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ENTRETIENS 24 avril 2024

Frans Brüggen, un musicien authentique
© Eric Sebbag

Flûtiste de renommée internationale, Frans Brüggen a redonné ses lettres de noblesse à la flûte à bec et largement contribué à la renaissance de la flûte baroque. Aujourd'hui, il a pourtant définitivement tiré un trait sur sa carrière de soliste pour se consacrer
exclusivement à la direction d'orchestre.

 

Le 01/11/1999
Propos recueillis par Eric SEBBAG
 



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  • Vous avez aujourd'hui abandonné la flûte. Quels souvenirs gardez-vous de votre carrière de soliste ?

    C'était une période fantastique mais c'est presque une autre vie.

     
    A la flûte à bec, on dit que vous n'aviez pas votre pareil pour déchiffrer une partition d'orchestre en virevoltant d'une portée à l'autre. Est-ce à l'origine de votre goût pour la direction d'orchestre ?

    C'est vrai, j'aimais faire cela mais c'était pour essayer d'avoir une vue d'ensemble de la musique avec un pauvre instrument monodique. Je ne l'analyse pas comme une causalité. J'étais d'abord instrumentiste, j'aimais la sensation physique de la flûte, j'étais d'abord un souffleur

     
    En tant que chef, êtes-vous démocrate ?

    Oui, j'essaie toujours de justifier tous mes points de vue sur une partition, de sorte qu'ils ne soient pas perçus comme des diktats. Mon souci majeur est toujours de trouver la concertation

     
    Vous avez déclaré vous sentir proche de Furtwaengler, qu'admirez-vous dans sa direction ?

    J'ai dit cela ? A vrai dire, je n'ai pas l'impression qu'il m'ait influencé. Sans prétention, ni orgueil, il y a peu de chefs dont je me sens réellement proche. En revanche, l'écoute de mes collègues me semble toujours instructive.

     
    Chez les chefs issus du mouvement baroque, il y a une tendance à rendre le moindre détail de la partition apparent. Est-ce toujours nécessaire, dans Schubert par exemple ?

    Oui, je le crois. Pour moi, une exécution n'est jamais assez claire. Si le compositeur a pris la peine de donner des détails, il faut les lui rendre.

     
    Mais un compositeur est-il toujours le plus qualifié pour exprimer la manière dont son oeuvre doit être jouée ? Stravinski dirigeant sa propre musique n'offre-t-il pas un démenti ?

    Pour Beethoven, les documents historiques montrent qu'il était sans aucun doute le plus qualifié. Pour les autres, on manque trop souvent d'éléments et on ne peut que l'espérer

    La question est différente avec Stravinski, sa présence et son enthousiasme motivaient probablement les musiciens, mais l'orchestre Columbia Symphony Orchestra n'était tout simplement pas à la hauteur. Son style “super-américain” convenait mal à l'esprit de cette musique.

     
    Vous dirigez fréquemment des orchestres modernes, mais contrairement à Harnoncourt, vous n'avez jamais enregistré avec eux. Pourquoi ?

    Je considère ce travail comme une mission éducative. Certes, la conception de l'oeuvre est plus importante que les instruments, d'ailleurs leur sonorité ne compte que pour, disons 20%, mais je suis très attaché à ces 20% là.

     
    En ce cas, estimez-vous, comme votre collègue Jos van Immerseel, que Nikolaus Harnoncourt commet une faute de goût en enregistrant Schubert ou Beethoven avec un orchestre moderne ?

    Pour Harnoncourt, le problème ne se pose pas en ces termes. Le Concentus Musicus est un orchestre soudé qui dispose d'un effectif trop restreint pour ce répertoire. Si son effectif devait être augmenté ponctuellement, il perdrait de sa cohésion.

     
    En abordant une nouvelle partition, sur quoi votre attention se porte-t-elle en premier ?

    Il y a énormément d'éléments à prendre en compte mais j'examine en priorité la question des tempi et de la durée des notes. La notation musicale est assez lâche sur ce point, pour chaque note écrite, on peut envisager facilement dix durées différentes. C'est pourquoi je conseille aux jeunes musiciens d'apprendre à analyser les partitions le plus précisément possible, mais surtout de devenir compositeur eux-mêmes lorsqu'ils lisent la partition.

     
    Vous dirigez assez régulièrement le répertoire contemporain. Comment analyser vous son manque de succès auprès du public ?

    C'est quelque chose qui m'attriste beaucoup. J'ai l'impression que la culture musicale dominante est devenue très conservatrice, très bourgeoise. Le public semble avoir perdu le goût de l'aventure. La programmation des concerts, des radios et bien sûr des télévisions est souvent frileuse. Pourtant, il y a beaucoup de grand “héros” dans la musique d'aujourd'hui, il y a votre Boulez, notre Andriessen, l'immense Stockhausen
    Bien sûr, comparé à l'époque baroque, la musique contemporaine a perdu son ancrage dans les musiques populaires, mais cela ne me paraît une explication suffisante et je n'en ai pas d'autres.

    Le public semble avoir perdu le goût de l'aventure.

     
    Pour Rameau ou Beethoven, de nombreux témoignages relatent que la musique était capable de déclencher des émotions intenses comme les larmes ou l'effroi, la musique a-t-elle perdu ce pouvoir ?

    La distance entre les compositeurs et le public s'est considérablement agrandie. Mozart ou Haydn composaient finalement pour un public assez restreint. Aujourd'hui, c'est peut-être le cinéma qui provoque le plus facilement ce genre de manifestations émotives. De notre côté avec l'orchestre du XVIIIe, nous essayons de jouer chaque oeuvre comme s'il s'agissait d'une création. Nous espérons ainsi lui rendre un peu de sa force émotionnelle et son pouvoir de surprise initial.

     
    Quels sont les compositeurs qui dominent votre panthéon musical ?

    Oh, cela change chaque jour. Une fois Bach, une fois Mozart, Beethoven, Haydn
    Pour le moment, c'est Bruckner.

     
    Dirigez-vous des oeuvres de ce compositeur ?

    Non, ce n'est pas mon répertoire. D'autres le font très bien à mon goût. En revanche, je prépare trois oeuvres pour cordes de Stravinski avec l'orchestre du XVIIIe siècle. Il s'agit d'Apollon Musagète, du Concerto en Ré et de In memoriam Dylan Thomas. Je pense que nous pouvons apporter une meilleure précision des cordes avec moins de vibrato et une sonorité plus transparente.

     
    Stravinski sur instruments anciens, c'est une première !

    Oui, mais cela vaut seulement pour ces trois compositions à la manière du passé. D'autres compositions de Stravinski, comme Pulcinella ou Rake's Progress, sont aussi néo-baroques ou néo-classiques, mais ne conviennent pas à notre orchestre. Elles sont d'ailleurs très bien restituées avec les orchestres modernes.

     
    La volonté actuelle de restituer les musiques du passé sans les remettre au goût du jour ne peut-elle être interprétée comme un signe de décadence ?

    Je ne le pense pas. A mon avis, il y a deux attitudes possibles : soit ne jouer que la musique de compositeurs vivants que l'on peut rencontrer et questionner; soit jouer aussi des compositeurs du passé, mais en ce cas, il faut tout faire pour se rester fidèle à leurs intentions. On oublie que la musique est aussi un instrument de connaissance du passé, au même titre que la peinture ou l'architecture. Dans toutes les disciplines, les oeuvres me semblent d'autant plus fortes que leur proximité avec leur état originel est grande. En transformant l'oeuvre d'un génie, on lui manque de confiance.

    On oublie que la musique est aussi un instrument de connaissance du passé, au même titre que la peinture ou l'architecture

     
    Donc Mendelssohn trahit Bach en le réinterprétant


    Mendelssohn a des excuses, il ne disposait pas de notre technologie documentaire
    Cela dit, je ne crois pas que son “nettoyage” de la Passion selon St Matthieu soit idéal. Sa version est moins au service du rite religieux que d'une beauté extérieure.

     
    Pourriez-vous donner une définition du génie en musique ?

    Je crois qu'un génie doit tourner les notes trois fois dans sa tête avant de les écrire. Un génie doit pouvoir justifier précisément ce qu'il veut et pourquoi il le veut. Je pense que Bach est dans ce cas, mais aussi Mozart qui savait prévoir assez précisément l'effet de sa musique sur le public. Et il y a bien sûr Beethoven, Haydn
    mais je ne vais pas tous les citer.

     
    Le terme de génie peut-il s'appliquer aux interprètes ?

    De temps en temps, mais pour quelques secondes privilégiées seulement !

     
    Dernière question, il y a une publicité qui résume votre travail par un mot, "l'authenticité", qu'en pensez-vous ?

    Il y a deux manières de tomber sur un champ de bataille : la première, c'est la statue de Lénine sur la place rouge mis à bas par les moscovites; la seconde, c'est celle d'un soldat terrassé dans le feu de l'action, moi. Mais Lénine, même en bas de son piédestal, on ne peut que le contempler, alors que l'on mon corps, on peut le toucher. C'est donc le cadavre le plus authentique !

     

    Le 01/11/1999
    Propos recueillis par Eric SEBBAG


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