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ENTRETIENS 02 mai 2024

Le romantisme naĂŻf de Christophe Rousset

2009, année Haydn ? Sans doute au disque, avec quelques parutions majeures, mais si peu dans les salles de concert – et que dire des théâtres d’opéra ? Au moins le Théâtre des Champs-Élysées aura-t-il osé, faute de raretés, la Création en novembre et les Saisons, que les Talens Lyriques défendront le 11 juin prochain.
 

Le 29/05/2009
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



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  • Pourquoi Haydn demeure-t-il un compositeur tabou auprès des programmateurs ?

    Il souffre de cette fameuse image de « bon papa Haydn Â» que tout le monde rĂ©vère sans l’aimer vraiment. Sans doute cela provient-il de sa position chronologique. Contemporain de Mozart, de Beethoven, il reste dans leur ombre, bien qu’il les ait prĂ©cĂ©dĂ©s et inspirĂ©s.

     

    Inspirateur, précurseur, et même inventeur, tant dans le domaine de la symphonie que du quatuor.

    Il fut, plus que tout autre, un expérimentateur prolifique, mais peut-être cela l’a-t-il justement desservi, du moins de son vivant. La cour des Esterházy le tenait à l’abri de la concurrence, et il n’avait pas besoin de produire des œuvres particulièrement retentissantes. Vivant dans une bulle artistique, il innovait pour lui, faisait des expériences pour son orchestre.

    Ce sont certainement les œuvres qu’il composa pour Paris et pour Londres qui sont les plus éclatantes, puisqu’il s’y retrouve confronté au monde. C’est pourquoi sa musique reste difficile d’accès. Elle est en général très chérie des musiciens, parce que très instrumentale, agréable à jouer, pleine d’esprit, de joie, de trouvailles, mais ne passe pas toujours la rampe. La Création et les Saisons sont des œuvres tout à fait exceptionnelles dans la production de Haydn.

     

    C’est en entendant les oratorios de Haendel à Londres que lui vint l’idée d’écrire la Création, encouragée par le baron Gottfried van Swieten qui adapta le livret en allemand. En quoi Haydn dépasse-t-il son modèle ?

    La dimension baroque est évidente, et pas seulement à travers l’idée même de l’oratorio. Mais s’y ajoute l’apport symphonique de Haydn, dont l’écriture n’est plus, comme celle de Haendel, à l’appui de la vocalité. Les mélodies sont jolies mais relativement simples, et même volontairement naïves dans les Saisons, avec une nature non plus arcadienne, mais déjà romantique. Le caractère descriptif de la musique tient le plus souvent du clin d’œil à l’héritage baroque, car le thème abordé, la façon dont les effets sont mis en scène et dont la musique se développe appartiennent à l’univers romantique, bien que la langue de Haydn demeure classique.

     

    Parmi les qualités que nul ne saurait nier à sa musique, il en est une qui la singularise, son humour. Comment faut-il l’exprimer ?

    Que ce soit au théâtre, à l’opéra ou dans la musique d’une façon générale, l’humour est une chose fragile, qu’il faut manipuler avec beaucoup de soin. Dès qu’on le souligne, il perd tout à fait son sens et son piquant. Il faut le prendre avec beaucoup de tendresse, et essayer de le livrer avec le plus de naïveté possible. Beaucoup de choses, dans la formulation musicale, sont dites avec le sourire plutôt qu’un grand sérieux. Il n’y a pas autre chose à faire que de leur laisser l’espace d’exister.

     

    Les Saisons plus encore que la Création ne font-elles pas regretter que Haydn ait cessé de composer des opéras ?

    Les opéras de Haydn sont essentiellement en italien, mais la Création et surtout les Saisons portent une empreinte typiquement germanique qui m’évoque d’ailleurs plus souvent Schubert que Mozart. Ce ne sont pas tant la vocalité et le lyrisme qui font défaut à Haydn, que ce génie dramatique qu’avaient Monteverdi, Haendel et Mozart – de même que je ne suis pas absolument sûr qu’avec toutes ses qualités, Fidelio soit un chef d’œuvre théâtral. Beethoven essaie autre chose dans l’opéra. Le propos de Haydn dans l’oratorio est tout aussi personnel, et difficilement comparable à autre chose, sinon à Haendel pour ce qui est du genre et de la forme, mais sûrement pas à Mozart.

     

    Vous qui êtes le champion de ces compositeurs oubliés ou du moins négligés que sont Jean Chrétien Bach, Jommelli, Traetta, ne pensez-vous que les opéras de Haydn méritent justement un semblable traitement de choc ?

    Lorsque j’ai ouvert une partition de Traetta, j’ai été stupéfait, et j’ai immédiatement décelé son sens dramatique – Haydn ne s’y est d’ailleurs pas trompé, puisqu’il a dirigé du Traetta à Esterháza. Jamais encore je n’ai été ébloui par les opéras de Haydn, mais peut-être changerai-je un jour d’avis.

     

    Ses deux derniers oratorios ne révèlent-ils pas certaines qualités dramatiques ?

    Leur propos est narratif. Il y a certes des effets, des petits coups de théâtre, quelques récitatifs accompagnés, mais relèvent-ils pour autant d’une dramaturgie ? Le texte n’est pas censé être un développement qui amène à un dénouement, une catastrophe particulièrement passionnants, mais il est magnifiquement mis en images sonores. Ceci ne pas constitue une limite, mais une caractéristique de l’œuvre.

    Il s’agit simplement de se laisser guider par le génie incontestable qu’est Haydn dans ces œuvres de la grande maturité. Haendel est une exception, car l’oratorio n’est pas avant tout dramatique. C’est une œuvre de concert, qui requiert de se concentrer sur la musique et le texte. La distinction n’est pas si évidente à saisir pour un public d’aujourd’hui, d’autant plus que certains oratorios de Haendel sont mis en scène – ce dont je suis partie prenante. Mais cette confusion des genres ne doit pas être considérée comme la norme.

     

    Vous répétez ces Saisons dans un lieu plutôt inhabituel, le gymnase du Collège Varèse.

    Il s’agit de notre troisième intervention dans ce collège du XIXe arrondissement. Durant les trois jours de répétitions, les élèves sont les bienvenus, et ils entendent, même s’ils ne sont pas forcément là, que de la musique est en train de se faire quelque part dans leur collège. Les classes investies dans le projet préparent toute l’année les thèmes des œuvres que nous leur présentons.

    Nous avons commencé avec le Retour d’Ulysse de Monteverdi, auquel a succédé le programme Tragédiennes, que nous avons monté avec Véronique Gens et un orchestre sensiblement plus symphonique. Il n’y a certainement jamais eu autant de monde dans ce collège que cette année, puisque nous venons avec un chœur, trois solistes, et un orchestre relativement étoffé.

    Ces expériences sont toujours très enrichissantes parce que nous nous confrontons à un public qui ne connaît pas la musique et réagit de façon extrêmement directe, parfois brutale dans sa spontanéité, mais toujours touchante. Et lorsque les élèves nous proposent le fruit de leur travail, leur musique, l’échange est assez émouvant.

    Je ne sais pas si nous éveillerons des vocations, mais l’année dernière, certains d’entre eux sont venus nous dire qu’ils étaient contents parce qu’ils n’avaient plus honte d’avouer que la musique classique leur plaisait. Ce contact avec un monde différent, une beauté artistique n’est pas forcément à leur portée tous les jours.

     

    Prenez-vous part à la pédagogie ?

    Je leur présente l’œuvre, l’instrumentarium, les chanteurs, je leur explique de quoi il retourne. Voir un musicien qui s’arrête, reprend, polit et raffine, est une dimension du travail qu’ils pouvaient ne pas imaginer appliquée à quelque chose qu’ils ressentent comme un divertissement.

     

    Comment est né ce projet ?

    Il est important de sensibiliser les jeunes gens, et il y aurait énormément à faire. Nous avons fait une proposition à la Ville de Paris en voulant nous inscrire dans une politique culturelle ludique et fertile, et nous sommes arrivés à cette idée de nous installer dans un collège. D’autre part, les Talens Lyriques n’ont pas de lieu de répétitions à Paris, et disposer d’un gymnase comme celui du Collège Varèse, qui d’ailleurs ne sonne pas mal du tout, permet de joindre l’utile à l’agréable.




    À voir :

    Die Jahreszeiten de Joseph Haydn, avec Teodora Gheorghiu, soprano, Emiliano Gonzales Toro, ténor, Markus Eiche, baryton-basse, Les Talens Lyriques, Vocalconsort Berlin, direction : Christophe Rousset, le 11 juin au Théâtre des Champs-Élysées, le 12 au Théâtre d’Orléans.

     

    Le 29/05/2009
    Mehdi MAHDAVI


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