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ENTRETIENS 20 avril 2024

Les Fées se penchent sur Marc Minkowski
© Philippe Gontier

Prévoyance et anticipation : tels sont les mots-clé qui reviennent dans le discours de Marc Minkowski. Ils expliquent l’activité inouïe que déploie ce chef à la curiosité et au savoir encyclopédiques. À peine terminées les Noces de Figaro au TCE, le voilà dans la fosse du Châtelet pour une œuvre scéniquement jamais représentée en France, les Fées de Wagner.
 

Le 27/03/2009
Propos recueillis par Nicole DUAULT
 



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  • L’anticipation, c’est un maître mot pour vous ?

    Oui, un chef est toujours dans l’anticipation : ce qui va se passer dans un mouvement, pendant une répétition. Ce que j’aime, c’est mélanger anticipation et improvisation. Ce que j‘aime encore, c’est vivre dans un renouvellement permanent d’atmosphères différentes, c’est-à-dire s’imprégner de styles divers comme les réalisateurs de cinéma ou les metteurs en scène de théâtre que j’envie fortement. Ils sont moins étiquetés que les chefs d’orchestre. J’essaie de prendre modèle sur eux.

     

    Catalogué pendant longtemps musicien baroque, comment êtes vous arrivé à en sortir ?

    J’ai l’étiquette baroque, celle de la musique légère, l’étiquette de l’opéra également. Mais désormais, programmateurs et public savent que j’aime faire des choses différentes. Ils me font confiance. On peut se laisser griser par la nouveauté. Je montre aussi que j’ai du plaisir à ne pas perdre mes racines et à y revenir comme au basson, mon instrument que je rejoue de temps en temps.

    Le nouveau pour moi, c’est quelque chose à quoi je pense depuis longtemps. Ainsi, la musique contemporaine vers laquelle je vais doucement mais sûrement, celle de John Adams, d’Olivier Grief qui font partie de ma vie. Et puis, il y a Wagner. J’ai dirigé un Vaisseau fantôme en Hollande avec une petite compagnie, il y a dix ans, pour me frotter à cet univers. C’est comme Bach. Il me faut attendre un peu. On me reproche de ne pas refuser assez de choses. J’ai refusé Tristan ainsi que le Ring. Je me suis posé beaucoup de questions.

    Il y avait d’autres projets, Meyerbeer, par exemple, une de mes grandes passions, père spirituel autant qu’ennemi de Wagner, est alors arrivé sur ma table de travail. J’avais la possibilité en même temps de faire Tristan de Wagner et Robert le diable de Meyerbeer à Berlin. Je me suis senti plus prêt pour Meyerbeer que pour Wagner.

    Pour Bach, j’ai attendu des années : cela fait partie de ma culture puisqu’en temps que bassoniste je l’ai beaucoup joué, mais tant de chefs et d’interprètes célèbres sont de vraies références que j’ai estimé qu’il n’y avait pas d’urgence. J’ai dirigé les œuvres essentielles d’Haendel et Rameau. Bach, père fondateur, offre des chefs-d’œuvre qui m’attendent. J’ai côtoyé Verdi, Mozart, Beethoven, Offenbach, Brahms, Schubert. Wagner est un carrefour.

     

    Vous voilà donc dans la fosse du Châtelet pour les rarissimes Fées, méconnues autant des spécialistes que du public ?

    Les Fées sont la continuité des ouvrages allemands que j‘ai joués. Elles ont été données en concert par Radio France en 1967. Quelques spectacles ont eu lieu en concert, en Allemagne, à la BBC, à Vienne en 1981 avec Gundula Janowitz. Wagner lui-même faisait parfois jouer l’ouverture, seule pièce qu’il considérait encore dans cette partition et qu’il avait transcrite pour piano à quatre mains. Les Fées sont une rareté absolue, car il y a un tel fanatisme vis à vis de Wagner que comme a rejeté cette partition ses adorateurs la rejettent également, sans discernement.

     

    Quelle est l’originalité des Fées ?

    C’est une œuvre de trois heures de musique totalement achevée. Wagner a 20 ans, mais ce n’est pas une ébauche d’adolescent. C’est une œuvre sur un livret transposé d’une pièce de Gozzi. Quelle frustration cela a-dû être pour un jeune homme tel que lui, après tant de travail, de voir son ouvrage refusé ? La déception a été telle que peut-être ensuite a-t-il préféré répondre à des commandes. C’est ce qui s’est passé avec la Défense d’aimer et avec Rienzi.

    Je pense que les Fées, plus inspirées, moins lourdes, sont un ouvrage supérieur à ceux-là. Il y a tout son style et tout son tempérament. Il en a offert le manuscrit à Louis II de Bavière en espérant qu’il resterait dans sa bibliothèque. Et après la mort de Wagner, l’ouvrage, qui a passionné Richard Strauss, a été monté à Munich malgré la réticence de Cosima. Ce fut tellement intéressant qu’il n’a pas été retiré de l’affiche, mais il ne s‘est jamais imposé : c’est un Wagner totalement différent de tout ce que l’on connaît après.

    Il demande des techniques vocales classiques, ardues dans le chant, dans le style de Weber et du Fidelio de Beethoven, soit une tessiture très tendue y compris pour les rôles secondaires que l’on ne retrouve pas dans ses ouvrages de la maturité. Certes, c’est une œuvre féerique qui avec ses naïvetés est très critiquable. Mais il y a le génie et le souffle de Wagner.

    Mitridate, Idoménée ont mis longtemps à s’imposer dans le répertoire mozartien. Il a fallu du temps pour en comprendre les clés, l’intérêt et le cheminement. Pour moi, les Fées sont une œuvre passionnante, très émouvante et visionnaire dans le traitement de la soprano et du ténor, qui vont devenir Tristan et Brünnhilde. Orchestralement, le style de cette musique est wagnérien mais avec encore une solide attache classique et beethovénienne.

    Le présenter comme nous le faisons sur instruments de l’époque est fondamental pour comprendre les sonorités acérées, pointues, pleines de contrastes que Wagner avait dans la tête. Ce qui est important, c’est le traitement de l’héroïne qui est d’un lyrisme immense, d’une mélancolie et d’une simplicité renversantes qui font penser à Schubert. Tout d’un coup, retrouvailles avec le prince, duo d’amour explosif et au deuxième acte, couple qui passe par des épreuves où l’on sent déjà Brünnhilde.

    L’écriture orchestrale est foisonnante avec des influences de tous les côtés, du Beethoven dont les concertos pour piano sont dans sa tête, il y a Weber, Mozart, Gluck, du lyrisme et une puissance inconnue dans l’opéra allemand de cette époque. On sent encore le mythe du sacrifice pour l’autre, quelque chose du mythe d’Orphée.

     

    Est-ce un ouvrage difficile pour l’orchestre ?

    Très difficile. On est tout le temps en action, sans un moment de répit. Parfois, chez Wagner, on a de longues plages avec de la musique un peu lente, je pense à Parsifal. Là, on est dans une fébrilité permanente avec l’œuvre d’un jeune homme et dans le romantisme allemand proche de Weber. Le récitatif accompagné est ce qu’il y a de plus difficile à diriger, mais j’ai été bien formé avec Gluck.

    Nous avons collecté des instruments romantiques allemands de cette époque avec des trompettes et des cors à palettes trouvés chez des collectionneurs et des antiquaires. Un exemple : le hautboïste Stéphane Moreau a fait faire une copie d’un hautbois viennois. Avec ces instruments, on fait un voyage dans le temps.

     

    À travers toutes vos activités, vous aimez à dire que vous retrouvez vos racines. Quelles sont-elles ?

    Mes racines sont multiples. Mes racines polonaises sont une moitié de moi-même puisque l’autre vient des États-Unis. Ma grand-mère était une violoniste américaine de grand talent. Son mari, mon grand père, était tchèque. J’ai autant de racines américaines que tchèques et polonaises. Cette famille américaine venait d’Angleterre, des amiraux de la reine Victoria, installés en Amérique.

    Ma culture est totalement française. Si ma mère est américaine, mon père, le professeur Minkowski, était tout à fait français, avec des sympathies polonaises, juives, catholiques. La famille de ma mère est catholique. Diriger Wagner a pour moi beaucoup de sens. Je veux me souvenir que Wagner, avant d’être détourné dans des idéologies atroces, a été un artiste, un grand romantique allemand. Dans un bain cosmopolite culturel, je me sens tout à fait français.




    À voir :
    Les Fées, de Richard Wagner, mise en scène : Emilio Sagi, direction : Marc Minkowski, Théâtre du Châtelet, du 27 mars au 9 avril 2009.

     

    Le 27/03/2009
    Nicole DUAULT


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