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ENTRETIENS |
29 mars 2024 |
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Nicolas Joel, mettre en valeur le chant
Depuis quelques mois Ă la tĂȘte de lâOpĂ©ra national de Paris, Nicolas Joel, qui succĂšde au rĂšgne controversĂ© de Gerard Mortier, nâen est pas Ă lâheure des bilans, mais des projets. Rencontre avec un directeur enthousiaste, soucieux de rĂ©tablir la primautĂ© du chant Ă lâopĂ©ra, et Ă qui les idĂ©es ne manquent pas.
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En prenant vos fonctions Ă la tĂȘte de lâOpĂ©ra national de Paris, quelles bonnes et mauvaises surprises avez-vous eues ?
En arrivant dans un nouveau thĂ©Ăątre, surtout dâune telle importance, on a forcĂ©ment toujours quelques mauvaises surprises, mais il est prĂ©maturĂ© dâen parler. Je peux en revanche souligner les bonnes et en particulier celle concernant la qualitĂ© des diffĂ©rentes Ă©quipes travaillant dans cette maison. Ce nâĂ©tait pas une surprise Ă proprement parler. Je le savais, mais je lâai expĂ©rimentĂ© sur le terrain en mettant en scĂšne Mireille.
On sâest demandĂ© pourquoi jâai choisi de monter moi-mĂȘme ce premier spectacle. Les rĂ©ponses sont simples : jâen avais envie, je pensais que je le ferais bien et je voulais surtout connaĂźtre de prĂšs les Ă©quipes qui font le travail sur le terrain. Nous sommes dans un thĂ©Ăątre et pas dans une administration. Tout part de la scĂšne et tout y retourne. Lâessentiel ne se passe pas dans les bureaux, si utile que soit ce qui sây dĂ©roule pour la gestion dâun si grand nombre de personnes.
Jâavais dĂ©jĂ travaillĂ© avec ces Ă©quipes il y a longtemps et jâai retrouvĂ© avec un trĂšs grand plaisir ces gens dâun professionnalisme et dâune volontĂ© de bien faire absolument formidables. Une maison en Ă©tat de marche, avec naturellement des choses Ă changer, mais des gens prĂȘts Ă travailler. |
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Votre prĂ©dĂ©cesseur Gerard Mortier a appliquĂ© une politique artistique bien dĂ©finie, trĂšs personnelle. Est-ce souhaitable dans un thĂ©Ăątre de rĂ©pertoire comme lâOpĂ©ra national de Paris ?
LâOpĂ©ra de Paris est effectivement un thĂ©Ăątre de rĂ©pertoire, mais au sens le plus large du terme, câest-Ă -dire de tout le rĂ©pertoire, sans exclusives. Je monte aussi bien Mireille que la Ville morte ou la Donna del lago au cours de cette premiĂšre saison. Câest dans cette logique quâil faut travailler. On peut naturellement y affirmer sa personnalitĂ© en faisant des choix, mais qui doivent dâabord porter sur le chant. Il serait temps de se prĂ©occuper un peu de lui et de la façon dont on le met en valeur. Je ne dis pas les chanteurs, mais bien le chant.
Il est quand mĂȘme Ă©crit sur le fronton de Garnier, et on ne lâa malheureusement pas repris Ă Bastille, « AcadĂ©mie nationale de musique ». Je tiens absolument Ă cette notion. Nous sommes ici pour faire du thĂ©Ăątre lyrique. Ce nâest pas nâimporte quoi, une action reprĂ©sentĂ©e par le chant, avec de la musique en dessous. Câest la musique qui est action, et lâĂ©motion, Ă lâOpĂ©ra, passe dâabord par la voix.
Câest pourquoi on a si longtemps acceptĂ© des physiques ne correspondant pas vraiment Ă lâĂąge ou Ă la nature des rĂŽles, quand la voix Ă©tait lĂ . Mais le cinĂ©ma est passĂ© par lĂ et a modifiĂ© les critĂšres dâapprĂ©ciation du public. Reynaldo Hahn lâavait tout de suite compris. Câest lui qui le premier dĂ©cida que le Berger de Mireille ne serait plus un travesti mais un tĂ©nor. « Le cinĂ©ma a tuĂ© le travesti », dĂ©clara-t-il.
Il nâest donc pas question de revenir aux pratiques du XIXe siĂšcle et du dĂ©but du XXe, mais il ne faut tomber dans les excĂšs trop souvent en pratique maintenant oĂč les choix purement thĂ©Ăątraux passent avant les choix musicaux et vocaux. |
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Y a-t-il moyen, sinon dâarrĂȘter ces excĂšs, du moins de les limiter ?
TrĂšs certainement. Dâabord en arrĂȘtant de taxer de passĂ©isme la volontĂ© de respecter les rĂšgles et les lois du thĂ©Ăątre lyrique et en donnant aux chanteurs la possibilitĂ© de sâexprimer. Jâai appris ces lois, auprĂšs de Jean-Pierre Ponnelle entre autres, et je tiens Ă le mettre en vigueur. Je nâai pas lâintention de mettre en scĂšne tous les spectacles, bien loin de lĂ , mais je cherche des metteurs en scĂšne qui soient musiciens. Il y en a de moins en moins.
On a tellement fait de mal Ă la musique, comme de laisser dans un Macbeth, ici mĂȘme, chanter les chĆurs en coulisse, que si lâon continue Ă accepter ce genre de choix, on ne sait plus du tout de quoi on parle. On en arrive par exemple Ă modifier le texte des surtitres qui sont censĂ©s ĂȘtre une traduction du livret, pour que les mots correspondent Ă ce que reprĂ©sente le metteur en scĂšne. Ce dernier se prend trop pour un auteur alors quâil est un interprĂšte. |
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Quels metteurs en scÚne avez-vous trouvés ?
Un GĂŒnter KrĂ€mer, par exemple pour le Ring, ou Giancarlo del Monaco pour AndrĂ© ChĂ©nier oĂč il faut obligatoirement un metteur en scĂšne musicien, ou Lluis Pasqual pour La donna del lago. Il y en a, Ă©videmment. Les chanteurs font ce quâon leur demande, les malheureux ! Il faut jeter un voile sur ce quâils disent en privĂ© de ce quâon leur fait faire, mais ils sont bien obligĂ©s Ă cette docilitĂ© sâils veulent travailler. Rares sont ceux qui ont aujourdâhui un tel statut quâils puissent se permettre de faire des choix et de refuser un projet.
Tout cela ne veut pas dire quâil nây a pas de place pour lâexpĂ©rimentation dans un thĂ©Ăątre de rĂ©pertoire. Bien sĂ»r que oui, mais cela ne peut pas ĂȘtre constant, contrairement Ă ce qui se passe dans un festival. LĂ , on peut faire une sĂ©rie de coups.
Dans un thĂ©Ăątre de rĂ©pertoire, il est passionnant de proposer ce que jâappelle des « rĂŽles paliers » aux chanteurs qui ne sont pas encore parvenus Ă lâapogĂ©e de leurs moyens. Je lâai beaucoup fait Ă Toulouse et je continuerai Ă le faire ici. Dans Wozzeck, par exemple, je suis trĂšs heureux de prĂ©senter un jeune chanteur français comme Vincent Le Texier dans le rĂŽle-titre face Ă une Waltraud Meier. Pour moi, câest vraiment le travail que doit faire cette maison. |
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Allez-vous continuer ces fidĂ©litĂ©s avec les chanteurs avec qui vous avez justement pratiquĂ© cette politique jusquâĂ prĂ©sent, comme Roberto Alagna, Marcelo Ălvarez ou Jonas Kaufmann ?
Kaufmann, qui a dĂ©butĂ© Ă Toulouse dans Mignon, est prĂ©sent dans cette premiĂšre saison, en Werther. Il reviendra, peut-ĂȘtre sur un projet de MaĂźtres chanteurs. Ălvarez va chanter Don Carlo cette saison. Roberto Alagna sera prĂ©sent dans un rĂŽle tout Ă fait inattendu, dans un rĂ©pertoire nouveau qui me passionne. Sophie Koch va faire beaucoup de choses. Elle est en train de passer dans une autre catĂ©gorie vocale, beaucoup plus puissante, un grand mezzo dramatique sinon un soprano dramatique. MĂȘme chose pour BĂ©atrice Uria-Monzon, qui est aussi en pleine mutation. |
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On dit volontiers quâil nây a quasiment plus de chanteurs wagnĂ©riens. Monter une la TĂ©tralogie qui dĂ©bute Ă lâOpĂ©ra Bastille cette saison ne vous a posĂ© trop de problĂšmes ?
Il ne faut pas confondre la politique pratiquĂ©e Ă Bayreuth en particulier et dans bien dâautres lieux avec une pĂ©nurie de grandes voix lyriques. On ne peut certes pas monter, comme câest aujourdâhui souvent le cas, quatre TĂ©tralogies en mĂȘme temps dans le monde avec des distributions adĂ©quates. En monter une est en revanche possible Ă un trĂšs haut niveau Ă condition de ne pas engager nâimporte qui. Je pense le prouver Ă lâOpĂ©ra de Paris, qui nâavait plus de Ring Ă son rĂ©pertoire depuis la nuit des temps. Nous avons en outre en la personne de Philippe Jordan un directeur musical aussi grand wagnĂ©rien que straussien. |
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La fonction de directeur musical vous paraĂźt essentielle dans une maison dâopĂ©ra ?
Câest une Ă©vidence qui ne se discute mĂȘme pas. |
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Nây a-t-il pas une pĂ©nurie de grands chefs dâopĂ©ra ?
Philippe Jordan est directement issu de cette tradition, mais il est vrai quâaujourdâhui, on ne trouve guĂšre de grands chefs vivant dans une maison dâopĂ©ra comme câĂ©tait le cas dâun De Sabata ou dâun Serafin par exemple. Les chefs de stature internationale prĂ©fĂšrent ĂȘtre directeurs musicaux de deux ou trois formations orchestrales sur divers continents que de consacrer lâessentiel de leur temps aux destinĂ©es dâun thĂ©Ăątre lyrique. Un vrai chef dâopĂ©ra doit ĂȘtre capable de donner des conseils de technique vocale aux chanteurs, pas seulement dâinterprĂ©tation. Philippe Jordan en est parfaitement capable. |
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Dans le domaine du rĂ©pertoire, quelles vont ĂȘtre vos prioritĂ©s ?
Il y a des manques Ă©vidents. Pas de production de Carmen, ni de Faust, ni de Samson et Dalila. Câest comme si il nây a avait Ă la Scala de Milan ni AĂŻda, ni Tosca. Ce serait inimaginable. Je vais aussi ouvrir vers un rĂ©pertoire italien du XXe siĂšcle, car il nây pas quâun seul XXe siĂšcle. CĂŽtĂ© crĂ©ation, jâai commandĂ© une partition Ă Bruno Mantovani que jâai trouvĂ© vraiment passionnĂ© et motivĂ© par le thĂ©Ăątre lyrique.
Il faut que je traite ces problĂšmes en jouant sur les deux salles. On ne peut pas donner nâimporte quoi nâimporte oĂč. Il est tentant parfois de choisir Bastille pour des partitions trĂšs populaires avec lesquelles on sait faire salle comble, mais je ne veux pas tomber de maniĂšre permanente dans cette logique. Je prĂ©fĂšre tenir aussi compte de lâĆuvre et de la salle qui sera le mieux adaptĂ©e Ă son Ă©criture orchestrale et vocale, au type de voix quâelle nĂ©cessite. Mais il nây a pas vraiment de rĂšgle. Il faut aussi songer aux questions financiĂšres. |
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Et le ballet ?
Câest le meilleur du monde ! Jâadore la danse. Ă Toulouse, jâai tout fait pour la renaissance de la compagnie. Ici, je suis fou de joie de trouver de pareils danseurs capables dâaffronter tous les rĂ©pertoires. On peut donner la BayadĂšre dans la chorĂ©graphie de Noureev et du Pina Bausch le lendemain au mĂȘme niveau de perfection. Câest une compagnie exemplaire par la qualitĂ© de ses danseurs et par ses capacitĂ©s artistiques.
Il faut souligner le rĂŽle bĂ©nĂ©fique jouĂ© par Brigitte LefĂšvre depuis quelques annĂ©es dans sa programmation. Elle est arrivĂ©e Ă ce que le grand rĂ©pertoire soit prĂ©servĂ©, en sâappuyant notamment sur lâĂcole de Danse qui joue un rĂŽle fondamental dans la transmission, tout en affrontant le rĂ©pertoire dâaujourdâhui. Elle a prouvĂ© que, contrairement Ă ce que beaucoup voulaient faire croire, le maintien de la grande Ă©cole classique Ă©tait indissociable de la crĂ©ation contemporaine, mĂȘme la plus avancĂ©e. Une des fonctions mâincombant et qui me procurera le plus de joie sera de nommer des Ătoiles ! |
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