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ENTRETIENS 20 avril 2024

Benoît Jacquot,
Werther dans la demi-teinte

© StĂ©phane Louis

© Stéphane Louis

Après la Tosca filmée en 2001 avec Roberto Alagna et Angela Gheorghiu, le cinéaste Benoît Jacquot rêvait de mettre en scène un ouvrage à l’Opéra de Paris. C’est ce Werther de Massenet, réalisé en 2004 pour Covent Garden et qui arrive à la Bastille, promis dans une lecture scénique tout en intériorité.
 

Le 13/01/2010
Propos recueillis par Nicole DUAULT
 



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  • Tosca Ă  Londres Ă©tait votre première mise en scène d’opĂ©ra.

    Je me suis très bien entendu avec le chef d’orchestre Antonio Pappano, qui a pris ensuite la direction de Covent Garden. Immédiatement, il m’a demandé de venir à Londres mettre en scène l’opéra de Massenet. À part un ou deux airs que j’avais entendu fredonner par ma grand-mère, je ne connaissais absolument pas cette œuvre. Mais j’ai accepté tout de suite, de confiance. Je n’avais jamais fait de scène. J’ai fait beaucoup de films et je n’avais pas le temps de faire du théâtre. L’opéra, c’était une gageure, une aventure. Je suis mélomane, mais j’ai des préférences : plutôt Monteverdi, Stravinski, Berg.

     

    C’est le producteur Daniel Toscan du Plantier qui vous avait demandé Tosca.

    J’étais lié avec lui depuis longtemps. Sa passion principale, plus encore que le cinéma, était l’opéra. Il a d’ailleurs une fille qui s’appelle Tosca. Il a réinventé le film-opéra. Il m’a demandé avec beaucoup d’amitié et d’insistance de faire de Tosca un film. J’ai beaucoup résisté parce que je ne comprenais pas à quoi il voulait en venir. Pourquoi moi et pourquoi Tosca ?

    J’ai décidé de ne pas chercher à comprendre, de le faire et de saisir en le faisant pourquoi il me le demandait. Quand j’ai été assez accroché à cette musique et quand j’ai vu en filmant que cela fonctionnait, je me suis rendu disponible à l’opéra. Quand Pappano m’a demandé de monter Werther, j’ai accepté. Je pense que tout marche par intuition et c’est en me voyant filmer Tosca que Pappano a ensuite pensé à me confier Werther.

     

    Comment s’est passée la série initiale de représentations en Angleterre ?

    Bien. J’avais Marcelo Alvarez. Pour Tosca, Toscan et moi avions choisi des chanteurs qui seraient aussi acteurs. C’est comme cela que s’est constitué le trio Alagna-Gheorghiu-Raimondi. Une perfection. Avant Werther, Je n’avais jamais vu Alvarez sur scène. Je suis allé l’entendre lors d’un concert.

    J’ai reconnu sa voix, mais sa physionomie me paraissait aux antipodes du personnage de Werther. Pour un héros romantique, j’avais un sud-américain avec une tête d’inca et une stature de tour ! Mais Marcelo est très sympathique. Quand on s’est rencontrés, il m’a vu interloqué. Il a promis qu’il perdrait dix kilos d’ici les répétitions. À vrai dire, il en a plutôt pris dix autres ! Cela n’a pas empêché le spectacle d’avoir beaucoup de succès. Nicolas Joel l’avait beaucoup aimé. C’est pour cela qu’il vient à Paris.

    C’est l’occasion formidable de reprendre les principes de mise en scène qui étaient les miens à Covent Garden et de les affiner. Sur le grand plateau de la Bastille, j’ai voulu créer un resserrement et non cette foule spectaculaire qu’on a l’habitude de voir à l’opéra. Werther est pour moi un œuvre non pas intimiste – ce qui signifie dans l’esprit des gens comme diminuée – mais un chant de l’intimité.

     

    Vous partagez cette option avec Michel Plasson.

    Son travail et sa direction correspondent à ma démarche. Je n’essaie pas de créer le moindre pont entre les Souffrances du jeune Werther de Goethe et le Werther de Massenet. Pour moi, l’opéra reprend comme des clichés les personnages du roman et en fait une espèce de tragédie de chambre qui n’a à voir avec Goethe que l’objet de son larcin. Je ne fais pas revenir Goethe dans l’opéra de Massenet parce que c’est impossible, c’est autre chose, une œuvre beaucoup plus française qu’allemande.

    L’opéra se sert d’un matériau profondément allemand pour en faire, loin de la psychologie des profondeurs de Goethe, une mélodie des demi-teintes d’une grande subtilité d’états d’âme. On y retrouve ce que l’on appelle un ciel français avec des fausses teintes, des moments de soleil, un nuage passe et une ombre envahit tout avant que le soleil revienne.

     

    À quels changements s’attendre par rapport à Londres ?

    L’Opéra de Paris m’a donné le temps de reprendre tout avec les nouveaux interprètes, sauf Ludovic Tézier qui était déjà dans la production de Londres. Je travaille avec Jonas Kaufmann et Sophie Koch selon leur naturel. Il est très important pour moi de trouver le naturel, non pas la nature. Le naturel, ça se conçoit, ça se fabrique, ça se travaille. Il faut le trouver selon le tempérament des protagonistes.

    Entre Alvarez à Londres et Kaufmann à Paris, il y aura beaucoup de différences. Le monde de Kaufmann est plus proche du Werther romantique tel qu’on l’imagine spontanément. Je ramène aux interprètes un travail fait pour d’autres. C’est passionnant.

     

    Qui est le personnage de Werther ?

    Son actualisation est simple et traverse le temps, le nôtre compris. Il représente l’impossibilité du lien amoureux dès lors que le sentiment est porté à l’extrême. Charlotte comme Werther sont en attente de qui répondra à un rêve préalable. Au moment où ils se trouvent, la situation n’est pas tenable, parce que c’est un rêve.

     

    Quel parti avez-vous pris ?

    Ma direction des chanteurs est dans la retenue et l’intériorité la plus intense. Je prends l’opéra que l’on attend de façon convenue à rebours. Je cherche par un minimum d’effets à sentimentaliser les chanteurs. Je cherche plus l’impression que l’expression.

     

    Cette production est-elle une parenthèse dans votre parcours cinématographique ?

    C’est mieux qu’une parenthèse. Je suis cinéaste, mais même dans le cinéma, je suis avant tout metteur en scène. Si on me redemandait un film opéra, je le referais. Mais avant de faire de tels projets, je vais superviser la captation de ce Werther pour ARTE, mettre la caméra où il faut pour que cet opéra soit un bon moment de télévision.

     

    Le 13/01/2010
    Nicole DUAULT


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