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ENTRETIENS 08 mai 2024

Jean-Paul Fouchécourt, Platée de caractère

Telle qu’en elle-même, revoici Platée, à travers les regards complices de Marc Minkowski et Laurent Pelly. Surtout, la naïade ridicule reprend les traits, la voix de Jean-Paul Fouchécourt qui si naturellement collent à sa peau visqueuse, ses coassements ingénus. Mais sous ses airs de joyeux caractère, le ténor français creuse tendrement la faille.
 

Le 30/11/2009
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



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  • PlatĂ©e compte parmi vos rĂ´les fĂ©tiches. Comment Ă©vite-t-on, de reprise en reprise, de reproduire Ă  l’identique, sinon de tomber dans la routine ?

    La richesse d’un rôle tel que Platée le préserve de la routine. L’avantage de la musique ancienne est de conserver malgré tout une part d’improvisation, notamment dans l’ornementation, qui permet de ne pas passer en pilote automatique, dans un cadre fixé par une partition trop rigide.

    Participer à des productions différentes, qui ouvrent de nouvelles perspectives, est intéressant, mais je me suis rendu compte qu’avec ce type de rôle, la forme n’avait pas tant d’importance. Car dans le fond, le personnage demeure, quand bien même il faut s’adapter aux changements de partenaires, qui mènent parfois dans des directions inattendues. J’ai chanté Platée environ soixante fois, dans deux productions très différentes, et je vais le faire encore avec plaisir.

     

    Ces productions se sont-elles nourries l’une l’autre à travers votre incarnation ?

    Le chorégraphe Mark Morris a mis en scène la production du Royal Opera House en s’attachant davantage à la forme, c’est-à-dire aux danses, qu’au fond du personnage. Il s’agissait de ma prise de rôle, et j’ai en un peu fabriqué quelque chose. Morris a beaucoup chargé le comique de la pièce, alors qu’elle n’est justement pas drôle du tout. L’histoire est même absolument affreuse.

    Lorsque j’ai refait Platée avec Laurent Pelly, ma connaissance du rôle m’a permis d’aller plus loin dans le travail d’acteur. Nous avons approfondi la psychologie du personnage, et des aspects que je n’avais pas décelés ont changé. Lors de la reprise de la production de Mark Morris en 2000 au New York City Opera, j’ai essayé de gommer un peu la drôlerie du rôle, en le nourrissant justement de mon travail avec Laurent Pelly. Cela dit, j’avais beaucoup contribué à ce que nous ne tombions pas dans la pure comédie, notamment à la fin, pour respecter ce que dit cette pièce sur la différence, la moquerie, l’effet de groupe.

     

    D’autant que malgré son travesti bouffe, Platée ne s’est pas évadée de la Cage aux folles…

    Il ne faut pas jouer la femme, juste des attitudes. Un numéro de travelo n’intéresserait personne. Imaginer Platée incarnée par une femme serait affreux. Le fait qu’elle soit chantée par un homme rend sa représentation moins cruelle. J’essaie de ne pas en rajouter, car le personnage n’est pas drôle en soi, mais dans la situation qui est jouée. Ce rôle est fragile et périlleux. La tessiture est très haute, et avec le temps, je dois vraiment compter sur ma technique et mon expérience pour le tenir. Trouver un acteur capable de le transcender est encore plus difficile.

     

    Contrairement à Paul Agnew, avec lequel vous alternez et qui signe un contre-emploi génial, vous semblez vous confondre avec ce rôle.

    Tant mieux si cela semble être le cas. Comme petit garçon, j’ai été malmené à l’école à cause de ma taille – qui est par la suite devenue une force. Je sais donc quelle peut être la cruauté d’un enfant envers un autre enfant. Ce fond de ma personnalité doit certainement ressortir dans Platée. Et si un rôle correspond à ma taille, à ma voix, c’est bien celui-ci. Mon histoire dans le monde baroque fait que je suis arrivé au bon moment pour l’interpréter. Je n’en fais pas une composition. J’ai envie que les spectateurs mêmes se rendent compte à quel point ils ont été cruels de regarder cela et d’en rire.

     

    Où se situe Platée sur le plan musical et de la tessiture par rapport aux autres rôles que Rameau a écrit pour Jélyotte, auquel vous avez consacré une anthologie chez Naxos ?

    Le style est le même, mais le traitement de la voix et de la tessiture est clairement comique. Les autres rôles écrits pour Jélyotte sont plus héroïques. Les airs de Dardanus ou Castor ne sont pas si éloignés de Mozart. Peut-être notre esthétique nous impose-t-elle un chant plus lyrique, mais cette conception relève de l’anachronisme.

    Comment les hautes-contres, même héroïques, de Rameau émettaient-elles leurs aigus, au regard des tessitures qui leur étaient destinées ? N’oublions pas que Jélyotte s’est retiré de la scène de l’Opéra à 42 ans, alors qu’il a vécu très vieux. La manière de chanter à l’époque n’était donc pas forcément bonne pour la santé vocale selon les critères d’aujourd’hui, à l’instar des exigences stylistiques propres à la musique française.

     

    Dans la scène finale, l’écriture du rôle-titre bascule soudain dans l’héroïsme.

    C’est en effet un drôle de problème, car on se retrouve brusquement dans une embouchure vocale différente. Ce Quoi ! Quoi ! Quoi ! Quoi ! devrait être absolument affreux, et certains y cherchent à tort du beau son. J’ai essayé au début d’en faire carrément un cri, mais les mines déconfites autour de moi m’en ont dissuadé, de peur d’être taxé d’expressionnisme. J’y ai néanmoins renoncé à contrecœur.

     

    Quel a été l’apport de Marc Minkowski à votre conception du personnage ?

    Avec Marc, la musique est Ă©vidente. Cela fait vingt-deux ans que je travaille avec lui au moins une fois par an, et nous nous connaissons par cĹ“ur. Sa prĂ©sence en concert ou pendant les reprĂ©sentations est formidable. C’est un vĂ©ritable accompagnateur. Lorsque nous prĂ©parions la crĂ©ation de cette production, il nous avait dit: « J’ai rĂ©flĂ©chi au langage des grenouilles ! Â» Et c’est ainsi que chaque quoi s’est transformĂ© en coâ. Nous connaissions Ă  l’époque la partition aussi bien l’un que l’autre, et je pense lui avoir apportĂ© autant qu’il m’a apportĂ©.

     

    Marc Minkowski nous disait qu’à chaque reprise de cette production, il avait le sentiment que vous ne vous étiez jamais arrêtés.

    En 2006, j’étais au Met pour une reprise de Manon, et je ne suis arrivé qu’à la générale piano. J’ai fait deux scène-orchestre, et n’ai donc quasiment pas travaillé avec Marc. Tout le monde a été surpris que la première se passe aussi bien et facilement. J’avais en effet l’impression d’avoir fait cette production la veille. Il est d’ailleurs préférable de ne pas trop répéter une mise en scène comme celle-ci, parce que l’on s’use à force d’en connaître tous les trucs. Je préfère garder l’excitation de la concentration jusqu’au bout.

     

    À cet égard, Marc Minkowski nous avouait avoir peut-être trop chargé certains effets lors de la dernière reprise de Platée, et vouloir revenir à davantage de clarté, de pureté.

    Il a raison. Plutôt que de reprendre la partition de mémoire, je l’ai relue et me suis rendu compte que j’avais transformé certains détails, oublié un ornement par-ci, par-là. Il est important de revenir aux sources d’un ouvrage lorsqu’on l’a beaucoup pratiqué, particulièrement dans la musique baroque, où l’ornementation risque de devenir trop systématique.

     

    Être cantonné à des rôles de caractère, le plus souvent épisodiques, a-t-il pu être une source de frustration durant votre carrière ?

    L’exercice est assez difficile, car il faut dessiner un personnage en quelques minutes. Mais je n’ai jamais éprouvé aucune frustration, et ce pour deux raisons. D’une part, ma vie a été remplie de musique, sans que j’aie à me contenter de ne faire que des rôles de caractère. D’autre part, ces rôles m’ont justement permis d’accéder aux grandes scènes internationales, à de grands chefs d’orchestre et de grands metteurs en scène, et cela n’a pas de prix.

    Ces emplois se sont révélés des postes d’observation absolument incroyables, parce que je n’avais pas de grandes responsabilités. Pour ces qui est des rôles eux-mêmes, y compris lorsqu’ils sont petits, ils ne m’intéressent que s’ils ont justement du caractère. Quand je reprends les quatre valets des Contes d’Hoffmann, je n’ai pas de frustration, parce qu’ils sont là tout le temps, et qu’il y a un air à défendre.

    Monsieur Triquet dans Onéguine est certes plus épisodique, mais il a aussi un très joli air à chanter devant tous les invités du bal. Lorsque je l’ai fait au Met, Madame Fleming, Monsieur Hvorostovsky et Monsieur Vargas étaient obligés de m’écouter ! J’ai aussi beaucoup fait Bardolfo dans Falstaff, qui a d’ailleurs failli me coûter la vie. Ces personnages ont une faille.

    J’en ai assez, sans doute, de chanter de l’opéra, et ne vais plus continuer très longtemps. J’estime en effet avoir fait ce que j’avais à faire en révélant cette faille, cette tendresse que j’essaie d’apporter à tous mes rôles. Je me produirai en concert, et prendrai le temps de concevoir des récitals de mélodies françaises.

    J’arrive aussi à un moment de ma vie où j’ai le désir de transmette. Peut-être en revenant à la direction d’orchestre, que j’ai pratiquée durant ma jeunesse et que j’avais laissée pour plus tard. Car transmettre à des chanteurs qui vont se retrouver face à un chef qui leur demandera le contraire de ce que je leur aurai dit, n’a pas beaucoup d’intérêt.

    J’ai 51 ans, et il est temps d’autre chose. Pourtant, je continuerai peut-être à faire une ou deux productions par an dans les grandes maisons qui me le proposeront, pour rester en contact avec le vrai milieu international. Chanter avec Gergiev, Ozawa ou Levine m’apportera toujours quelque chose. Il ne faut plus faire ce métier si on est lassé.

     

    En 2005, lors d’une représentation de Falstaff, vous étiez victime d’une chute. Qu’avez-vous ressenti en remontant sur la scène du Met pour la première fois après votre accident ?

    Ce fut un moment terrible. J’ai eu une espèce de malaise en entrant sur la scène. Je me suis demandé ce qui m’arrivait. Cet accident a un peu changé ma perspective des choses et de ce métier. D’autant que j’en suis encore, quatre ans après, en novembre 2009, à me bagarrer avec l’assurance. Car je n’ai pas encore reçu un centime de compensation, alors que j’y ai tout de même laissé la vision complète de mon œil gauche. C’est dire en quelle considération sont tenus les artistes que l’on met en danger. Cela en vaut-il vraiment la peine ?




    À voir :

    Platée de Rameau, mise en scène : Laurent Pelly, direction musicale : Marc Minkowski, Palais Garnier, les 6, 11, 17, 24, 27 et 30 décembre (en alternance avec Paul Agnew, les 2, 8, 14, 21, 25 et 29 décembre)

     

    Le 30/11/2009
    Mehdi MAHDAVI


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