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ENTRETIENS 25 avril 2024

Karl Paquette,
la joie de danser

Nommé au soir du 31 décembre à l’issue de la représentation de Casse-Noisette où il avait dansé le rôle du Prince, Karl Paquette a obtenu le titre d’Étoile qu’il mérite pleinement. Ce grand blond au physique de cinéma apporte au groupe des Étoiles une large expérience et une personnalité différente. Un exemple pour tous.
 

Le 11/01/2010
Propos recueillis par GĂ©rard MANNONI
 



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  • Comme Premier Danseur, vous avez dĂ©jĂ  dansĂ© tous les grands rĂ´les du rĂ©pertoire. Vous venez, Ă  33 ans, d’être nommĂ© Étoile. Ne l’espĂ©riez-vous plus ou trouvez-vous au contraire que c’est le bon moment ?

    Je me sens aujourd’hui en pleine maturité artistique et technique. Dans notre vie de danseur, il y a des étapes. Nous franchissons des paliers. D’une certaine manière, je n’attendais rien de plus que ce que j’ai eu jusqu’à présent car je danse tous les rôles de premier et de second plan des grands ballets du répertoire. Je m’y sens bien en permanence, l’expérience aidant, car je suis quand même Premier Danseur depuis neuf ans.

    Cette sorte de couronne qui m’a été octroyée ne me met donc pas de pression supplémentaire. Je n’ai pas dansé tous les soirs en espérant que cela arrive. Je ne me sentais pas plus frustré avant que ne m’en sens indigne aujourd’hui. Cela était dans l’ordre des choses possibles dans le déroulement de ma carrière, mais possibles ne voulait pas pour autant dire certaines.

     

    Danser les mêmes rôles comme Premier Danseur et comme Étoile de l’Opéra de Paris, titre particulièrement glorieux, n’implique-t-il pas que l’on sera plus exigeant avec vous ?

    C’est vrai, mais je vais aussi avoir plus de temps pour travailler mes rôles. Depuis neuf ans, en tant que premier danseur, et comme je n’ai jamais été arrêté pour blessure ou pour maladie, j’ai souvent remplacé d’autres danseurs au pied levé. Je ne pense pas avoir été mauvais, sans quoi on ne m’aurait pas nommé aujourd’hui, mais je n’ai pas non plus toujours eu le temps de réflexion ou de travail nécessaire pour tout approfondir le personnage ou la technique. En dix jours, on n’a pas le temps d’être aussi en forme qu’en un mois de préparation. Désormais, tout sera mieux planifié et je pourrai aller plus loin.

     

    Même si c’était parfois en dernière minute, vous avez toujours donné l’impression de danser avec plaisir et générosité. Allez-vous désormais vous comporter de manière plus sélective dans la dizaine d’année de carrière qui vous reste ?

    Jusqu’à présent, il m’était très agréable de pouvoir faire deux rôles sur quasiment toutes les productions. J’étais aussi bien Jean de Brienne qu’Abdéram dans Raymonda, Siegfried que Rothbart dans le Lac des cygnes, Hilarion qu’Albrecht dans Giselle, ou même le danseur arable ou le Prince dans Casse-Noisette.

    C’est une chose que j’aimais bien, car cela me permettait de rester tous les soirs dans le climat du spectacle, en contact avec l’œuvre, avec la compagnie. On passe d’un grand rôle technique à un rôle qui repose plus sur l’interprétation et qui est un tremplin pour d’autres personnages.

    Il y a un réel plaisir à être omniprésent dans une production. Nos carrières sont courtes. Il est important de s’y donner à cent pour cent. Je ne peux pas dire que je serai frustré de ne plus faire ces seconds rôles. Ils m’ont beaucoup apporté artistiquement, mais il y a un temps pour tout. Je vais bénéficier de tout cela pour m’investir uniquement dans les grands rôles, mais sans être sélectif parmi ceux-là.

    Hormis Armand de la Dame aux camélias que je vais danser en février, je les ai tous dansés avec autant de plaisir. Je les retrouverai tous avec le même enthousiasme en pouvant me concentrer davantage sur eux seuls. D’ailleurs, je ne les ai pas assez dansés pour être blasé.

    Je n’ai par exemple dansé qu’une seule fois Giselle. J’ai encore beaucoup à évoluer dans ce ballet. Même dans ceux que j’ai beaucoup pratiqués, il reste toujours à découvrir. Avec le temps, dans quelques années, il est probable que je me sentirai moins attiré par des rôles très techniques comme Don Quichotte qui correspondront sans doute moins à mes possibilités physiques, mais j’ai encore un peu de temps et je n’ai encore vraiment envie de faire de projections là-dessus. Les danseurs que j’admire le plus ont fait le meilleur de leur carrière entre trente et quarante ans.

     

    Le rôle d’Armand dans la Dame aux camélias que vous allez aborder n’est-il pas très différent des rôles de prince que vous avez interprétés jusqu’à présent ?

    C’est beaucoup plus qu’un rôle simplement dansé. Il y a toute une part de théâtre bien plus importante que dans les grands ballets classiques. Quand on commence la danse, on pense surtout à la technique. Et puis on découvre peu à peu tout ce qu’il y autour, jusqu’à en arriver à des rôles comme celui-là. C’est toute cette progression vers ce genre d’apothéose qui nous nourrit au fil des années.

    Dans la Dame aux camélias, il faut faire passer autant d’émotion qu’un acteur de théâtre tout en dansant. John Neumeier a en plus magnifiquement écrit la chorégraphie d’Armand. Je pense que tout danseur de l’Opéra doit rêver de pouvoir l’incarner au moins une fois. Je vais en outre avoir Isabelle Ciaravola comme partenaire, une grande chance. Comme elle l’a déjà dansé, elle m’aide à construire le personnage, en rapport avec l’idée personnelle qu’elle s’est faite de son propre rôle L’expérience est donc doublement passionnante.

    Pour moi, Armand est un jeune homme sincère, fougueux, assez perdu dans ce monde parisien qu’il ne connaît pas. C’est cette différence qui séduit Marguerite et lui fait croire à la possibilité de leur amour.

     

    La suite de la saison sera-t-elle aussi riche pour vous ?

    Sans aucun doute, car nous enchaînons ensuite avec la tournée au Japon pour Cendrillon, que je danse avec Marie-Agnès Gillot. Vient ensuite un programme Robbins avec In the Night et En sol, et la Bayadère pour finir. J’aurai fait une saison passionnante, pleine de prises de rôles : Giselle, Diamants, Casse-Noisette…

     

    Au long de ces années de travail, qu’est-ce qu’il vous a été le plus difficile d’acquérir ?

    Quand je suis entré à 17 ans dans le Corps de ballet, j’étais très coincé et timide. Pas vraiment en scène, mais dans la vie. J’ai assez vite compris que je devais être beaucoup plus décontracté dans le travail, avec les autres danseurs, avec un chorégraphe. Mais chaque fois que je parlais, je rougissais. C’était frustrant pour moi, et j’ai dû faire un vrai travail sur moi-même pour me libérer.

    En revanche, mes parents m’avaient inculqué dès l’enfance la notion de la valeur du travail. C’était ancré en moi et cela m’a beaucoup aidé dès mon entrée à l’École de danse. J’étais très résistant, physiquement et moralement. La vraie libération est venue quand je suis monté Premier Danseur. J’avais désormais accès à tous les rôles. Le lent cheminement d’un tout petit rôle à un rôle un peu plus grand était fini, mais la patience ne m’avait jamais manquée. Je ne suis jamais senti en difficulté.

     

    Comment s’est bâtie votre technique ?

    J’ai commencé la danse avec Max Bozzoni, qui insistait surtout sur les valeurs de base nécessaires pour faire un danseur : trois pirouettes, deux tours en l’air, entrechats six et ainsi de suite. Le langage basique à maîtriser pour bâtir une technique classique. Il n’insistait pas tellement sur le raffinement du détail. On me reproche encore parfois de n’avoir pas des genoux parfaits ni de tendre toujours les pieds comme il faut. Mais il m’avait d’emblée communiqué la joie de danser, de raconter quelque chose, pas de faire des pas pour faire des pas.

    J’ai toujours été convaincu que l’on dansait en fonction autant de ses qualités que de ses défauts. J’ai des articulations solides, moins belles que celles de certains autres, mais elles m’ont permis de n’être jamais cassé, de remplacer ceux qui étaient plus fragiles. Je pense aussi bien connaître mes limites physiques. Je viens au cours tous les matins sans exception, une base indispensable pour pouvoir travailler sans risque plusieurs rôles à la fois. À l’École de danse, on nous a aussi montré la façon la plus juste de travailler. On n’a qu’à l’appliquer.

     

    Le passage du classique au contemporain, parfois dans la même journée, vous pose-t-il un problème ?

    Je suis plus classique de cœur. Le Prince de Cendrillon, Solor, l’Oiseau de feu correspondent mieux à ma sensibilité naturelle. Mais j’ai adoré travailler le Sacre du printemps avec Pina Bausch, les ballets de Kylián. J’ai en revanche très peu eu à travailler en même temps contemporain et classique, et je sais que cela cause pas mal de difficultés à ceux qui doivent le faire régulièrement.

     

    Vous avez dansé quasiment tous les grands ballets classiques et néoclassiques, de quoi pouvez-vous encore rêver ?

    De faire une création de Mats Ek, dont j’adore le langage chorégraphique un peu distancié et l’humour, ou encore de Kylián, pour sa puissance et sa poésie.

     

    Vous repartez bientôt en tournée au Japon. Est-ce une nécessité ou un plaisir ?

    Absolument un plaisir ! J’y retourne régulièrement et c’est un pays que j’adore. J’aime cette passion de la danse chez le public, cette rigueur dans le travail et l’organisation, et toute cette civilisation, cette culture, l’architecture, l’art culinaire. Et puis les Japonais sont de grands travailleurs, avec la volonté permanente de réussir, de bien faire. Il y a toujours un souci de perfection.

    Même quand je suis à Paris, je vais souvent dans le quartier japonais, faire des courses, prendre des repas. C’est un mode de vie qui me correspond tout à fait. J’y ai toujours été extrêmement bien accueilli, dès la première tournée avec l’École de danse, peut-être parce que j’étais le petit blond aux yeux bleus de la troupe ! Je pense que je pourrais vivre au Japon, plus que dans d’autres pays plus proches géographiquement.

     

    Vous êtes marié et père d’un enfant. Être Étoile ne va-t-il pas perturber votre vie familiale ?

    C’est une question d’adaptation, pas forcément facile tous les jours. Un spectacle le soir et quatre biberons dans la nuit, c’est parfois un peu dur, mais faisable ! Ma femme est décoratrice d’intérieure et travailleur indépendant. Elle peut donc aussi adapter ses moments de travail et de liberté aux miens. De toute façon, dans dix ans, il faudra passer à autre chose, et dix ans, ce n’est pas beaucoup sur toute une vie !

     

    Le 11/01/2010
    GĂ©rard MANNONI


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