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ENTRETIENS 28 avril 2024

Mathias Heymann, jeunesse et talent

Nommé à 22 ans danseur Étoile de l’Opéra national de Paris à l’occasion de l’entrée au répertoire d’Onéguine de John Cranko où il dansait Lenski, Mathias Heymann était une évidence depuis son entrée dans le Corps de ballet dont il a gravi les échelons à une vitesse record. Rencontre avec un surdoué raisonnable et modeste.
 

Le 24/04/2009
Propos recueillis par Gérard MANNONI
 



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  • Étoile à 22 ans, même si c’était attendu, n’est-ce pas soudain un poids bien lourd à porter ?

    J’ai plutôt ressenti comme un soulagement d’être arrivé à ce titre qui est quelque part notre rêve à tous. Comme une récompense et une reconnaissance, aussi. Y arriver jeune va me permettre d’en profiter et d’avoir le temps de l’assumer. Je sais que certains emplois ne seront désormais plus pour moi. J’ai adoré danser les pas de trois, par exemple. Un petit regret qui se mélange au bonheur. Mais c’est ce dernier qui prime quand même !

     

    Votre progression dans le Corps de ballet a été très rapide. Quadrille en 2004, Coryphée en 2005, Sujet en 2006, Premier Danseur en 2007, Étoile en 2009… Cela ne donne-t-il pas un peu le vertige ?

    Tout s’est passé très vite, mais j’ai quand même le sentiment d’avoir appris beaucoup. Je sais que j’ai encore beaucoup à apprendre. J’ai quand même rencontré des difficultés, avec des problèmes physiques qui m’ont handicapé et qui viennent d’une mauvaise gestion de mon travail, de ma façon d’envisager la scène, de l’interprétation des rôles. Je dois peaufiner tout cela. En fait, je me suis toujours laissé porter par les événements, sans trop chercher à comprendre ce qui se passait. J’en profitais au maximum, mais sans me rendre compte que tout allait vite.

     

    Avez-vous toujours eu les qualités qui vous ont mené à cette rapide ascension qui renoue avec une époque un peu révolue où les nominations se faisaient tôt ?

    Je ne les ai pas toujours eues. J’ai commencé la danse assez tard, à 10 ans. Les premières années m’ont paru très dures. Pendant quatre ou cinq ans, à Marseille, j’ai beaucoup lutté avec mon corps. J’étais petit, avec des rondeurs d’adolescent. J’ai grandi tard. Rien n’était très facile. J’ai travaillé, transpiré, fait des sacrifices. Je savais qu’il fallait cela pour y arriver et mes parents me soutenaient beaucoup.

    J’ignorais pourtant tout du métier de danseur et même de l’Opéra de Paris car j’ai passé toute mon enfance en Afrique. J’en revenais quand j’ai commencé la danse. J’adorais le spectacle, les costumes, mais sur des musiques particulières du fait que nous avions vécu au Sénégal et à Djibouti. Petit, j’aimais me déguiser, maquiller ma mère, faire des spectacles pour ma famille. Je pense que c’est cela qui m’a mené à la danse.

    Dès que j’ai commencé, mon père m’a montré des vidéos de Barychnikov, Carlos Acosta, Manuel Legris, Laurent Hilaire, et cela me fascinait. J’avais envie de faire pareil. J’étais têtu. Quand je commençais quelque chose, je tenais à aller au bout pour ma satisfaction personnelle. Cela s’est transformé en perfectionnisme. La danse à tout rassemblé.

     

    Quand êtes-vous entré à l’Opéra ?

    J’avais dépassé la limite d’âge pour entrer à l’École, mais Claude Bessy m’a pris en 2001 comme élève payant pendant deux ans. Puis j’ai fait la première division. C’était un grand changement pour moi car à Marseille où j’avais débuté, je prenais deux cours par semaine, pas plus.

    Élisabeth Platel m’avait parlé de l’École au court d’un stage de danse qu’elle faisait à Nîmes, mais j’étais très impressionné de me trouver brusquement dans un contexte aussi professionnel. J’ai eu un temps d’adaptation assez long, même si dès que j’ai mis un pied dans le studio j’ai compris que c’était là que je devais être. Quand on arrive dans un groupe déjà homogène, ce n’est pas facile de s’intégrer immédiatement, mais je n’aurais donné ma place pour rien au monde.

     

    Entré dans le Corps de ballet en 2004, vous avez tout de suite dansé dans les grands titres du répertoire et très vite, dès 2006, dans des rôles de demi-soliste et de soliste. Quelles étaient alors vos principales motivations ?

    En fait, j’ai toujours senti le besoin de progresser, ne serait-ce que d’un point de vue technique. Il y a eu des rôles et puis des rencontres. 2006 fut une année particulièrement importante. Je suis monté Sujet et j’ai dansé plusieurs premiers rôles importants, Basile dans Don Quichotte, Colas, dans la Fille mal gardée et Lucien d’Hervilly dans Paquita. En fait, trois rôles d’Étoile. Avec Don Quichotte, c’était la première fois que j’avais à interpréter un personnage et pas seulement à faire des pas. Une expérience forte, un choc, car je devais m’investir en tant qu’artiste.

    Je l’ai revécu récemment avec Giselle que j’ai dansé à Monte-Carlo. Découvrir ces personnages, se découvrir soi-même à travers eux, c’est pour moi une motivation première. J’apprends sans cesse, notamment avec ceux qui nous entourent, Brigitte Lefèvre, Laurent Hilaire, Manuel Legris. J‘écoute leurs conseils, je les garde, je m’en sers. Avancer, progresser, apprendre, j’y pense sans cesse.

     

    Vous avez une bonne vingtaine d’années de carrière d’Étoile devant vous. À l’heure actuelle, quel type de répertoire vous attire le plus ? Êtes-vous plutôt Lac des cygnes ou Preljocaj ?

    Pour l’instant, je me sens beaucoup plus attiré par l’univers du Lac des cygnes, de la Bayadère, de la Belle au bois dormant, de Giselle. Je ne prends jamais autant de plaisir qu’en dansant classique. J’ai découvert récemment la danse contemporaine avec Wayne McGregor. Une belle rencontre, mais je préfère profiter de mes années de jeunesse et de bonne forme physique pour exploiter au maximum le répertoire classique. Cependant, je ne ferme pas les portes de la polyvalence. Je ne refuserai pas un ballet si je me sens capable de le faire ou si je veux voir si j’en suis capable.

    Je ne me suis encore jamais identifié à aucun grand danseur dont la carrière me semblerait idéale, mais j’ai regardé beaucoup de vidéos, des grandes stars comme Noureev, Bujones auquel je pourrais davantage m’identifier à cause des influences hispaniques qui ne me sont pas étrangères non plus. Carlos Acosta et Vassiliev m’ont aussi marqué par leur puissance. J’admire aussi certains danseurs de la nouvelle génération comme Manuel Legris qui m’a fait découvrir beaucoup, mais j’avoue bien aimer me plonger dans le passé.

     

    Comment allez-vous mener votre carrière ? En acceptant beaucoup d’invitations ?

    En fait, je suis un peu pris de vitesse car je ne pensais pas être nommé si tôt. J’avais l’intention de continuer à me concentrer sur les progrès que je dois faire à travers le travail de la compagnie. Mais je me suis toujours senti enrichi par les expériences que j’ai pu faire à l’extérieur de l’Opéra.

    Il y a beaucoup d’excellents danseurs un peu partout dans le monde et il doit être passionnant de voir d’autres styles, d’autres physiques. Regarder, participer ponctuellement, cela me tentera évidemment, mais sans que l’Opéra cesse pour autant d’être l’axe premier de mes activités et de mon travail. Je n’ai que 22 ans et je ne peux me permettre de m’éparpiller, d’autant que nous avons à l’Opéra mille occasions de rencontres et d’expériences sur place.

     

    Un danseur n’a pas beaucoup de temps libre. Mais si vous avez une soirée à vous, qu’en faites-vous ? Cinéma, un dîner entre amis, une pièce de théâtre ?

    En priorité, un dîner avec des amis. Quand on est Corps de ballet, on a peu de temps pour soi car on fait quasiment tous les spectacles. Depuis que j’étais Premier Danseur, j’avais des emplois du temps moins serrés et je pouvais davantage aller au cinéma. Je viens de voir aussi l’exposition Warhol au Grand Palais.

    J’avoue mal connaître pour l’instant le monde du répertoire lyrique, même si une belle voix m’émeut, mais j’aime surtout les voix des chanteuses afro-américaines. On en revient toujours au même problème, celui de mon âge : je n’ai pas eu le temps encore d’approfondir certains domaines culturels. Pourtant tout ce qui crée une émotion m’intéresse car cela peut servir dans notre art.

     

    Après Lenski dans Onéguine de Cranko, comment va se poursuivre la saison pour vous ? Avez-vous des idées aussi sur ce que vous ferez l’an prochain ?

    Je vais refaire Colas dans la Fille mal gardée. L‘année prochaine, je n’ai pour l’instant que des envies. J’aimerais beaucoup refaire Albrecht dans Giselle. Et puis Rubies, dans Jewels de Balanchine et le Spectre de la rose dans le spectacle Ballets Russes de décembre, qui tombe en même temps que Casse-Noisette. Ce sera à Madame Lefèvre de trancher ! Ensuite, on reprendra la Dame aux Camélias où j’espère être à nouveau Des Grieux, rôle que j’aime beaucoup. Et aussi le Coppélia de Patrice Bart. Ce ne sont pas les tentations qui vont me manquer !

     

    Le 24/04/2009
    Gérard MANNONI


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