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ENTRETIENS 27 avril 2024

Vincent Le Texier,
toujours plus loin

Depuis son apprentissage à l’Ecole d’Art Lyrique, Vincent Le Texier n’a jamais vraiment disparu des scènes de l’Opéra de Paris. Le baryton-basse français n’y avait cependant jamais chanté de rôles de premier plan. Pour sa première saison, Nicolas Joel lui en a offert deux, et non des moindres, Wozzeck et Iokanaan.
 

Le 16/09/2009
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



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  • Qu’avez-vous ressenti en dĂ©couvrant votre nom inscrit en majuscules sur la grande bâche de l’OpĂ©ra Bastille ?

    Je me suis soudain remémoré le chemin parcouru depuis le début de ma carrière, les épreuves aussi. Voir mon nom associé à Wozzeck de Berg, une des œuvres qui me sont le plus chères, qui plus est aux côtés de celui de Waltraud Meier, est une immense joie et un grand honneur.

     

    D’autant que les chanteurs français invités à défendre les grands rôles du répertoire allemand sont plutôt rares.

    Je n’en suis que plus touché. Jean-Philippe Lafont a chanté Wozzeck à la Bastille, mais il est vrai que les français ne sont pas nombreux à interpréter les grands rôles allemands sur cette scène. Peut-être les directeurs de théâtres estiment-ils que nous devrions d’abord être les défenseurs du répertoire national. Mais leur rôle n’est-il pas justement de susciter des rencontres entre un interprète et un personnage ? Peu importe qu’il soit français, allemand, anglais ou américain.

    Je me suis toujours senti de grandes affinités avec le répertoire germanique. J’ai par exemple toujours essayé de donner dans ma carrière une place particulière au monde du Lied. Chanter en allemand est un immense plaisir pour moi, car cette langue, par sa forme même, donne beaucoup d’indications à l’interprète. Je chanterai Iokanaan dans la langue originale pour la première fois, puisque je ne l’ai jusqu’à présent abordé que dans la version française sur le texte d’Oscar Wilde, adapté par Strauss lui-même avec l’aide de Romain Rolland.

     

    Comment s’acquiert l’aisance dans la langue allemande ?

    Je l’ai étudiée au lycée. Mais je l’ai surtout apprise sur le tas, à force de la chanter, de travailler avec les chefs de chant sur des petits détails. Je ne prétends pas être parvenu à la perfection. Mon désir est simplement d’aller toujours plus loin dans l’approfondissement de cette langue, de même qu’avec la musique, surtout dans un ouvrage aussi complexe que Wozzeck, et même Salomé, qui n’est pas non plus d’une grande simplicité. J’essaie de faire comme si j’avais toujours parlé l’allemand pour mieux me le mettre dans le corps, l’introduire dans ma propre nature.

     

    Qu’est-ce qui vous a attiré vers ces emplois extrêmement dramatiques ?

    J’ai une formation de plasticien, et j’ai toujours ressenti de grandes similitudes entre ma façon de peindre et de chanter. Je suis fasciné par la capacité de la musique à exprimer les drames humains les plus profonds, les plus poignants, et il vrai que j’ai tendance à interpréter des personnages torturés, comme Golaud ou Wozzeck. Ce qui ne m’empêche pas, par goût du contraste, de m’échapper de temps à autre vers des emplois plus légers, Jupiter dans Platée par exemple. Mais les rôles qui expriment la douleur, les grandes interrogations humaines m’ont toujours très fortement attiré.

    Dans le cas de Wozzeck, et même si Berg s’est d’abord attaché à exprimer la dimension psychologique, je suis très touché par l’aspect social, dont l’actualité et l’universalité peuvent parler très directement au public. Tant mieux si je peux en être le vecteur. De plus, j’ai besoin, pour m’exprimer au mieux, de personnages qui me poussent dans des extrémités, m’obligent à me dépasser, des rôles peut-être un peu surdimensionnés, mais avec une part humaine très forte. Le Hollandais illustre magnifiquement ce contraste entre une certaine monumentalité et une faiblesse, une déchirure tellement humaines.

     

    Ces rôles requièrent aussi une immense résistance vocale.

    Vocale et physique ! Une fois que Wozzeck est mort, je n’ai certainement pas envie de me relever pour chanter à nouveau. Peut-être ai-je la chance d’avoir des cordes vocales suffisamment solides, et il est certain que la technique permet de sauvegarder la voix. Je sais cependant devoir me méfier de ma trop grande volonté d’aller toujours plus loin dans l’expression. Mais je crois me connaître de mieux en mieux, et j’essaie d’être vigilant.

     

    Le Sprechgesang de Berg ne peut-il justement pas se révéler un piège à cet égard ?

    À l’exception de deux ou trois pages, la notation rythmique du Sprechgesang est toujours très précise. Sans doute y a-t-il beaucoup de façons de l’interpréter, selon que le chef demande de rester au plus près des notes, ou au contraire de ne respecter que le schéma général des phrases. L’extrême complexité de la partition oblige quoi qu’il en soit à une très grande conscience. Dans certains passages, Berg demande de crier, et cela peut être dangereux. L’expression de la folie nécessite une certaine distance. C’est là le paradoxe du comédien. Et face à une œuvre aussi intense, déchirée, il s’agit de faire encore plus attention, car on risque de dépasser ses propres limites.

     

    N’est-ce pas plus difficile avec une partenaire aussi naturellement intense que Waltraud Meier ?

    Son intensité d’expression est d’autant plus fascinante qu’elle est immédiate, même en répétitions, alors qu’elle ne chante qu’à mi-voix. Elle invite d’une certaine manière à aller plus loin, mais l’exemple de son immense expérience, de sa maîtrise du rôle constitue une aide magnifique. J’ai pour ma part des difficultés à marquer, car tout est lié pour moi, ne fait qu’un. Mais quand on interprète ce genre de rôles, il faut apprendre à s’économiser.

    Qu’est-ce que l’expressivité ? Il est vrai que je ne supporte pas les chanteurs qui se contentent de chanter. Même si leur voix est absolument magnifique, le plaisir que j’éprouve est rapidement balayé par l’ennui. L’inverse est-il pour autant la vérité ? Je ne le pense pas non plus. L’art du chanteur tient de l’alchimie. Mon expérience avec Peter Brook, sur les Impressions de Pelléas, m’a permis de comprendre comment parvenir à la vérité, la justesse d’un personnage sans en faire trop. Peter prenait garde à cela, et j’ai essayé par la suite de ne pas me leurrer moi-même.

     

    À l’instar de la partition de Berg, l’univers de Christoph Marthaler est absolument millimétré.

    Ce spectacle est une reprise, et à la différence de la création, qui avait bénéficié de six ou sept semaines de répétitions, nous en avons à peine plus de deux. J’ai néanmoins eu la possibilité de construire moi-même mon personnage, sans devoir rentrer dans les pas de Simon Keenlyside, dont la performance était magnifique, mais qui avait trouvé les gestes, le comportement qui lui correspondaient. À moi maintenant de proposer ma vérité dans cette mise en scène si précise et complexe.

     

    Vous enchaînez immédiatement avec le rôle de Iokanaan, cet orgue prophétique.

    C’est assurément un défi. Quinze jours séparent la dernière représentation de Wozzeck du début des répétitions de Salomé. Bien que vingt ans seulement séparent ces deux ouvrages, tout semble les opposer, tant vocalement qu’esthétiquement, musicalement, et dans le choix du texte. Comment passer de la vocalité de Wozzeck à celle d’Iokanaan, d’un personnage scéniquement très actif, particulièrement dans la mise en scène de Marthaler, à un rôle dont l’expression passe essentiellement par l’imprécation et dont la dimension théâtrale est beaucoup moins prégnante ? Il va me falloir être à 100% dans Iokanaan dès le 3 octobre. Ce genre de pari me stimule beaucoup, même si je ne le ferais pas à longueur d’année. Iokanaan est en quelque sorte le représentant de l’oratorio en opposition à Salomé, qui incarne l’opéra. Ce contraste est très intéressant.

     

    Iokanaan semble aussi, en opposition à Wozzeck, très loin de nous.

    Le fanatisme religieux nous parle encore. On pourrait presque le rapprocher d’Athanaël dans Thaïs de Massenet, à ceci près que ce dernier se laisse déborder par son attirance pour Thaïs jusqu’à renier tout ce dont il était le représentant. Il exprime cette même volonté fanatique, imprécatoire. Il est intéressant de voir dans ces grandes lignes de chant hiératiques comment le désir de Salomé peut s’insinuer pour mettre en doute celui dont on sait justement qu’aucun doute ne peut l’atteindre. Iokanaan est un prophète, mais aussi un être humain. Où est la faille, la possible faiblesse ? Est-il complètement indifférent à Salomé, ou pourrait-il céder à cette séduction absolument irrésistible qu’elle déploie ? Pourrait-elle briser ses croyances ? Je ne veux pas seulement être dans le monument, mais aussi montrer un homme qui lutte, et qui par là même montre une grande force de caractère, dont l’issue sera fatale, puisqu’il aura la tête tranchée.

     

    Votre expérience avec Peter Brook vous a-t-elle rendu exigeant envers les metteurs en scène ?

    L’aventure des Impressions de PellĂ©as a durĂ© six mois, avec deux mois et demi de rĂ©pĂ©titions, ce qui ne se fait en gĂ©nĂ©ral jamais Ă  l’opĂ©ra. Cette expĂ©rience reste donc très singulière. J’avais fait part Ă  Peter de mes craintes de retrouver les conditions normales des théâtres lyriques. Il m’avait rĂ©pondu : « Chaque chose en son temps. Â» Et il avait raison. Nous sommes obligĂ©s de nous adapter. Reprendre Wozzeck en deux semaines demande en effet une concentration Ă©norme et un investissement beaucoup plus intense que si nous disposions de davantage de temps. Il y a diffĂ©rents moyens d’accĂ©der Ă  la vĂ©ritĂ©, et chaque metteur en scène propose son propre voyage. Mon dĂ©sir est de sortir d’une production en Ă©tant plus riche de ma connaissance de l’ouvrage et du rĂ´le, mĂŞme si je ne suis pas d’accord avec le point de vue qu’on me demande de dĂ©fendre.

    Certains aspects peuvent m’attirer profondément et d’autres m’échapper totalement, mais si je suis au cœur d’un véritable travail collectif – ce que devrait toujours être l’opéra –, s’il est possible de confronter les points de vue, si chacun sait écouter, il est toujours possible de s’entendre pour trouver ensemble une vérité. C’est peut-être cette gageure qui fait la rareté des réussites complètes à l’opéra, car tout le monde doit être sur la même longueur d’onde et au même niveau de qualité. Quel autre art réunit autant de corps de métiers, d’artistes différentes ? C’est pour cela qu’il est merveilleux. Et qu’il coûte beaucoup d’argent. Mais que l’on dépense sans compter pour en mettre plein la vue avec des décors et masquer une absence de profondeur d’interprétation me rebute.




    À voir :

    Wozzeck de Berg, direction : Hartmut Haenchen, Opéra Bastille, 17, 20, 23, 26, 30 septembre et 2 octobre.

    Salomé de Strauss, direction : Alain Altinoglu, Opéra Bastille, 7, 10, 13, 16, 19, 22, 25 novembre et 1er décembre.

     

    Le 16/09/2009
    Mehdi MAHDAVI


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