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ENTRETIENS 02 mai 2024

Kaija Saariaho donne à entendre des femmes plus entières
© Eric Mahoudeau

Après l'Amour de Loin et Adriana Mater, avant Émilie à l'Opéra de Lyon, Kaija Saariaho retrouve son librettiste Amin Maalouf pour évoquer une autre femme d'exception : la philosophe de la première partie du XXe siècle Simone Weil. Donnée en version concertante le 17 juin à la Bastille, la Passion de Simone fera entendre la bouleversante pensée de l'auteur de la Pesanteur et la Grâce.
 

Le 11/06/2009
Propos recueillis par Laurent VILAREM
 



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  • Après l'Amour de loin créé au Festival de Salzbourg en 2000, et Adriana Mater en 2004 à l'Opéra de Paris, la Passion de Simone est-il votre troisième opéra ?

    La Passion de Simone est un oratorio. Au moment de la composition de mon second opéra Adriana Mater, j'avais décidé de ne pas écrire un opéra. J'ai imaginé alors une pièce concertante, même si dans l'esprit du metteur en scène Peter Sellars, il s'agissait encore d'un opéra. La Passion de Simone a été reprise dans différentes mises en espaces depuis sa création à Vienne en 2006, mais le concert du 17 juin à l'Opéra Bastille sera curieusement la première fois que la pièce sera jouée dans une maison d'opéra et présentée en version de concert !

     

    Comment avez-vous découvert l'œuvre de Simone Weil ?

    Quand j'avais 16 ou 17 ans, la Pesanteur et la Grâce a été traduit en finnois, et le livre m'a tout de suite bouleversée. Beaucoup plus tard, quand j'ai quitté la Finlande pour étudier à Fribourg, c'est même le seul livre que j'ai emmené. Quand je suis venue en France, j'ai pu lire directement le texte de Simone Weil et j'étais très intéressée par sa pensée philosophique. Ce n'est que plus tard que j'ai découvert sa vie et son incroyable engagement social.

     

    Comment présenteriez-vous son œuvre ?

    Née en 1909, Simone Weil est une philosophe, une mathématicienne qui a étudié la mythologie, le sanskrit, et de nombreux domaines de façon très poussée. Mais avec toutes ses connaissances, elle n'a pas essayé de trouver des concepts philosophiques abstraits. Elle a utilisé sa force d'esprit, dans son corps qui était si fragile, pour comprendre la vie et le monde autour de nous.

    Partout où elle est allée, elle s'est trouvé des problèmes. Pour réfléchir sur les problématiques marxistes, elle est allée travailler dans les usines et les champs. Mais comme elle était mauvaise ou trop maladroite pour ces différents travaux, on la renvoyait ou elle tombait malade. Elle cherchait à être présente dans le monde.

    On raconte par exemple, quand elle était à l'École Normale, qu' en voyant un article dans le journal où l'on parlait d'une explosion en Indochine, elle se mettait à pleurer. Ce souci des autres, cette compassion sont devenus maladifs à la fin de sa vie en 1943. Elle confrontait sa grande vie intérieure à la réalité.

     

    Avez-vous cherché à mettre en musique la pensée ou la vie de Simone Weil ?

    J'ai tout d'abord écrit l'œuvre pour Dawn Upshaw. Mais au moment de la création à Vienne, elle avait un cancer du sein dont elle est heureusement guérie. Dawn a interprété la Passion pour la première fois en janvier 2009 à Los Angeles et elle la redonne à Paris. Dans cette pièce, la chanteuse est un personnage qui parle de Simone Weil mais aussi pour elle.

    Les pensées de Simone Weil sont donc parlées. Elles ont été enregistrées par la comédienne Dominique Blanc, pour la partie électronique, et j'ai voulu les garder telles quelles. Nous les avons choisies car elles donnent beaucoup à réfléchir. Les séances d'enregistrement ont été inoubliables.

    Dominique Blanc est une femme formidable et une actrice exceptionnelle, qui vit si profondément ce qu'elle joue, que la lecture de Simone Weil l'a parfois submergée. J'aime les interprètes qui nous communiquent leur personnalité. Pour ma musique vocale, si on exprime des textes, je veux vraiment qu'ils soient interprétés.

     

    Quelle musique vouliez-vous ?

    La musique est très aérée, transparente et lumineuse. À la différence d'Adriana Mater qui était une partition massive et sombre, il y a ici une grande respiration. L'œuvre commence par un appel. On appelle Simone Weil. La chanteuse lui parle, lui dit combien elle l'aime et combien elle n'approuve pas sa décision de mourir. Il y a une soliste et un chœur, qui représente aussi bien le monde, l'acoustique que le lien entre le soliste et l'orchestre. Par sa lumière, la musique aide et console peut-être Simone Weil dans son rituel d'existence.

     

    Pouvez-vous nous en dire davantage sur Émilie, votre prochain opéra qui sera créé la saison prochaine à l'Opéra de Lyon ?

    Emilie sera créé en mars 2010 à Lyon. J'ai fini la partition il y a tout juste une semaine ! Ce sera un monodrame d'une heure et demie environ, où il n'y aura qu'une chanteuse : la soprano Karita Mattila. Cela a été un véritable défi à écrire. Il y a aura une partie électronique, un orchestre où le clavecin aura un rôle prépondérant.

    L'opéra parle de la vie d'Émilie du Châtelet, qui a été la traductrice en France de l'œuvre de Newton, mais aussi l'amante de Voltaire. C'est un personnage incroyable, passionné par la vie et par la science. Elle est tombée enceinte à l'âge de 42 ans, ce qui était dangereux à l'époque, mais elle a voulu finir à tout prix sa traduction des théories de Newton, de manière à rester elle aussi dans l'Histoire. Elle a tant travaillé qu'elle est morte en accouchant d'une petite fille.

     

    Après Clémence dans l'Amour de loin, Adriana, Simone Weil, voici donc une nouvelle héroïne féminine...

    J'ai passé trois ans pour Adriana, un an et demi pour Clémence, Simone Weil et Émilie, pour moi ce sont toutes des héroïnes très différentes. Mais qu'il s'agisse de Simone Weil ou d'Émilie, ce sont des femmes très passionnées mais qui ont un grand parcours intellectuel. Est-ce parce que je suis compositrice et non compositeur ? Je ne sais pas, mais je donne à entendre des femmes plus entières que si elles étaient objets de l'amour.




    À voir :
    La Passion de Simone, Opéra Bastille, le 17 juin
    Émilie, Opéra de Lyon, mars 2010

     

    Le 11/06/2009
    Laurent VILAREM


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