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ENTRETIENS 29 mars 2024

Nicolas Joel,
mettre en valeur le chant

Depuis quelques mois Ă  la tĂȘte de l’OpĂ©ra national de Paris, Nicolas Joel, qui succĂšde au rĂšgne controversĂ© de Gerard Mortier, n’en est pas Ă  l’heure des bilans, mais des projets. Rencontre avec un directeur enthousiaste, soucieux de rĂ©tablir la primautĂ© du chant Ă  l’opĂ©ra, et Ă  qui les idĂ©es ne manquent pas.
 

Le 02/10/2009
Propos recueillis par GĂ©rard MANNONI
 



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  • En prenant vos fonctions Ă  la tĂȘte de l’OpĂ©ra national de Paris, quelles bonnes et mauvaises surprises avez-vous eues ?

    En arrivant dans un nouveau thĂ©Ăątre, surtout d’une telle importance, on a forcĂ©ment toujours quelques mauvaises surprises, mais il est prĂ©maturĂ© d’en parler. Je peux en revanche souligner les bonnes et en particulier celle concernant la qualitĂ© des diffĂ©rentes Ă©quipes travaillant dans cette maison. Ce n’était pas une surprise Ă  proprement parler. Je le savais, mais je l’ai expĂ©rimentĂ© sur le terrain en mettant en scĂšne Mireille.

    On s’est demandĂ© pourquoi j’ai choisi de monter moi-mĂȘme ce premier spectacle. Les rĂ©ponses sont simples : j’en avais envie, je pensais que je le ferais bien et je voulais surtout connaĂźtre de prĂšs les Ă©quipes qui font le travail sur le terrain. Nous sommes dans un thĂ©Ăątre et pas dans une administration. Tout part de la scĂšne et tout y retourne. L’essentiel ne se passe pas dans les bureaux, si utile que soit ce qui s’y dĂ©roule pour la gestion d’un si grand nombre de personnes.

    J’avais dĂ©jĂ  travaillĂ© avec ces Ă©quipes il y a longtemps et j’ai retrouvĂ© avec un trĂšs grand plaisir ces gens d’un professionnalisme et d’une volontĂ© de bien faire absolument formidables. Une maison en Ă©tat de marche, avec naturellement des choses Ă  changer, mais des gens prĂȘts Ă  travailler.

     

    Votre prĂ©dĂ©cesseur Gerard Mortier a appliquĂ© une politique artistique bien dĂ©finie, trĂšs personnelle. Est-ce souhaitable dans un thĂ©Ăątre de rĂ©pertoire comme l’OpĂ©ra national de Paris ?

    L’OpĂ©ra de Paris est effectivement un thĂ©Ăątre de rĂ©pertoire, mais au sens le plus large du terme, c’est-Ă -dire de tout le rĂ©pertoire, sans exclusives. Je monte aussi bien Mireille que la Ville morte ou la Donna del lago au cours de cette premiĂšre saison. C’est dans cette logique qu’il faut travailler. On peut naturellement y affirmer sa personnalitĂ© en faisant des choix, mais qui doivent d’abord porter sur le chant. Il serait temps de se prĂ©occuper un peu de lui et de la façon dont on le met en valeur. Je ne dis pas les chanteurs, mais bien le chant.

    Il est quand mĂȘme Ă©crit sur le fronton de Garnier, et on ne l’a malheureusement pas repris Ă  Bastille, « AcadĂ©mie nationale de musique Â». Je tiens absolument Ă  cette notion. Nous sommes ici pour faire du thĂ©Ăątre lyrique. Ce n’est pas n’importe quoi, une action reprĂ©sentĂ©e par le chant, avec de la musique en dessous. C’est la musique qui est action, et l’émotion, Ă  l’OpĂ©ra, passe d’abord par la voix.

    C’est pourquoi on a si longtemps acceptĂ© des physiques ne correspondant pas vraiment Ă  l’ñge ou Ă  la nature des rĂŽles, quand la voix Ă©tait lĂ . Mais le cinĂ©ma est passĂ© par lĂ  et a modifiĂ© les critĂšres d’apprĂ©ciation du public. Reynaldo Hahn l’avait tout de suite compris. C’est lui qui le premier dĂ©cida que le Berger de Mireille ne serait plus un travesti mais un tĂ©nor. « Le cinĂ©ma a tuĂ© le travesti Â», dĂ©clara-t-il.

    Il n’est donc pas question de revenir aux pratiques du XIXe siĂšcle et du dĂ©but du XXe, mais il ne faut tomber dans les excĂšs trop souvent en pratique maintenant oĂč les choix purement thĂ©Ăątraux passent avant les choix musicaux et vocaux.

     

    Y a-t-il moyen, sinon d’arrĂȘter ces excĂšs, du moins de les limiter ?

    TrĂšs certainement. D’abord en arrĂȘtant de taxer de passĂ©isme la volontĂ© de respecter les rĂšgles et les lois du thĂ©Ăątre lyrique et en donnant aux chanteurs la possibilitĂ© de s’exprimer. J’ai appris ces lois, auprĂšs de Jean-Pierre Ponnelle entre autres, et je tiens Ă  le mettre en vigueur. Je n’ai pas l’intention de mettre en scĂšne tous les spectacles, bien loin de lĂ , mais je cherche des metteurs en scĂšne qui soient musiciens. Il y en a de moins en moins.

    On a tellement fait de mal Ă  la musique, comme de laisser dans un Macbeth, ici mĂȘme, chanter les chƓurs en coulisse, que si l’on continue Ă  accepter ce genre de choix, on ne sait plus du tout de quoi on parle. On en arrive par exemple Ă  modifier le texte des surtitres qui sont censĂ©s ĂȘtre une traduction du livret, pour que les mots correspondent Ă  ce que reprĂ©sente le metteur en scĂšne. Ce dernier se prend trop pour un auteur alors qu’il est un interprĂšte.

     

    Quels metteurs en scÚne avez-vous trouvés ?

    Un GĂŒnter KrĂ€mer, par exemple pour le Ring, ou Giancarlo del Monaco pour AndrĂ© ChĂ©nier oĂč il faut obligatoirement un metteur en scĂšne musicien, ou Lluis Pasqual pour La donna del lago. Il y en a, Ă©videmment. Les chanteurs font ce qu’on leur demande, les malheureux ! Il faut jeter un voile sur ce qu’ils disent en privĂ© de ce qu’on leur fait faire, mais ils sont bien obligĂ©s Ă  cette docilitĂ© s’ils veulent travailler. Rares sont ceux qui ont aujourd’hui un tel statut qu’ils puissent se permettre de faire des choix et de refuser un projet.

    Tout cela ne veut pas dire qu’il n‘y a pas de place pour l’expĂ©rimentation dans un thĂ©Ăątre de rĂ©pertoire. Bien sĂ»r que oui, mais cela ne peut pas ĂȘtre constant, contrairement Ă  ce qui se passe dans un festival. LĂ , on peut faire une sĂ©rie de coups.

    Dans un thĂ©Ăątre de rĂ©pertoire, il est passionnant de proposer ce que j’appelle des « rĂŽles paliers Â» aux chanteurs qui ne sont pas encore parvenus Ă  l’apogĂ©e de leurs moyens. Je l’ai beaucoup fait Ă  Toulouse et je continuerai Ă  le faire ici. Dans Wozzeck, par exemple, je suis trĂšs heureux de prĂ©senter un jeune chanteur français comme Vincent Le Texier dans le rĂŽle-titre face Ă  une Waltraud Meier. Pour moi, c’est vraiment le travail que doit faire cette maison.

     

    Allez-vous continuer ces fidĂ©litĂ©s avec les chanteurs avec qui vous avez justement pratiquĂ© cette politique jusqu’à prĂ©sent, comme Roberto Alagna, Marcelo Álvarez ou Jonas Kaufmann ?

    Kaufmann, qui a dĂ©butĂ© Ă  Toulouse dans Mignon, est prĂ©sent dans cette premiĂšre saison, en Werther. Il reviendra, peut-ĂȘtre sur un projet de MaĂźtres chanteurs. Álvarez va chanter Don Carlo cette saison. Roberto Alagna sera prĂ©sent dans un rĂŽle tout Ă  fait inattendu, dans un rĂ©pertoire nouveau qui me passionne. Sophie Koch va faire beaucoup de choses. Elle est en train de passer dans une autre catĂ©gorie vocale, beaucoup plus puissante, un grand mezzo dramatique sinon un soprano dramatique. MĂȘme chose pour BĂ©atrice Uria-Monzon, qui est aussi en pleine mutation.

     

    On dit volontiers qu’il n‘y a quasiment plus de chanteurs wagnĂ©riens. Monter une la TĂ©tralogie qui dĂ©bute Ă  l’OpĂ©ra Bastille cette saison ne vous a posĂ© trop de problĂšmes ?

    Il ne faut pas confondre la politique pratiquĂ©e Ă  Bayreuth en particulier et dans bien d’autres lieux avec une pĂ©nurie de grandes voix lyriques. On ne peut certes pas monter, comme c’est aujourd’hui souvent le cas, quatre TĂ©tralogies en mĂȘme temps dans le monde avec des distributions adĂ©quates. En monter une est en revanche possible Ă  un trĂšs haut niveau Ă  condition de ne pas engager n’importe qui. Je pense le prouver Ă  l’OpĂ©ra de Paris, qui n’avait plus de Ring Ă  son rĂ©pertoire depuis la nuit des temps. Nous avons en outre en la personne de Philippe Jordan un directeur musical aussi grand wagnĂ©rien que straussien.

     

    La fonction de directeur musical vous paraĂźt essentielle dans une maison d’opĂ©ra ?

    C’est une Ă©vidence qui ne se discute mĂȘme pas.

     

    N’y a-t-il pas une pĂ©nurie de grands chefs d’opĂ©ra ?

    Philippe Jordan est directement issu de cette tradition, mais il est vrai qu’aujourd’hui, on ne trouve guĂšre de grands chefs vivant dans une maison d’opĂ©ra comme c’était le cas d’un De Sabata ou d’un Serafin par exemple. Les chefs de stature internationale prĂ©fĂšrent ĂȘtre directeurs musicaux de deux ou trois formations orchestrales sur divers continents que de consacrer l’essentiel de leur temps aux destinĂ©es d’un thĂ©Ăątre lyrique. Un vrai chef d’opĂ©ra doit ĂȘtre capable de donner des conseils de technique vocale aux chanteurs, pas seulement d’interprĂ©tation. Philippe Jordan en est parfaitement capable.

     

    Dans le domaine du rĂ©pertoire, quelles vont ĂȘtre vos prioritĂ©s ?

    Il y a des manques Ă©vidents. Pas de production de Carmen, ni de Faust, ni de Samson et Dalila. C’est comme si il n’y a avait Ă  la Scala de Milan ni AĂŻda, ni Tosca. Ce serait inimaginable. Je vais aussi ouvrir vers un rĂ©pertoire italien du XXe siĂšcle, car il n’y pas qu’un seul XXe siĂšcle. CĂŽtĂ© crĂ©ation, j’ai commandĂ© une partition Ă  Bruno Mantovani que j’ai trouvĂ© vraiment passionnĂ© et motivĂ© par le thĂ©Ăątre lyrique.

    Il faut que je traite ces problĂšmes en jouant sur les deux salles. On ne peut pas donner n’importe quoi n’importe oĂč. Il est tentant parfois de choisir Bastille pour des partitions trĂšs populaires avec lesquelles on sait faire salle comble, mais je ne veux pas tomber de maniĂšre permanente dans cette logique. Je prĂ©fĂšre tenir aussi compte de l’Ɠuvre et de la salle qui sera le mieux adaptĂ©e Ă  son Ă©criture orchestrale et vocale, au type de voix qu’elle nĂ©cessite. Mais il n’y a pas vraiment de rĂšgle. Il faut aussi songer aux questions financiĂšres.

     

    Et le ballet ?

    C’est le meilleur du monde ! J’adore la danse. À Toulouse, j’ai tout fait pour la renaissance de la compagnie. Ici, je suis fou de joie de trouver de pareils danseurs capables d’affronter tous les rĂ©pertoires. On peut donner la BayadĂšre dans la chorĂ©graphie de Noureev et du Pina Bausch le lendemain au mĂȘme niveau de perfection. C’est une compagnie exemplaire par la qualitĂ© de ses danseurs et par ses capacitĂ©s artistiques.

    Il faut souligner le rĂŽle bĂ©nĂ©fique jouĂ© par Brigitte LefĂšvre depuis quelques annĂ©es dans sa programmation. Elle est arrivĂ©e Ă  ce que le grand rĂ©pertoire soit prĂ©servĂ©, en s’appuyant notamment sur l’École de Danse qui joue un rĂŽle fondamental dans la transmission, tout en affrontant le rĂ©pertoire d’aujourd’hui. Elle a prouvĂ© que, contrairement Ă  ce que beaucoup voulaient faire croire, le maintien de la grande Ă©cole classique Ă©tait indissociable de la crĂ©ation contemporaine, mĂȘme la plus avancĂ©e. Une des fonctions m’incombant et qui me procurera le plus de joie sera de nommer des Étoiles !

     

    Le 02/10/2009
    GĂ©rard MANNONI


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