter certaines conditions de marketing. Mais on ne m’a absolument rien imposé pour tous les disques que j’ai faits.

     

    Est-ce que pour vous chaque concert reste une fĂŞte ?

    Le concert est un moment unique, que je ressens si fort que j’ai toujours du mal à décrire ces émotions. Oui, c’est un moment de fête, avec le public, avec les partenaires. Tout sauf la routine, même si l’on joue trois soirs de suite le même concerto avec le même chef, ce n’est jamais pareil. J’aime beaucoup la vie et ce que je veux, c’est garder ce bonheur, cette fête. La musique pour moi, c’est ça !




    À écouter :

    Concertos de Dvorak et Herbert, Orchestre symphonique de la Radio de Francfort, direction : Paavo Järvi, Virgin Classics.

     

    Le 23/02/2009
    GĂ©rard MANNONI


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