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ENTRETIENS 18 avril 2024

Tristan Murail,
grand explorateur

© DR

L'un des inventeurs de la musique spectrale, le compositeur Tristan Murail, est à l'honneur du festival de musique contemporaine Agora le temps de trois concerts à Paris, avec une grande création le 12 juin à la Maison de Radio France. Rencontre avec un Français explorateur qui enseigne depuis plus de dix ans à New York.
 

Le 09/06/2010
Propos recueillis par Laurent VILAREM
 



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  • Pouvez-vous nous parler de la création des Sept Paroles, qui sera donnée le 12 juin à la Maison de Radio-France. L'Å“uvre est pour un grand orchestre mais également pour chÅ“ur. Est-ce une forme d'oratorio ?

    Non. Il y a bien un vrai chœur mais aussi un chœur virtuel avec des voix artificielles qui s’y mêleront. Cela est parti d'un désir musical d'entendre des choses que ne peuvent pas chanter un chœur traditionnel, par exemple des micro-intervalles, ou dans le fait de chanter très haut ou très bas, avec des sons vocaux projetés à l'arrière de la salle.

    Les Sept Paroles sont bien sûr les dernières du Christ, mais ce n'est pas une pièce religieuse, ce sont sept moments qui s'apparentent davantage à un poème symphonique avec chœur. C'est une méditation philosophique, une interrogation sur des sentiments très humains.

    C'est mon œuvre la plus mon monumentale à ce jour, par les moyens déployés et par la durée – environ cinquante minutes. Après l'écriture des Sept Paroles, j'envisage maintenant d'écrire une pièce où le texte serait plus en avant.

     

    Dans l'hommage que vous rend le festival Agora, il y a l'Esprit des dunes (qui sera joué le 11 juin par l'Ensemble Intercontemporain), avec son envoûtante introduction, qui rappelle une musique presque orientale.

    Le début que vous évoquez, avec cette modulation, me paraissait revenir à une forme mélodique désuète. Mais il y a phénomène musical dès lors qu'il y a sentiment. Je n'avais pas prévu que cela allait provoquer autant de résonances chez le public. Il me faut moi-même un certain temps pour m'habituer à mes pièces.

     

    Dans Serendib, vous vous inspirez de Sindbad le marin. Envisagez-vous la composition comme une forme d'exploration ?

    Oui, Sindbad est un voyageur. Il y a un mot en anglais, serendipity, qu'on n'utilise pas en français. Cela signifie le fait de faire une découverte heureuse par hasard. J'envisage effectivement la composition comme une aventure quotidienne, avec ce genre de découvertes qu'on exploite.

    Il y a un autre mot qui vient du grec, l’heuristique (d’après eureka) et qui désigne la même chose, l'art d'inventer, de faire des découvertes. Et cela m'arrive tout le temps, en découvrant à soi-même l'idée, on se dit: « comment n’avais-je pas pensé à ça ? Â» La musique provoque des interrogations.

     

    Faites-vous une différence entre une œuvre de grande parole comme les Sept Paroles et les pièces de musique de chambre que l'on entendra notamment le 13 juin ?

    Concernant la musique, ce ne sont pas les mêmes armes. Mais toute chose est égale par ailleurs. J'aime la concision et le goût du paradoxe chez un écrivain comme Borges. Il n'a jamais écrit de grand roman mais il décrit un roman. La chose est égale au symbole de la chose. Je cherche donc des formes musicales pour la musique de chambre dans la concision et l'élégance de l'expression.

    Mes pièces récentes se développent sur de longues durées. La pièce de musique contemporaine type dure entre douze et vingt minutes, je cherche à m'inscrire alors sur des durées plus longues ou plus courtes. Mais dans chaque pièce, les enjeux sont très différents. Chaque nouvelle pièce doit apporter quelque chose de différent, sinon c'est ennuyeux !

     

    Le cycle chambriste Portulan s'inspire de recueils de cartes marines. Encore une manière d'explorer, de découvrir de nouveaux rivages ?

    Si vous voulez... J'envisage vraiment d'être à l'avant-garde. L'avant-garde au sens militaire du terme, c'est la personne qui va explorer le terrain de façon à ce que les autres s'y engagent. Pas pour épater le bourgeois, mais il y a de nombreux territoires musicaux à explorer et qui portent en eux une énorme richesse.

    Nous ne sommes par exemple qu'au tout début concernant les voix artificielles, ou les recherches cognitives concernant la transmission du sentiment. Et puis on est encore très loin d'avoir tout exploité de l'harmonie spectrale.

     

    Vous habitez depuis plus de dix ans à New York. Quel regard portez-vous aujourd'hui sur la France musicale ?

    J'ai toujours plus travaillé à l'étranger qu'en France. Mes commandes sont presque toujours venues de l'étranger. Sans vouloir vexer personne, la France est maintenant pour moi un pays parmi d'autres. J'ai certes gardé des liens très actifs avec l'IRCAM et le Gmem de Marseille. J'ai aussi gardé une maison en Provence, mais je suis heureux de l'hommage du Festival Agora. Paris n'a pas joué ainsi ma musique depuis 1980 ! Certes, je n'ai pas choisi les pièces qui seront jouées, mais j'imagine que ce sont des étapes importantes de mon parcours.

     

    Par le choix de vos titres et la richesse de votre harmonie, on vous associe pourtant à la musique française et son supposé impressionnisme.

    L'impressionnisme est une notion floue. Car toute musique est impressionniste dans la mesure où la musique transmet des impressions. Je ne suis pas une sorte de pirate de la musique comme vous le sous-entendiez. Je n'aime pas l'expressionnisme : à l'hyperbole, je préfère la litote! Et je suis de ceux qui préfèrent en dire trop que pas assez.

    La nature est un réservoir infini de modèles de formes, qu'elles soient métaphysiques ou scientifiques. Pour certaines de mes pièces, ce n'est pas la représentation de l'impression de la nature qui m'intéresse ni la description mais les sentiments qui peuvent habiter le spectateur ou l'auditeur, il ne faut pas oublier le médiateur ! Mais il ne faut pas se restreindre à une théorie ! Rester libre et ne pas se placer dans des voies trop étroites car la musique réside ailleurs.




    À voir :
    Portrait Tristan Murail au Festival Agora
    11 et 13 juin, Cité de la musique
    12 juin, Maison de Radio-France

     

    Le 09/06/2010
    Laurent VILAREM


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