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ENTRETIENS 27 avril 2024

Alberto Posadas,
une force de la nature

© EME

Il est l'un des chefs de file de la jeune génération des compositeurs espagnols. Alberto Posadas présente au Centre Pompidou la première de son ballet Glossopoeia en compagnie du chorégraphe Richard Siegal. Il nous parle de la situation de la musique contemporaine mais également d'algorithmes, de danse, des modèles que l'on peut trouver dans la nature.
 

Le 16/12/2009
Propos recueillis par Laurent VILAREM
 



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  • Frank Madlener, le directeur de l'IRCAM, présente Glossopoeia comme l'une des très rares collaborations entre un chorégraphe et un compositeur de musique écrite. Pouvez-vous nous parler davantage de votre rencontre avec le chorégraphe Richard Siegal ?

    J'ai rencontré Richard Siegal pour la première fois à l'IRCAM en novembre 2008. J'avais parlé à Franck Madlener de ma volonté de composer pour la danse et de mon intention d'explorer les possibilités d'interaction entre le mouvement et le son. C'est lui qui a rendu possible notre rencontre.

    Très vite, Richard et moi, nous nous sommes rendus compte que nous travaillions tous les deux d'après des modèles de composition assez similaires. Les premières intentions étaient donc d'approfondir ce modèle et d'explorer une véritable interactivité danse-musique.

     

    Glossopoeia signifie en grec création du langage. De quel langage s'agit-il ?

    Un langage a besoin d'un lexique et d'une grammaire. Mais pour moi, le point clé pour la création d'un langage est la grammaire. Richard et moi avons donc utilisé des règles de réécriture basées sur les systèmes Lindemayer – des formules algorithmiques créées par le biologiste hongrois Aristid Lindenmayer dans les années 1960. Ces règles fonctionnent comme une grammaire formelle générative et créent un réseau de significations. Mais à la fin, ces significations sont recréées et redéfinies par le public. Alors le cycle de création est enfin clos sur lui-même.

     

    Glossopoeia présente plus ou moins la même musique deux fois. Une première fois avec les solistes de l'Ensemble Intercontemporain, et une seconde fois avec l'électronique qui capte les gestes des trois danseuses. Cette répétition se rapproche-t-elle de l'esthétique baroque ?

    Je n'emploierais pas le mot répétition pour décrire ce qu'il y a dans Glossopoeia. Entre 2003 et 2007, j'ai travaillé sur un cycle de cinq quatuors à cordes intitulé Liturgia Fractal (qui vient de paraitre en CD chez KAIROS), où j'ai travaillé sur la façon de relier différentes pièces. Depuis quelques années, je travaille maintenant à la possibilité de relier une pièce à elle-même.

    Dans Glossopoeia en effet, nous jouons presque la même musique deux fois. Le baroque est une piste car il y a dans la musique baroque des suites où une danse est plus ou moins poursuivie et ornementée par son double. Dans ma pièce, nous avons donc quelques chose de similaire, mais l'idée de l'ornementation est ici substituée par l'électronique à celle d'interaction.

    Les capteurs électroniques sur le corps des danseuses modifient la partition, tout en en gardant les principales caractéristiques. Le fait d'avoir deux chorégraphies différentes pour quasiment la même musique, nous permet de renouveler notre perception de l'œuvre en entier. Il y aura une véritable dramaturgie dans ce spectacle.

     

    Votre musique est fréquemment basée sur des fractales. Pourriez-vous expliquer à quelqu'un qui n'en aurait jamais entendu parler de quoi il s’agit ?

    Pour expliquer simplement, on pourrait dire que les fractales sont des objets qui reproduisent un développement similaire mais dans des échelles de grandeur différentes. Par exemple, si nous prenons le fragment d'un objet et si nous faisons un zoom, il aura la même croissance que l'objet dans sa totalité. Il y a beaucoup de fractales dans la nature. Par exemple dans les arbres, les nuages, les montagnes... et même dans notre corps, notre système d'artères par exemple a une structure fractale.

     

    Quelle est la signification d'utiliser des fractales dans votre musique ?

    Eh bien, il y a différentes significations. J'aime les musiques complexes et les fractales m'offrent des modèles qui me permettent d'atteindre cette complexité à partir de germes simples. Comme je cherche à créer une discours musical organique, les fractales et d'autres modèles que nous pouvons prendre dans la nature sont des outils très puissants. J'aime l'idée, peut-être même l'utopie, de chercher le maximum d'unité profonde dans une pièce.

    Mais d'un autre côté, l'emploi de modèles mathématiques me donne aussi beaucoup de liberté car ces modèles n'ont pas d'implications esthétiques. Ce sont des modèles abstraits. Grâce à cela, le résultat du processus de composition ne dépend pas du modèle choisi mais essentiellement de la façon dont le compositeur a travaillé ce modèle.

     

    Est-ce que votre musique ne parle-elle pas tout simplement de la vie et de la création naturelle ? Diriez-vous que vous êtes un compositeur écologiste ?

    Non, je ne dirais pas que je suis un compositeur écologiste parce que ce mot a beaucoup de significations associées qui n'entrent pas en relation avec ma pratique de la musique. Pour moi, la composition est avant tout un moyen de connaissance. Et la nature est la plus grande source de savoir que nous possédons. Trouver un lien entre la musique et la nature était presque inévitable pour moi.

    Ma musique a pour sujet la vie, même quand il s'agit de mort, parce que la mort est une partie du processus de vie, et vice-versa. Mais je ne pense pas vraiment que ce soit quelque chose de particulier à ma musique. Je ressens profondément le fait que toute la musique est autour de la vie. La seul point divergent, c'est que chaque compositeur, comme chaque être humain, a sa propre perception de la vie.

     

    Quelle est la situation de la musique contemporaine en Espagne ? Beaucoup disent que l'Espagne vit actuellement une sorte de deuxième âge d'or et qu'il n'y a jamais eu autant de bons compositeurs dans la péninsule ibérique. Comment l'expliquez-vous ?

    Je ne peux vraiment l'expliquer, mais j'ai une intuition, c'est que le manque stimule la créativité. Ma génération et les compositeurs qui ont aujourd'hui 50 ans, est la première à avoir vécu la démocratie. Nous avions beaucoup de choses à découvrir et pour la première fois après la dictature de Franco, nous pouvions le faire librement.

    Mais cela n'a pas été sans quelque difficulté. Car nous ne recevions pas assez d'informations durant nos études. Il n'était pas facile en effet, particulièrement en dehors de Madrid, de se procurer des partitions ou des enregistrements. Et il y avait très peu de concerts de musique contemporaine qui étaient donnés dans des conditions professionnelles. La radio en revanche était de meilleure qualité que maintenant mais la situation n'était pas facile.

    Pourtant, il y avait un tel désir de découvrir et de faire quelque chose de différent, de neuf et de frais, que nous avons essayé d'obtenir le maximum à partir de presque rien. Il n'y avait pas non plus de tradition ou d'écoles de composition, avec des compositeurs aussi présents que Boulez ou Stockhausen.

    C'est peut-être pour cela qu'il existe actuellement une telle diversité de compositeurs en Espagne. Il n'y a pas de chapelle. Chacun doit se construire presque tout seul. Seuls certains d'entre nous ont eu la chance d'étudier avec des compositeurs intéressants. Mais vraiment, ce n'était pas un entraînement rigoureux et systématique.

     

    Justement, vous avez étudié avec Francisco Guerrero (1951-1997). Diriez-vous qu'il est la figure marquante espagnole de la musique de la seconde moitié du XXe siècle ?

    Pour moi, oui, cela ne fait aucun doute mais je dois dire que je ne suis pas objectif parce qu'il a été mon professeur et plus tard mon ami. Mais j'en suis absolument convaincu.

     

    Pour finir, vous dont les œuvres sont fréquemment jouées en France par des interprètes français, quel est votre regard sur le milieu musical français et sur la musique contemporaine française ?

    Je ne suis sans doute pas la meilleure personne pour parler du milieu musical français parce que je n'habite pas Paris et que je ne sais pas en profondeur comment vivent les compositeurs ici. Ce que je peux simplement dire, c'est que je suis réellement reconnaissant à la France de sa générosité. Durant des années, j'ai reçu plus d'opportunités en France qu'en Espagne. Et cette générosité ne s'applique pas qu'à moi mais à de nombreux compositeurs qui peuvent développer leur travail ici. C'est bon pour les compositeurs et en même temps bon pour la France aussi.

    Je dis toujours en Espagne qu'il y a quelque chose qui suscite en France mon envie. J'ai le sentiment que chez vous, la musique, l'art et la culture en général, sont compris en terme de patrimoine, qu'il faut soutenir et valoriser pour maintenant et pour l'avenir.

    Cette haute idée de la culture vous permet d'avoir des institutions très fortes. J'ai entendu dire que la situation n'était pas aussi bonne qu'avant mais d'un point de vue espagnol, je peux dire que vous avez des structures très solides et fertiles. En revanche, quel dommage d'avoir des structures culturelles si solides et d'observer une telle différence entre Paris et le reste de la France ! C'est à mon avis un point faible.

    Quant à la musique contemporaine française, la perception que j'en ai est qu'elle essaie de trouver son propre chemin après les grandes contributions qu'ont fait des compositeurs comme Boulez, Xenakis ou la musique spectrale. Mais c'est un processus normal j'imagine.




    À voir :
    Glossopoeia, d’Alberto Posadas (*1967), 18 décembre à 20h, Grande Salle du Centre Pompidou.

     

    Le 16/12/2009
    Laurent VILAREM


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