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ENTRETIENS 24 avril 2024

Sébastien Bertaud,
danseur avant tout

Coryphée dans le Corps de ballet de l’Opéra national de Paris, Sébastien Bertaud a déjà dansé maints rôles de soliste. Chorégraphe dans l’âme, il a signé plusieurs pièces marquantes. Rencontre avec un jeune artiste en plein essor après un début de parcours atypique, et qui suit parallèlement au ballet les cours à Sciences Po.
 

Le 28/10/2009
Propos recueillis par Gérard MANNONI
 



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  • Votre relation à la danse a-t-elle commencé par un coup de foudre, un hasard, un enchaînement de rencontres ?

    Plutôt un enchaînement de hasards. J’habitais Bordeaux et pratiquais la gymnastique. Le club que je fréquentais a fermé et on m’a orienté vers un cours de danse, pour continuer une discipline physique. Cela m’a plu et un an plus tard, on m’a conseillé de m’inscrire au Conservatoire de Bordeaux, pour tenter ma chance en danse et en piano. J’ai été pris aux deux. Après beaucoup d’hésitations, j’ai choisi la danse que je trouvais plus ludique, plus axée sur le corps, sans doute moins fastidieuse que de longues heures assis derrière un instrument.

    Je me suis parfois demandé quelle aurait été ma vie si j’avais fait l’autre choix à ce moment-là ! Mon professeur de danse a su éveiller mon intérêt et même ma passion en me montrant des vidéos, des livres, en me faisant découvrir l’Opéra de Paris dont j’ignorais l’importance. J’ai alors compris que la danse pouvait être un métier. Une révélation, car à cet âge, je songeais plutôt à devenir pompier ou archéologue…

    Soudain, l’idée d’aller en scène danser sur de la musique, avec des costumes, des lumières, devant des gens, m’a paru très festive, très joyeuse, très séduisante. Mon professeur m’a alors proposé de me présenter à l’École de Danse de l’Opéra, la meilleure filière possible pour devenir professionnel.

     

    Et là, vous avez rencontré un problème.

    En effet, car je n’ai pas été pris ! Mes parents m’ont alors suggéré, puisque j’étais très motivé, de travailler encore une année, pour réfléchir et voir comment je pourrais continuer. J’avais été piqué au vif par cet échec. J’ai donc redoublé d’efforts, passé de petits concours régionaux et finalement présenté le Conservatoire National Supérieur de Danse de Paris où j’ai été admis.

    J’avais 14 ans. C’est au cours des démonstrations que Gilbert Mayer m’a vu et m’a conseillé d’écrire à Claude Bessy pour demander à être pris comme élève payant à l’École de danse de l’Opéra. Elle a accepté et quatre mois plus tard, à l’issue d’une tournée au Japon, elle m’a intégré normalement dans l’École. Hasard ou chance ? J’avais participé à cette tournée, car j’étais le seul à rentrer dans le costume !

    En outre, au cours de cette même tournée, Serge Golovine m’a aussi remarqué, fait travailler en plus et je suis passé premier à l’examen de fin d’année, me retrouvant désormais avec ceux qui avaient été acceptés d’emblée quatre ans auparavant quand je m’étais présenté, et qui sont aujourd’hui encore mes collègues et amis.

    J’ai donc passé trois années à l’École de danse avant d’entrer dans le Corps de ballet. Au CNSM, j’avais reçu en de multiples domaines un enseignement très diversifié, mais j’avais souvent du mal à trouver de bons cours et devais parfois faire l’aller-retour sur Bordeaux. À l’École de danse, j’ai vraiment savouré les conditions de rêve que nous avions : tout sur place et les meilleurs professeurs.

    Et puis il y avait les spectacles. En seconde division, j’ai été choisi par John Neumeier pour Yondering. Sa gestuelle me correspondait bien et fut pour moi une source de progrès. En première division, j’ai ensuite dansé les Sept danses grecques de Maurice Béjart, une expérience fabuleuse ! À 17 ans, travailler avec Béjart qui nous parlait avec Claude Bessy de la Grèce, de la danse, pendant des heures ! Cela crée forcément des envies durables. Tout ce que je fais à l’Opéra depuis, je l’ai rêvé à l’École à ce moment-là.

     

    Le passage à la vraie vie professionnelle dans le Corps de ballet n’est-il pas difficile après une prise en charge aussi personnelle ?

    Cela dépend des gens. Comme mes parents habitaient Bordeaux, j’avais des correspondants à Paris qui étaient les parents de Dorothée Gilbert. J’ai donc fait toutes mes classes et suis entré dans la compagnie en même temps qu’elle. Son parcours a été très rapide et exemplaire, puisqu’elle est Étoile. Le mien est plus lent car j’ai mis du temps à me resituer par rapport à l’École où j’étais toujours premier, où je travaillais avec des chorégraphes, où j’avais de rôles.

    Je pensais continuer à progresser vite, mais quand on rentre dans la compagnie, il faut en quelque sorte recommencer à zéro, faire le dernier rôle derrière tout le monde, n’avoir plus qu’un cours par jour avec des conseils moins personnalisés. Il m’a fallu du temps pour trouver ma place, comprendre, me mesurer aux concours avec des gens plus âgés que moi, retrouver l’énergie et le dynamisme que j’avais à l’École.

    Il faut aussi discerner quels type de rôles seront pour nous, avec qui l’on a des affinités artistiques, dans quelles directions travailler. Et puis c’est très impressionnant de se trouver quotidiennement avec des danseurs qui sont infiniment plus avancés que vous, notamment les Étoiles qui vous dépassent tellement ! C’est tout un nouvel apprentissage qui commence et qui exige beaucoup d’autodiscipline. On comprend aussi qu’il faudra de la patience.

     

    Quels ont été alors les rencontres ou les prises de rôle qui vous ont fait aller de l’avant ?

    À l’Opéra, nous avons la chance extraordinaire d’être confrontés non seulement au grand répertoire traditionnel donné dans des productions d’une qualité unique au monde et préparé avec d’excellents maîtres de ballet comme Patrice Bart et Laurent Hilaire que j’admire particulièrement, mais aussi à des créations ou à des rencontres avec les plus grands chorégraphes qui viennent pour l’entrée au répertoire de l’une de leurs œuvres.

    Il y a alors des auditions et je trouve cela absolument passionnant. Pouvoir être choisi par des créateurs comme Pina Bausch, Robyn Orlin, Sasha Waltz, danser du Forsythe, du Preljocaj, du Mats Ek, ou travailler avec des nouveaux chorégraphes comme Benjamin Millepied, c’est un enrichissement exaltant, d’autant que le soir suivant vous pouvez danser dans un grand classique.

    J’ai travaillé avec toutes ces personnalités incroyables mais dansé aussi le chef des gitans dans Don Quichotte, le Fakir dans la Bayadère, le Prince de Cendrillon aux cotés d’Eve Grinsztajn, Rothbart du Lac des cygnes au spectacle Jeunes danseurs, et Lacenaire dans les Enfants du paradis de José Martinez. Quand j’ai choisi comme variation libre pour le concours un solo d’Appartement de Mats Ek, je l’ai mis au point avec Mariko Haoyama, une rencontre formidable. Tout cela vous aide à comprendre la profondeur du travail à faire et ce qu’est la maturité.

     

    Vous êtes non seulement danseur mais chorégraphe. Un besoin viscéral de création ?

    À 14 ans, je composais déjà de petites pièces pour moi-même. Cela me paraît aussi normal que prendre un cours ou participer à un spectacle. Créer fait partie de mes préoccupations naturelles. Ma priorité absolue est d’être danseur de l’Opéra, mais je peux aussi proposer des essais en développant ma propre esthétique. C’est une chance immense d’avoir cette liberté.

    J’ai donc réalisé plusieurs petites pièces très personnelles qui explorent divers univers, comme celui de la théâtralité, de la présence, de l’image. Après ma rencontre avec Sasha Waltz, j’ai compris que l’on pouvait être à la fois très contemporain et aimer aussi le mouvement. J’ai fait depuis un duo Métamorphose dans ce sens, avec un travail plus poussé sur la technique et sur l’écriture chorégraphique.

    Pour mes premiers essais, j’ai eu aussi la grande chance de rencontrer des gens qui étaient disponibles et avaient envie de collaborer à mon travail, de très grandes personnalités comme Marie-Agnès Gillot, Dorothée Gilbert, Jean-Marie Didiére et même Cyril Atanassof. Maintenant, je travaille davantage avec des gens de ma génération comme Vincent Chaillet ou Lorène Levy. Nous réfléchissons ensemble comment faire évoluer notre travail commun.

     

    Comment nourrissez-vous votre travail ?

    Je suis passionné par toutes les formes d’expression artistique. À Paris, on peut aller au théâtre, au concert, au cinéma, voir des expositions, de la danse, à longueur d‘années. Je m’y précipite dès que je le peux, quand nous ne sommes pas pris par les répétitions ou les spectacles.

    J’ai vu quasiment l’intégralité des spectacles de danse du Théâtre de la Ville de ces dernières années. J’ai adoré suivre certains créateurs comme Christian Rizzo ou Koen Augustijnen. Je connaissais aussi tous les travaux de Juan Cruz et Luc Dunberry et quand ils sont venus monter le Roméo et Juliette de Sasha Waltz, ce fut un grand bonheur de les rencontrer.

     

    Vous bénéficiez également d’une formation particulière à Sciences Po. Comment cela s’est-il greffé sur votre travail de danseur ?

    C’est en allant danser Orphée et Eurydice de Pina Bausch au festival de Düsseldorf avec l’Opéra, que j’ai appris qu’une danseuse de Wuppertal faisait des études de droit parallèlement à sa carrière, et que Pina elle-même encourageait ce type de formation qu’elle jugeait épanouissant pour toute personne et en particulier pour un artiste. Je me suis donc renseigné sur ce qui pouvait exister de similaire chez nous.

    Sciences Po veut permettre à des élèves de formations variées d’accéder à ces études et comme Brigitte Lefèvre et Bernard Stirn ont établi avec cette grande école des liens depuis pas mal d’années, j’ai appris que certains danseurs de l’Opéra qui en manifesteraient le désir, pourraient suivre, après examen de leur dossier, comme des sportifs de haut niveau tel Richard Gasquet, une formation parallèle, sur mesure, pour acquérir un bagage académique et à terme le diplôme de cette école… si l’on réussit à l’avoir.

    L’Opéra a donc accepté que je m’engage dans ce qui demande beaucoup de travail. Je dois reconnaître que tout mon temps libre y passe désormais, y compris celui des vacances. C’est une grande chance que comme Pina Bausch, Brigitte Lefèvre comprenne et accepte qu’un danseur de sa compagnie puisse avoir envie de tenter un tel parcours, dans la mesure où cela n’ampute pas son travail d’artiste du Corps de ballet.

    Depuis que je fais ces deux parcours, je me sens d’ailleurs encore plus stimulé pour la danse elle-même, car cela crée une sorte d’urgence extrêmement positive. J’espère maintenant non seulement continuer à monter dans la hiérarchie du Corps de ballet pour accéder à des rôles plus importants, mais parvenir au bout de ce cycle qui pourra m’ouvrir, si je réussis à obtenir le diplôme final, des horizons nouveaux.

    C’est une perspective très stimulante, mais pour le moment, je tiens à être d’abord et avant tout un danseur de l’Opéra de Paris.

     

    Le 28/10/2009
    Gérard MANNONI


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