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ENTRETIENS 29 mars 2024

Frederick Wiseman,
la danse par l’image

Le grand documentariste américain Frederick Wiseman a suivi pendant plusieurs mois le travail quotidien du Ballet de l’Opéra national de Paris. Sous tous ses aspects, tant au Palais Garnier qu’à l’Opéra Bastille. Rencontre avec un maître de l’image passionné de danse, à l’occasion de la sortie du film La Danse, Le Ballet de l’Opéra de Paris.
 

Le 02/10/2009
Propos recueillis par GĂ©rard MANNONI
 



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  • Que connaissiez-vous du Ballet de l’OpĂ©ra de Paris avant d’entreprendre ce documentaire ?

    Je connaissais la compagnie comme spectateur. Je viens souvent à Paris et je vais toujours à l’Opéra. Je suis un fan de ballets. En Amérique, je suis ce que font le New York City Ballet et l’American Ballet Theatre. En 1988, j’ai tourné un film sur cette dernière compagnie. Cela m’a déjà montré comment fonctionnait ce type d’institution, même si ce n’est pas exactement pareil en Amérique.

    À Paris, j’ai également fait un documentaire sur la Comédie-Française. Mais j’aime particulièrement la danse. Le ballet est sans doute pour moi l’art le plus fascinant, en particulier pour son caractère évanescent. Il faut un travail considérable, pendant des années, pour arriver à être un grand danseur. Je trouve formidable d’oser ce genre de carrière qui demande beaucoup de courage et le spectacle du ballet me procure depuis toujours un immense plaisir. Je ne sais pas pourquoi, mais c’est ainsi.

     

    Le film est ponctué de séquences montrant de très belles vues de Paris prises depuis les toits du Palais Garnier notamment. Est-ce pour bien restituer tout ce travail des danseurs au cœur de la capitale ?

    Il fallait naturellement montrer où l’on est, mais je voulais aussi établir le lien entre Garnier et Bastille sans tomber dans les clichés des encombrements de circulation. Quand j’ai vu depuis les toits comment on dominait tout Paris, j’ai pensé qu’il serait mieux de tisser ce lien par dessus les maisons et les monuments. Le Palais Garnier est forcément beaucoup plus intéressant que la Bastille, avec ses souterrains incroyables, ces cabestans qui rappellent que les marins étaient jadis les machinistes en charge du déplacement des décors, et tous ces endroits mystérieux, ces escaliers pour parvenir dans les studios, les studios eux-mêmes, les salles de réunion. Tout cela est passionnant à filmer et chargé d’histoire.

     

    Vous avez passé trois mois avec la compagnie. Avez-vous choisi cette période en fonction des répétitions et des spectacles qui s’y déroulaient ?

    J’ai beaucoup discuté avec Brigitte Lefèvre, directrice de la Danse et avec Olivier Aldeano, administrateur du Ballet pour choisir le bon moment. Je voulais pouvoir filmer ce qui est vraiment caractéristique de cette compagnie, c’est-à-dire la pratique d’un répertoire traditionnel et celle d’un répertoire de création contemporaine, tous les deux au plus haut niveau. J’aime les deux et cette période me convenait à tous égards.

     

    Quand on filme des danseurs devenus maîtres de ballet faisant répéter leurs camarades, restent-ils naturels ? N’y a-t-il pas un danger qu’ils se mettent en scène spontanément en raison de la présence de caméras ?

    C’est une question que l’on peut se poser pour quasiment tous les films que j’ai faits, mais je n’ai jamais eu l’impression que les danseurs jouaient pour la caméra. Ils sont trop concentrés sur leur travail qui est dur et plus important pour eux que le fait d’être filmés. Ils ne peuvent pas se permettre de se détourner de l’essentiel, ne serait-ce que quelques minutes, car le temps de répétition est compté, fondamental pour eux et souvent plutôt trop court que trop long.

    Je fais cela depuis des années et je serais tout à fait capable de voir si les gens se mettaient à jouer pour moi. Je ne l’ai jamais constaté, sans quoi j’aurais arrêté de tourner. Et puis, quand vous voyez quelques minutes d’une répétition à l’écran, c’est juste une petite séquence choisie sur l’heure et demie que j’ai filmée. J’ai aussi assisté à beaucoup de répétitions sans tourner et je n’ai vu aucune différence.

     

    Contrairement à la plupart des documentaires et des films réalisés sur la danse et en particulier sur l’Opéra, vous ne donnez jamais la parole aux danseurs sous forme d’interview. Il n’y a que des propos de travail, jamais de questions-réponses, avec qui que ce soit.

    Je travaille toujours comme cela, sans interviews. C’est plus intéressant car le spectateur reste libre de découvrir par lui-même. Il peut réagir personnellement devant ce qu’il voit. Mon travail de montage consiste justement à lui faire tout comprendre par les images et la manière dont les plans se succèdent. On passe peu à peu des répétitions au spectacle avec la magie et la poésie des costumes et des lumières, mais je dois dire que pour moi, certaines répétitions ont été encore plus poétiques, plus intéressantes que les spectacles. Chaque fois, par exemple, que j’ai vu répéter Marie-Agnès Gillot et Benjamin Pech, j’ai été très ému. Je crois que le public manque quelque chose s’il ne voit jamais ce côté du travail, ces moments où les danseurs donnent tant d’eux-mêmes pour arriver aux moments magiques du spectacle.

     

    Dans la réalisation d’un film comme celui-ci, qu’est-ce qui est le plus difficile ?

    Trouver une structure, l’ordre des séquences, une métaphore qui oriente tout le propos du film. Il faut plus d’une année de montage pour y parvenir. Quand j’ai commencé, j’avais cent trente heures de rushs. Comme je n’ai aucune idée de structure ou de thème par avance, il me faut étudier tous les rushs et choisir. Je visionne tout et je prends des notes, en suivant les principes du guide Michelin ! Je mets une, deux ou trois étoiles à chaque séquence et je commence à monter.

    Au bout de six ou sept mois, j’ai trouvé tout ce qui peut être utilisé et je connais très bien l’ensemble du matériau. Je fais alors un premier assemblage qui dépasse d’une quarantaine de minutes la longueur finale du film. Je travaille ensuite sur le rythme des séquences et à l’intérieur des séquences elles-mêmes. C’est encore plus important pour le ballet que pour tout autre sujet car la danse est liée au mouvement.

    Je dois trouver le bon tempo pour que les images des pieds ou des mains s’enchaînent avec les prises de la séquence suivante. J’ai beaucoup aimé ce côté du travail. Je n’aime pas commencer un film en sachant ce que je vais raconter. L’intérêt est de découvrir. Si on veut démontrer quelque chose, on ne tourne que ce qui va dans ce sens. On perd toute objectivité. Je trouve plus intéressant de voir chaque film comme une aventure, sans savoir comment elle va se terminer.

     

    Beaucoup de séquences concernent tout ce qui constitue la vie du ballet en dehors des répétitions, comme les réunions de travail avec les danseurs, les syndicats, les sponsors. Brigitte Lefèvre y est omniprésente. Il en ressort une image très forte de son rôle à la tête de cette compagnie qu’elle maintient au plus haut niveau.

    Elle est le centre de tout. J’ai beaucoup d’admiration pour elle. Elle est très intelligente, sensible, ouverte aux gens. C’est un patron magnifique. Toutes les décisions passent par elle, même si elle est très bien entourée. C’est en outre grâce à elle que le répertoire a pu s’ouvrir si largement à la création contemporaine sans perdre pour autant son rôle de gardien du patrimoine. Bien que j’aie déjà travaillé sur la danse avec mon film sur l’American Ballet Theatre, j’ai été fasciné à l’Opéra par la manière dont la tradition se transmettait de génération en génération. Les professeurs sont tous d’anciens danseurs ou d’anciennes Étoiles et il y a une rigueur phénoménale dans le travail, une discipline extraordinaire.

    C’est un système d’éducation calqué sur ce qu’était l’éducation générale au XIXe siècle, où l’on commence très jeune à acquérir des connaissances. Si on ne peut pas suivre, on est éliminé et cela produit de très grands danseurs. J’ai beaucoup tourné dans les lycées américains et je me suis dit qu’on ferait bien de s’y inspirer un peu de la discipline des danseurs de Paris !

    Quand j’ai travaillé avec l’American Ballet Theatre, j’ai commencé par rencontrer tous les danseurs ensemble. À Paris, j’ai d’abord vu Brigitte Lefèvre, puis chaque catégorie de danseurs séparément, Étoiles, Premiers Danseurs, Corps de ballet. Ce respect de la hiérarchie m’a semblé être significatif de ce qu’est aussi aujourd’hui la société française où le système des classes est dans une certaine mesure plus rigide que chez nous. Je pense que le travail de chaque grande compagnie de danse est à l’image de la société de son pays.

     

    Le 02/10/2009
    GĂ©rard MANNONI


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