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ENTRETIENS 25 avril 2024

Philippe Jordan prend la Bastille

Dans Ariane à Naxos puis le Chevalier à la rose, la fluide autorité du geste de Philippe Jordan a eu l’heur de séduire les musiciens de l’Orchestre de l’Opéra de Paris. C’est donc tout naturellement avec Strauss et sa Symphonie alpestre que le chef suisse prend ses fonctions de directeur musical. Un poste où il a l’avantage de ne succéder à personne.
 

Le 12/11/2009
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



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  • L’absence de directeur musical ces cinq dernières saisons a-t-elle eu une incidence sur l’identitĂ© de l’Orchestre de l’OpĂ©ra de Paris ?

    La diversité des chefs instituée par Gerard Mortier était une très bonne idée pour permettre à l’orchestre de montrer sa flexibilité. Sur le long terme, il n’en est pas moins important pour un orchestre d’opéra de pouvoir travailler régulièrement avec un directeur musical, forger un son, une ligne commune : il faut mettre le couvert avant de passer à table. L’orchestre n’a cependant rien perdu ces cinq dernières années. Cette situation a donné aux musiciens la chance de se demander qui ils étaient, ce qu’ils voulaient, des questions auxquelles cette phalange me paraît très attachée. Il s’agit maintenant de lui redonner une forme, tant musicalement et stylistiquement que du point de vue de l’organisation, de la préparation.

     

    Quelle est justement, aujourd’hui, l’identité sonore de cet orchestre ?

    Le son est très français. J’admire sa transparence, sa clarté, qui apportent aussi beaucoup aux chanteurs. La petite harmonie est formidable. Avoir des vents tellement brillants et flexibles en même temps est une spécificité très française. J’aime aussi beaucoup la passion de cet orchestre pour le théâtre. Les musiciens sont toujours très attentifs à ce qui se passe sur scène.

     

    D’où vient votre passion pour le théâtre, dont témoigne votre engagement de chef lyrique ?

    Diriger le répertoire symphonique est extraordinaire, c’est indiscutable, mais j’adore le théâtre. Mon père était plutôt un chef lyrique, et ma mère était danseuse. Tout petit déjà, j’ai eu la chance de visiter les théâtres, de suivre les répétitions. De plus, j’ai reçu une formation à l’ancienne, d’abord répétiteur, puis Kapellmeister et assistant.

    Mon père m’avait dit à l’époque que c’était la meilleure façon d’apprendre mon métier, et je lui en suis toujours reconnaissant. Plutôt que de passer six ans au conservatoire à apprendre la théorie et ne diriger l’orchestre qu’une demi-heure par semestre, j’ai accompagné des répétions au piano en réduisant les partitions à vue, travaillé les rôles avec les chanteurs, dirigé des parties de scène orchestre afin que le chef puisse écouter.

    Et lorsqu’on vous jette dans la fosse pour diriger des comédies musicales, des opérettes sans répétition, il faut nager ! Car il s’agit non seulement d’accompagner les voix, mais aussi de regarder les danseurs, d’être attentif aux changements de décors, aux éclairages, aux acteurs, aux dialogues. Cela m’a beaucoup apporté, tant techniquement que psychologiquement. Ce métier demande en effet beaucoup de sensibilité, surtout avec les chanteurs, qui n’ont pas dans les petites maisons les mêmes capacités que dans les grandes : il faut savoir comment dire les choses pour en obtenir le meilleur.

     

    Dans quel état d’esprit avez-vous accueilli la proposition de Nicolas Joel ?

    Je n’ai évidemment pas pris ma décision à la légère. Une grande chance m’a été offerte, mais cette maison, ou plutôt ces deux maisons sont immenses, et j’étais conscient de l’ampleur non seulement de la tâche artistique, mais aussi technique. C’est pourquoi j’ai beaucoup discuté avec Nicolas Joel, et négocié un contrat qui me laisse suffisamment de marge de manœuvre.

     

    D’aucuns vous ont reproché, avant même que vous ne preniez vos fonctions, de ne pas être suffisamment présent pour votre première saison.

    Et je suis d’accord avec eux. Je regrette notamment de ne pas avoir fait l’ouverture de la saison. Mais mon contrat de premier chef invité à la Staatsoper de Berlin prévoyait une nouvelle production à ce moment-là. Il était parfaitement clair pour Nicolas Joel que je devais le respecter. Nous avons donc décidé de programmer le Ring dès notre première saison, afin que je puisse diriger un ouvrage suffisamment puissant. C’est pour cette raison, aussi, que je donne trois concerts symphoniques. Mais je compte me rattraper dès la saison prochaine.

     

    Accordez-vous beaucoup d’importance à ce qu’un orchestre de fosse joue le répertoire symphonique ?

    Particulièrement un tel orchestre, qui dispose de grandes personnalités, et dans une ville comme Paris, où il doit tenir sa place face aux autres formations. Il est important que l’orchestre joue sur le plateau. C’est une autre attitude. Il en va de même pour les orchestres symphoniques qui jouent de l’opéra quelques fois par an.

     

    Pourquoi avoir choisi pour ce premier concert Strauss et Ligeti plutôt que de la musique française ?

    J’ai préféré éviter le répertoire français jusqu’à une période récente, parce qu’il est fortement associé à mon père, qui le dirigeait très bien, et que je ne voulais pas lui être comparé d’emblée. Cela va changer doucement, bien sûr, et avec ce poste naturellement, mais je ne voulais pas m’y mesurer dès le début de ma première saison. J’aurais en revanche souhaité dirigé le chœur, d’autant qu’il n’apparaît ni dans l’Or du Rhin, ni dans la Walkyrie, mais il n’était malheureusement pas disponible.

    Il n’en fallait pas moins une partition suffisamment consistante. Strauss permet d’inscrire mon travail avec l’orchestre dans une continuité, puisqu’il a déjà joué Ariane à Naxos puis le Chevalier à la rose sous ma direction. De plus, la Symphonie alpestre compte beaucoup de références à l’Or du Rhin, et plus largement à des éléments wagnériens. Quant à Ligeti, l’intimiste, la brièveté de son Concerto pour violon créent un contraste idéal en pimentant la douceur de Strauss.

     

    Appréhendez-vous de diriger dans le Ring un orchestre qui ne l’a jamais joué, l’Opéra de Paris n’ayant pas présenté le cycle dans son intégralité depuis plus de cinquante ans ?

    Nous partons sur des bases saines, puisqu’il s’agit d’un bon orchestre. Il est fascinant, pour un chef, de ne pas avoir à lutter contre le poids d’une tradition et de disposer ainsi d’une page blanche. Nous avons la chance de l’aborder progressivement, volet par volet, et non comme je viens l’ai fait à Zurich en cycles complets. Nous verrons donc en répétitions comment les choses se développent. Nous ne pourrons évidemment pas jouer le Ring à la française, et il nous faudra chercher un style allemand, dans les coups d’archet, les phrasés, un certain sens du drame, mais la qualité de l’orchestre, de ses individualités et sa transparence caractéristique vont beaucoup nous aider dans un tel ouvrage.

     

    Votre vision de la Tétralogie s’inscrit-elle dans une lignée particulière ?

    Je l’espère. À Zurich, qui est une toute petite maison, Franz Welser-Möst m’avait précédé avec une lecture très chambriste, quelquefois un peu trop à mon goût, mais qui fonctionnait très bien dans un théâtre de cette taille et faisait du bien à cette partition. J’imagine très bien l’identité sonore de l’orchestre de l’Opéra de Paris m’entraîner dans une direction similaire, à ceci près que la fosse nous permet seize premiers et seize seconds violons, douze violoncelles, et non pas dix.

     

    Les dimensions, l’acoustique de la Bastille sont-elles adaptées à une lecture chambriste ?

    J’en suis absolument convaincu. Il y a un petit secret qu’il faut toujours expliquer aux politiciens qui veulent faire des économies en réduisant les effectifs des orchestres. Plus il y a des cordes, meilleurs sont les piani. Karajan menaçait toujours d’ajouter un pupitre si l’orchestre ne jouait pas plus piano. Je n’ai certes dirigé ici que deux productions – dont Ariane à Naxos, qui a bien fonctionné grâce à l’idée de Gerard Mortier de monter la fosse –, mais l’acoustique ne m’a pas semblé si mauvaise. Ma toute première expérience des lieux remonte à une vingtaine d’années. J’y ai entendu Elektra alors que la peinture était encore fraîche. L’orchestre ne couvrait jamais les voix, mais semblait toujours un peu distant.

     

    La pénurie de voix wagnériennes est-elle réelle ?

    Elles existent, mais le choix s’est considérablement restreint. Peut-être a-t-on une Brünnhilde ou deux, mais plus cinq comme par le passé. Non plus que de Wotan. Quant à Siegfried, je n’en connais même pas un demi. 2013 s’annonce difficile pour les théâtres. Et si je veux diriger du Verdi, on me répondra que c’est encore plus difficile.

     

    Quels chemins empruntez-vous à travers les répertoires ?

    Je ne suis pas un spécialiste, et ne veux pas l’être. Avec ce Ring, la pente wagnérienne s’accentue, mais j’espère vraiment continuer à diriger les Italiens, les Français, et d’autres encore. Il me reste beaucoup à faire et découvrir. Mon répertoire compte actuellement une cinquantaine d’opéras, qu’il me faut approfondir. J’ai le désir de faire un jour Pelléas.

     

    Qu’est-ce que votre nouvelle fonction de directeur musical de l’Opéra de Paris va changer à votre carrière, votre vie ?

    Depuis mon départ de Graz il y a cinq ans, j’ai mené une vie de chef invité, toujours dans l’avion, les chambres d’hôtels. Je me réjouis de pouvoir enfin m’installer, avoir un chez moi et un lit ! Pour le lyrique, ma collaboration avec d’autres orchestres va se restreindre, mais je dois quand même garder mes contacts pour le symphonique.

     

    Quels sont les avantages et les inconvénients d’un théâtre de stagione par rapport à un théâtre de répertoire ?

    Il est très agréable pour un chef de pouvoir répéter longtemps. J’ai dirigé Salomé à Berlin il y a deux semaines avec seulement deux répétitions. Et pourtant, je reste partagé. Je ne peux certes pas me plaindre de retrouver les mêmes musiciens de la première répétition à la dernière représentation, sans être soumis au hasard. Mais cela me manque parfois.

    Lorsque j’ai dirigé Eugène Onéguine à Londres, l’énergie s’est un peu évaporée durant les répétitions, sans que je sois capable de la retenir, et le spectacle était routinier. Mais le deuxième hautbois est tombé malade et a été remplacé par quelqu’un qui n’avait jamais joué dans cette production, nous stimulant, la petite harmonie et moi. À Vienne, les combinaisons de personnalités peuvent parfois ne pas fonctionner, mais sont quelquefois extraordinaires.

     

    Pouvez-vous lever le voile sur vos futurs projets à l’Opéra de Paris ?

    Il est encore trop tôt…




    À voir :
    Concert symphonique à la tête de l’Orchestre de l’Opéra national de Paris, Opéra Bastille, samedi 14 novembre à 20h.
    Wagner : l’Or du Rhin, mars 2010, la Walkyrie, mai-juin 2010, Opéra Bastille.

     

    Le 12/11/2009
    Mehdi MAHDAVI


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