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ENTRETIENS 26 avril 2024

Camilla Nylund,
Salomé d’acier juvénile

© Markus Hoffmann

Difficile de succéder aux torches vives qui enflammèrent la scène de la Bastille dans la très sage Salomé signée Lev Dodin. Soprano lyrique trempé dans l’acier, la Finlandaise Camilla Nylund a sur Karita Mattila et Catherine Naglestad l’avantage de son expérience du rôle-titre, et plus encore d’un timbre aux reflets enfantins.
 

Le 04/11/2009
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



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  • Vous chantez SalomĂ© depuis cinq ans. Comment l’avez-vous apprivoisĂ©e ?

    Avant d’apprendre le rôle, je suis allée voir mon professeur pour savoir si j’étais capable de le chanter, et je me suis rendue compte en le travaillant qu’il convenait très bien à ma voix. J’ai eu la chance de l’aborder sous la direction de l’actrice allemande Katharina Thalbach, qui l’avait joué au théâtre. Elle avait de ce fait une parfaite connaissance du texte et savait comment incarner une jeune fille sur scène. Son approche très musicale m’a aidée à intégrer les gestes au chant. Je l’ai ensuite repris à Vienne pour mes débuts à la Staatsoper, dans une mise en scène beaucoup plus traditionnelle des années 1970.

     

    Il vous faut ĂŞtre Ă  la fois chanteuse, actrice et danseuse.

    Salomé représente un défi pour les trois. Il faut une grande flexibilité pour tenir le rôle d’un bout à l’autre en assumant à la fois le lyrisme et le dramatisme. Et puis, comment ressentir à travers le corps, les mouvements les huit à onze minutes – selon le tempo – de la Danse des sept voiles, qui peuvent sembler très longues lorsqu’on commence à travailler la chorégraphie ? C’est une question inhabituelle pour un chanteur.

     

    La production de Lev Dodin est assez traditionnelle.

    Elle l’est en effet tant par le décor et les costumes que la mise en scène. Je peux donc la nourrir de mon expérience du rôle, et proposer ma propre vision.

     

    Quelle est la part d’enfance qui subsiste en Salomé ?

    C’est une adolescente. Elle n’est plus une petite fille, mais pas encore une adulte. C’est pourquoi Strauss lui prête des couleurs vocales aussi variées, qu’une femme n’aurait pas. J’espère que le chef d’orchestre saura maintenir l’équilibre pour m’aider à dialoguer avec les musiciens et parvenir à révéler la magie des pages les plus lyriques.

     

    Est-ce l’attirance charnelle ou la poursuite de son caprice qui prime dans la fascination que Salomé éprouve pour Iokanaan ?

    Elle est attirée par lui parce qu’il représente quelque chose de totalement nouveau. Elle vit dans un monde très étrange, avec sa mère et son beau-père dans un palais où personne ne lui dit jamais non. C’est une enfant gâtée. Mais cette situation la rend malheureuse parce qu’elle sent que quelque chose lui manque. Comme toute adolescente, elle cherche à trouver sa propre voie.

    Iokanaan la fascine parce qu’il dit, seul contre tous, et assez fort pour que chacun l’entende, du mal de sa mère et de son beau-père. Lorsqu’elle le voit pour la première fois, c’est un monde totalement différent qui se révèle à elle. Elle est gagnée par un sentiment qu’elle n’a jamais éprouvé auparavant. Serait-ce l’amour ? Mais ils ne pourront jamais se comprendre. Leur dialogue n’est qu’une alternance de monologues : Iokanaan parle de Dieu, Salomé n’a de mots que pour décrire son émerveillement face au prophète.

     

    Par là même, il l’éveille à la cruauté, d’abord envers Narraboth, puis lui-même.

    Salomé n’a que faire du sort de Narraboth. Dans cette production, elle n’y prête même pas attention, elle est totalement absorbée par Iokanaan. Le jeune garde n’a été qu’un moyen pour parvenir à ses fins, ouvrir la citerne pour qu’en sorte le prophète. Pourquoi en arrive-t-elle à demander sa tête dans un bassin d’argent ?

    Lorsque je répète, puis durant les représentations, j’essaie de voir à travers ses yeux, de ressentir ce qu’elle ressent dans ce monde si différent du nôtre, qui n’est pourtant pas avare de cruauté. Elle est désespérée, et peut-être aussi un peu folle. Lorsque lui vient l’idée d’obtenir la tête du prophète, elle ne pense plus qu’à son accomplissement. Iokanaan dit des choses étranges sur les femmes, et peut-être les entend-elle. Elle veut prouver à cet être qui dit ne rien craindre, que rien ne peut lui être refusé, fût-ce au prix de la vie.

     

    La relation de Salomé à sa mère et son beau-père est à cet égard particulièrement malsaine.

    Je suis toujours fascinĂ©e par les rapports entre ces trois personnages, ce qu’ils font, ce qu’ils voient, ce qu’ils se disent. Chaque production permet d’explorer de nouvelles facettes. Pourquoi HĂ©rodiade ne veut-elle pas que SalomĂ© danse ? A-t-elle peur de ce qu’elle va demander Ă  HĂ©rode ? Peut-ĂŞtre craint-elle pour sa propre vie, après ce que SalomĂ© a entendu dire d’elle. Est-ce la vĂ©ritĂ© ou de simples ragots ? « Sie ist in Wahrheit ihrer Mutter Kind ! Â» (C’est bien la fille de sa mère), dit HĂ©rode. SalomĂ© ne peut dès lors que s’interroger. Est-elle vraiment comme cette femme ? Est-elle aussi cruelle qu’elle ? En quoi sont-elles semblables ?

     

    Comment traversez-vous une Ĺ“uvre aussi intense ?

    SalomĂ© est comme un voyage. Je connais les points de dĂ©part et d’arrivĂ©e, mais le chemin qui les relie est toujours Ă  redĂ©couvrir. Strauss a nĂ©anmoins bien fait les choses, et j’ai le temps de me reposer entre la danse et la scène finale, puisque je n’ai qu’à rĂ©pĂ©ter une dizaine de fois : « Ich will den kopf des Jochanaan ! Â» (Je veux la tĂŞte de Iokanaan !)

     

    Vous considérez-vous davantage comme un soprano lyrique ou dramatique ?

    Je suis ce que les Allemands appellent une Jugendlichdramatisch, un soprano lyrico-dramatique. Je veux continuer à chanter aussi longtemps que possible des rôles lyriques pour conserver la jeunesse de ma voix. Elle n’en a pas moins grandi depuis que j’ai abordé Salomé. Cet opéra me permet de tester mes possibilités, et je ne crains plus aucun rôle depuis que je l’ai inscrit à mon répertoire.




    À voir :
    Salomé de Richard Strauss, mise en scène Lev Dodin, direction Alain Altinoglu, Opéra Bastille, du 7 novembre au 1er décembre.

     

    Le 04/11/2009
    Mehdi MAHDAVI


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