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ENTRETIENS 20 avril 2024

Paavo Järvi, une immersion beethovénienne
© Sheila Rock

Avec la Deutsche Kammerphilharmonie de Brême dont il est directeur musical, Paavo Järvi, qui prendra en 2010 la direction musicale de l’Orchestre de Paris, vient donner du 28 au 30 mars l’intégrale des symphonies de Beethoven au Théâtre des Champs-Élysées. Une expérience rare, une immersion beethovénienne exceptionnelle de trois jours.
 

Le 11/03/2009
Propos recueillis par Gérard MANNONI
 



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  • Vous venez donner à Paris les neuf symphonies de Beethoven avec la Deutsche Kammerphilharmonie de Brême. Pourquoi ce choix d’une intégrale ?

    Nous avons donné pour la première fois le cycle complet à Tokyo, puis nous l’avons enregistré. Je collabore avec la Kammerphilharmonie de Brême depuis dix ans, d’abord comme chef invité puis comme directeur musical, et à chaque concert que nous avons donné ensemble figurait une symphonie de Beethoven. En effet, dès mon premier contact avec cette formation, j’ai tout de suite vu qu’elle serait parfaitement à adaptée à ce répertoire. Nous avons travaillé, réfléchi, discuté, approfondi et finalement enregistré.

    À Tokyo, nous avions effectué une sorte de résidence de trois jours avec ce cycle. Ce fut un grand succès. Pas seulement un succès public, mais une expérience passionnante et enrichissante pour nous. Cela va bien au-delà de l’excitation que représente pareil défi, même si elle est indéniable. C’est une confrontation qui vous révèle beaucoup non seulement sur la musique mais sur vous-même.

    Nous avons abondamment échangé, car l’orchestre pratique l’autogestion de manière très démocratique, et tout le monde peut exprimer son opinion. Ces échanges nous ont permis de constater combien ce travail nous avait tous fait changer, évoluer. Nous avons ensuite donné le cycle à Strasbourg.

    Maintenant, ce sera à Paris et puis à New York, à Salzbourg, à Varsovie. Cela n’a rien d’un gadget, d’un cirque ambulant ni d’un truc pour attirer le public. C’est une expérience de concentration extrême pour les spectateurs et l’orchestre, avec toute la pression mise sur un compositeur particulier. J’en ressens très bien les effets quand nous rejouons une symphonie isolée. Il y a une autre densité, une intimité bien plus grande et authentique avec l’œuvre.

     

    Jouez-vous les symphonies dans l’ordre ?

    Dans l’idéal, on devrait les donner dans l’ordre, mais en fait, nous n’avons pas de règle. Nous les avons enregistrées dans l’ordre, mais au mixage, il a été jugé préférable de les coupler différemment, de façon à ce qu’il y ait sur chaque disque une grande symphonie et une un peu moins populaire.

    Ainsi on trouve la 2e avec la 6e, la 1re avec la 5e, la 3e avec la 8e, la 4e avec la 7e. La 9e symphonie est toute seule. C’est une décision d’ordre pratique, proposant sur chaque disque une symphonie qui sert d’appât. Ce serait un risque de lancer un disque avec la 1re et la 2e.

    En public, c’est différent. Je pense que les personnes intéressées par la totalité du cycle préfèrent les aborder dans l’ordre chronologique. Ainsi, à Paris nous donnerons le samedi les numéros 1, 2 et 3, le dimanche les numéros 4 et 5, puis 6 et 7, et enfin le lundi les numéros 8 et 9, les deuxième et troisième concerts ayant lieu le même jour, l’un à 15h, l’autre à 20h.

     

    Quand on voit une grande exposition consacrée à un peintre, la vision globale permet de beaucoup mieux comprendre le détail de chaque toile, de mieux apprécier le travail des débuts quand on voit du même coup celui de la fin, et vice versa. En est-il de même avec une intégrale comme celle des symphonies de Beethoven ?

    Exactement. Certains rapports qui ne sont pas du tout évidents deviennent soudain très clairs dans cette perspective. Il se passe en outre quelque chose de particulier chez les interprètes quand ils sont placés dans une situation aussi extrême. Nous considérons souvent comme acquis un certain nombre d’éléments sans nous poser davantage de questions, mais brusquement, on se dit en jouant une des premières symphonies où l’on pensait ne plus rien avoir à découvrir : « Tiens, voilà d’où vient ce qui se trouve dans telle symphonie plus tardive ! Â» Et cela peut changer notre approche de l’une comme de l’autre. Car nous avons fait en amont un énorme travail préparatoire qui a servi de base à la traduction émotionnelle de la musique.

     

    Considérez-vous que toutes les symphonies sont égales ?

    Il y a incontestablement une rupture après la 2e. L’Héroïque est un vrai choc, mais elle est quand même liée aux deux premières. Tout dépend de l’importance que l’on veut accorder à l’authenticité historique, autrement dit au style de l’époque précise de leur création.

    Je ne suis pas intéressé par l’authenticité en tant que telle. Nous ne travaillons pas comme cela. Ce qui me passionne avec cet orchestre, c’est que ses musiciens sont très savants, très informés historiquement. Ce sont des chercheurs, mais pour aller au-delà de ces préoccupations et explorer des voies radicalement différentes de ce que l’on considère comme évident et acquis.

    La première fois que j’ai entendu la 2e symphonie, c’était un disque de Bruno Walter, que j’ai trouvé fabuleux de sensibilité, de poésie, d’expression. C’est jugé aujourd’hui dans un tempo bien trop lent, mais je trouve que justement, il ne faut pas hésiter à prendre ce genre d’options. Furtwängler est certainement celui qui a le mieux compris ces problèmes, mieux que la plupart de ceux qui travaillent sur les reconstitutions baroques.

    Je n’ai rien contre, car j’ai moi-même appris avec eux et ils font un travail très important, mais il y a une voie médiane à trouver qui corresponde à la sensibilité actuelle. On ne peut pas recréer l’état d’esprit ni le contexte sonore de ces époques éloignées où tout était si différent. Nous ne saurons jamais exactement comment cela sonnait à l’époque. Le contexte sonore général, l’acoustique des lieux, la qualité d’écoute du public étaient autres et sont impossibles à reconstituer aujourd’hui de façon valable.

    Il faut en revanche rechercher le plus profondément possible la qualité et la nature de l’émotion exprimée. Le plus important n’est pas que le public quitte le concert en se disant que c’était intéressant, mais qu’il parte en ayant vécu profondément l’expérience émotionnelle contenue dans l’œuvre. Ce n’est pas différent de l’approche d’une symphonie de Bruckner ou de Mahler.

    On a sans doute joué souvent Beethoven avec des orchestres trop lourds. On le joue souvent aujourd’hui avec des orchestres trop légers, mais le problème n’est pas là. Dans tous les cas, c’est la vraie compréhension du mouvement général, du tempo, de la vie profonde de la musique qui importent.

     

    En donnant un cycle comme celui-ci, essayez-vous de montrer ce que ces symphonies ont en commun ou au contraire ce qui les différencie ?

    Notre démarche n’est pas du tout de montrer quelque chose, mais seulement d’interpréter au mieux la symphonie que nous jouons. Nous avons enregistré toutes les symphonies, nous les jouons sans cesse, séparément ou ensemble, mais nous travaillons chaque répétition avec le même esprit de découverte.

    Nous changeons continuellement des accents, des équilibres. C’est un travail sans fin, uniquement possible avec des musiciens qui ont dépassé le stade de la connaissance, du savoir, pour ne plus se référer qu’à l’instinct, à la sensibilité. Les musiciens de Brême en sont à ce stade dans ce répertoire. Nous expérimentons sans cesse.

    Il y a des indications sur les partitions qui n‘ont jamais été respectées par personne, parce qu’on les jugeait inutiles a priori, ou inadéquates. Nous les essayons, pour voir ce que cela donne, pour tâcher de comprendre pourquoi elles sont écrites, et nous en tirons nos conclusions.

    Notre travail de base, notre point de départ est de toujours coller au maximum à la partition, ce qui ne veut pas dire que nous nous y tenons. Mais c’est là-dessus que s‘appuie notre réflexion et notre sensibilité. Ensuite, la musique nous conduit. Il ne faut pas rester accroché au métronome. La musique est vivante.

     

    Quand vous avez commencé un cycle de concerts avec la 1re symphonie et que vous en arrivez à la 9e, avez-vous l’impression d’avoir accompli un voyage menant du XVIIIe siècle finissant au cœur du romantisme ?

    Il se passe certainement quelque chose de cet ordre. La 9e est sans conteste beaucoup plus romantique que la 1re. Néanmoins, je pense qu’elle est en général mal comprise. On y voit un message de fraternité, de croyance en une égalité universelle. C’est dans l’œuvre, on ne peut le nier. Mais je pense que d’une certaine manière, Beethoven n’y croit pas vraiment, qu’il s’efforce d’y croire sans y parvenir.

    Dans le Finale en particulier, on trouve dans l’écriture beaucoup d’éléments un peu absurdes, des passages de bel canto à l’italienne ou des interventions instrumentales qui n’existent absolument nulle part ailleurs chez Beethoven, comme s’il ne savait pas comment s’y prendre pour faire passer un message auquel il ne croit guère.

    C’est un langage musical en grande partie inhabituel chez lui et assez gauche, comme s’il se forçait à trouver le moyen de traduire des idées auxquelles il sait devoir croire tout en constatant qu’elles sont contradictoires avec la réalité telle que la vivent ses contemporains et sans certitude que cela s’améliore dans le futur. Jusqu’à cette précipitation de la fin qui est carrément névrotique.

    Je ne veux pas dire que le message du texte ne passe pas dans la musique, mais qu’il y a aussi une autre dimension, celle d’un doute, le sentiment que la réalité de l’expérience humaine est bien moins flatteuse que cela, même si nous souhaitons tous aller dans cette direction.

     

    Nous aurons l’occasion de reparler de votre rapport à l’Orchestre de Paris quand vous en prendrez effectivement la direction musicale en 2010, mais d’ores et déjà, pouvez-vous dire dans quel esprit vous avez accepté ce poste ?

    Depuis que je dirige, et cela fait une bonne vingtaine d’années, je dois dire que certaines des expériences les plus excitantes que j’ai vécues l’ont été avec l’Orchestre de Paris, et pas toujours dans le répertoire où l’on s’y attendait. Je pense en particulier à la 2e symphonie de Nielsen, qui n’est pas a priori dans la culture traditionnelle française, mais que les musiciens ont joué de manière fabuleuse. C’est un orchestre qui a une forte personnalité, une personnalité de soliste, et c’est toujours avec ces formations-là que l’on peut obtenir les résultats les plus gratifiants.




    À voir :
    Intégrale des symphonies de Beethoven par la Deutsche Kammerphilharmonie Bremen, sous la direction de Paavo Järvi, Théâtre des Champs-Élysées, Paris, les 28, 29 et 30 mars.

     

    Le 11/03/2009
    Gérard MANNONI


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