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ENTRETIENS 26 avril 2024

Sophie Fournier,
témoin de la Voix

En 1998, Denise Duval retrouvait une dernière fois sa Voix humaine devant la caméra de Dominique Delouche, pour passer le témoin à la nouvelle génération, en la personne de Sophie Fournier. Alors que ce document exceptionnel vient de paraître en DVD, celle-ci rend hommage à la muse et son poète à la Péniche Opéra.
 

Le 13/01/2010
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



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  • Comment avez-vous Ă©tĂ© choisie pour recevoir cette leçon d’interprĂ©tation de la Voix humaine ?

    Je l’ai désirée ardemment. Je ne sais plus comment j’ai été mise au courant, mais lorsque j’ai su qu’ils cherchaient une jeune chanteuse, je me suis dit qu’il fallait absolument que ce soit moi, parce que j’aimais beaucoup Poulenc. Je me suis procuré la vidéo de Dialogues des Carmélites dans lesquels j’avais chanté, et j’ai écrit à Dominique Delouche.

     

    Le film que ce dernier a tiré de cette masterclass n’en présente assurément qu’un condensé. Comment s’est-elle déroulée ?

    Elle s’est étendue sur trois jours, avec un jour de pause au milieu. Heureusement d’ailleurs, car Denise Duval m’a dit le premier jour qu’il fallait absolument que je pleure, et que si je ne pouvais pas pleurer ainsi pour un homme, c’était parce que je n’avais jamais aimé. J’ai souri, justement parce que j’ai énormément aimé, énormément pleuré.

    J’ai donc très bien compris ce qu’elle voulait dire. Mais se pose toujours la question de savoir si c’est l’artiste ou le public qui doit pleurer. Tant mieux si l’émotion fait couler les larmes, mais il ne faut pas sombrer dans l’autosatisfaction, car le public peut se sentir mis à l’écart. Je suis une artiste qui pleure beaucoup sur scène, très facilement, même pour des bêtises. On m’a souvent demandé comment je faisais pour chanter et pleurer en même temps. Je ne pas pleure pas sur moi, voilà ce qui est important et délicat.

     

    N’avez pas eu le sentiment d’être indiscrète en vous immisçant entre Denise Duval et sa Voix humaine ?

    En découvrant cette femme, j’ai eu la vision de celle que je voulais devenir. Je ne serai pas aussi angoissée, car ce n’est pas ma nature, mais aussi investie, et sans la moindre jalousie. J’ai une sensibilité particulière pour Poulenc. J’adore cette musique, cette façon d’écrire, cette sensualité. J’ai été sincère, discrète. C’est elle qui a parlé. J’aimerais tant qu’elle me donne ou me prête sa partition. Sur la mienne, on ne peut presque plus lire ce qui est écrit, tant il y a de suppositions de ce que l’homme répond. Je n’ai pas eu peur de me mettre entre elle et sa Voix humaine, parce que nous avons en commun une grande sincérité.

     

    L’expérience semble lui avoir beaucoup coûté.

    Elle le disait, mais ce retour lui faisait plaisir. Elle souffrait, mais je n’étais pas dupe. Elle était submergée par ses souvenirs, mais à travers ses refus, elle exprimait de la gratitude. Il est très difficile, lorsqu’on a un certain âge et que toutes les personnes qu’on a aimées sont mortes, de les évoquer ainsi. Mais ses mots disaient-ils sa vraie souffrance ?

     

    L’aviez beaucoup écoutée pour travailler la Voix humaine ?

    Je n’avais pas eu le temps. D’ailleurs, j’ai un peu le nez dans la partition. J’étais à l’époque à l’Opéra de Lyon, où je chantais énormément. J’ai écouté sa Voix humaine, bien sûr. J’en ai écouté d’autres aussi, mais je les aime moins.

     

    Peut-on se permettre, face à l’inspiratrice, la dédicataire d’une œuvre, de faire des propositions personnelles ?

    Il faut avoir confiance en soi. J’ai moi aussi attendu les appels d’un homme que j’ai adoré dans ma jeunesse, et je savais que ce sentiment n’avait rien d’avilissant. Face à Denise Duval, je n’étais pas dans l’imitation, car seul ressort que ce que l’on ressent. À moins de n’avoir rien à dire. Au moment où je chante, je suis guidée par mes sensations comme par un sixième sens qui me fait oublier tout ce qu’on m’a dit.

    La musique, les mots me parlent. Et puis j’étais tellement contente d’être là, j’ai tellement adoré cette femme et tous ses amis. Ils avaient l’élégance de leur époque, une générosité totalement dépourvue de snobisme. Denise Duval n’était pas là pour tirer parti de ce qu’elle représentait. Je n’ai donc eu aucun mal à en faire abstraction et à être moi-même.

     

    Hormis celui du chien, qu’elle vous incite à couper, certains passages de la Voix humaine vous ont-ils résisté plus que d’autres ?

    J’aime bien le passage du chien, mais je ne le lui ai jamais dit. J’ai eu un coup de foudre pour la Voix humaine et Denise Duval. En travaillant la partition pour le film, j’ai senti que j’enfilais un gant à ma taille, que j’étais un peu chez moi, car même si ces mots ont été écrits par quelqu’un d’autre, j’aurais très bien pu les dire. Je chante souvent la Voix humaine, et je me laisse prendre à chaque fois.

    Cependant, à la différence de Denise Duval, je ne pense pas que l’homme soit un salaud. Je ne l’ai jamais vraiment dit, car le but était avant tout de comprendre, d’intégrer ce qu’elle disait, d’essayer d’épouser sa sensibilité tout en la mélangeant à la mienne. Il est un peu lâche, certainement, mais ce n’est pas un salaud. Denise le disait, mais le pensait-elle quand elle chantait ? Car il n’y a rien à dire à un salaud. On raccroche. Il me semble que ni Cocteau, ni Poulenc ne l’ont pensé en écrivant la Voix humaine. Ce ne peut être qu’un point de vue extérieur.

    Denise s’est parfois comportée un peu durement avec le pianiste, comme si c’était lui le salaud, mais ne s’en est rendu compte qu’après. Faire ce film était dangereux pour nous. J’étais là pour me prêter à un exercice, et il s’est trouvé que j’avais un peu la même sensibilité qu’elle. C’était un passage de témoin entre une femme et une autre, une époque et une autre. Il fallait accepter les règles du jeu. Que je n’aie pas été complètement d’accord avec elle n’avait pas d’importance, dans la mesure où elle était passionnée par ce qu’elle faisait.

     

    Une passion qui plus d’une fois la submerge. N’était-ce pas déstabilisant ?

    Je m’étais foulé le rachis cervical en tombant sur scène dix jours avant, et j’ai dû faire face à des personnes pas toujours très élégantes durant cette période. Quand je suis arrivée à l’Opéra Comique et que j’ai rencontré Denise Duval, je l’ai tout de suite aimée. Dès lors qu’elle me faisait du bien, j’étais prête à lui pardonner ses excès. Comment aurais-je pu refuser cet énorme cadeau ? C’est elle qui souffrait le plus, donc je me faisais discrète. Je n’étais pas là pour me mettre en valeur. Elle ne laissait pas beaucoup de marge à la discussion, ce n’était pas son but, et j’ai réagi en conséquence. Je sentais qu’il fallait la calmer, qu’elle ne faisait pas exprès. J’ai vu arriver une artiste, non une vieille dame sûre d’elle, toujours en train de donner des leçons.

     

    Entreprendre une dernière fois ce périple à travers la Voix humaine l’a-t-il soulagée ?

    Je ne crois pas qu’elle en ait eu envie. Ses souvenirs la font vivre. Mais elle était heureuse de retrouver sa position d’artiste. Elle racontait que Poulenc la présentait comme un mannequin, ce pourquoi les gens trouvaient sa voix formidable. Il savait qu’il avait affaire à quelqu’un de fragile et anxieux.

     

    Avez-vous gardé contact avec elle ?

    Je lui ai envoyé l’enregistrement de ma première Voix humaine. Elle m’a répondu qu’il était formidable, même si je ne pleurais pas assez à un endroit précis. Mais elle ne voyait pas mon visage. Et après tout, elle avait le droit de penser que je ne pleurais pas assez, peut-être même avait-elle raison. Certains soirs, je pleure énormément, et d’autres pas du tout. Il faut savoir pourquoi on pleure, être vraiment dans le sentiment. M’entendre faire semblant me coupe dans mon élan.

     

    Aujourd’hui, vous lui rendez hommage.

    J’en ai toujours eu envie, mais j’avais justement peur d’être indiscrète ou accusée de vouloir l’utiliser. Le pianiste Vincent Leterme et moi présentons des mélodies de Debussy, Ravel et Poulenc choisies dans les programmes des récitals que Denise Duval et Francis Poulenc avaient l'habitude de présenter avec la Voix humaine, ponctuées d’extraits de lettres et d’un échange évoquant leur amitié, avant de donner l’opéra avec piano. J’ai voulu le lui dire, et puis j’ai pensé que cela allait peut-être l’angoisser.

     

    Parce que c’est une trop grande part d’elle-même ?

    J’avais l’impression qu’elle revivait les choses, comme marquée au fer. C’est ce qui la différencie de certaines divas qui n’ont gardé de leur expérience qu’un souvenir théorique. Denise n’a pas travaillé pour se souvenir. Elle est restée telle quelle, jeune, spontanée, sincère, du moins dans son rapport à l’art. Elle ne s’écoutait pas parler. Tant pis si elle disait une grosse bêtise. Nous avions voulu qu’elle vienne, c’était à nous de faire le tri dans ses propos. Je préfère les artistes qui se trompent mais qui donnent à ceux qui réfléchissent trop. Nous ne sommes pas là pour longtemps. Cela m’a coûté cher d’être ainsi, mais la voir m’a poussée à continuer. Un artiste doit rester ouvert au sentiment, le laisser l’envahir, et tant pis s’il souffre sur le moment. Le quotidien, c’est autre chose.




    À voir :

    La Voix humaine et Denise Duval revisitĂ©e ou la « Voix Â» retrouvĂ©e, deux films de Dominique Delouche, DVD Doriane Films.

    La Muse et son poète : Une évocation de Denise Duval et Francis Poulenc et la Voix humaine de Jean Cocteau et Francis Poulenc, avec Sophie Fournier, mezzo-soprano et Vincent Leterme, piano, Péniche Opéra, Paris, les 15, 17, 21 et 23 janvier.

     

    Le 13/01/2010
    Mehdi MAHDAVI


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