altamusica
 
       aide















 

 

Pour recevoir notre bulletin régulier,
saisissez votre e-mail :

 
désinscription




ENTRETIENS 27 avril 2024

La démesure d’Henri Dutilleux

Le Festival d'Auvers-sur-Oise consacre une journée spéciale à Henri Dutilleux dans le cadre de sa trentième édition. Le grand compositeur français nous parle ici de Van Gogh, le peintre du village, de ses années d'apprentissage mais également de la création mondiale qu'il a, depuis cet entretien, réussi à achever. Cette nouvelle Citation sera donnée le 24 juin.
 

Le 22/06/2010
Propos recueillis par Laurent VILAREM
 



Les 3 derniers entretiens

  • Ted Huffman,
    artiste de l’imaginaire

  • Jérôme Brunetière,
    l’opéra pour tous à Toulon

  • Jean-Baptiste Doulcet, romantique assumé

    [ Tous les entretiens ]
     
      (ex: Harnoncourt, Opéra)


  • Vous êtes l'invité d'honneur de la trentième édition du Festival d'Auvers-sur-Oise. C'est une région particulière pour vous.

    C’est une région que j'aime et qui m'a beaucoup concerné, à cause de l'univers de Van Gogh. Mon œuvre Timbres, espace, mouvement s'inspire notamment d'un de ses tableaux, la Nuit étoilée, que j'avais vu au MoMa de New York. Il y a des peintures plus belles de Van Gogh mais celle-ci m'a tout de suite enthousiasmé par sa folie. Il y a un clocher, un cyprès, mais tout le reste se passe dans le ciel. C'est du délire !

    Dans ma famille, nous étions tous en vénération devant mon illustre arrière-grand-père, Constant Dutilleux, qui était un grand ami de Corot et Delacroix. Les tableaux de l'École de Barbizon sont des sous-bois admirables. Mais quand j'ai découvert Van Gogh, avec cette lumière qu'il avait lui-même recherchée, cela a été une révélation. Ce que j'aime chez lui, c'est sa démesure. Quand il dit à son frère: «  j'ai un besoin terrible de religion. Aussi je sors la nuit pour voir les étoiles Â», c'est là encore du délire.

    J'ai souvent été à Auvers pour pénétrer dans des lieux qu'il avait si bien connus. Il n'y a pas si longtemps, on pouvait encore rencontrer des gens qui l'avaient rencontré. Ce qui était frappant alors, c'était la pauvreté d'Auvers-sur-Oise. Autant Monet était ami avec des figures comme Clémenceau, et Giverny opulente, autant Van Gogh, lui, ne vendait pas.

     

    Pour la journée qui vous est consacrée le 24 juin, le festival a eu l'idée de commander une courte pièce pour piano en votre honneur à ses dix anciens compositeurs en résidence, parmi lesquels Dusapin, Mantovani, Hersant, Campo, Connesson.

    C'est une idée gentille de leur part. Les débuts de ces compositeurs ont coïncidé avec un certain climat d'ordre esthétique où l'on retrouve un grand besoin de liberté. Je les connais tous, je suis leur parcours, mais je ne me permettrais en aucune façon d'émettre un quelconque jugement sur leurs œuvres.

    Moi, après mes études, j'ai connu une période de vide total. Je n'ai été à la Villa Médicis que quelques mois en 1939. Et puis, il y a eu la guerre. J'avais les connaissances académiques, mais je restais dans un trou noir. J'ai commencé à écrire quelque chose de valable quand Claude Delvincourt, le directeur du Conservatoire de Paris, m'a demandé une pièce pour le concours de flûte. C'est devenu la Sonatine. Il me manquait quelque chose, j'avais envie d'écrire de la musique, j'allais beaucoup au concert, mais j'avais besoin de l'étincelle.

    Si je devais donner un conseil à un jeune compositeur, ce serait de se remettre en question et d'étudier l'avant-garde de son époque. Dans la France des années 1940, on en était resté au Groupe de Six. Il fallait se remettre en question. J'ai donc cherché dans le même sens que l'avant-garde de mon époque, c'est à dire la Seconde École de Vienne. Et si je n'ai pas suivi ensuite les musiciens radicaux de l'après-guerre comme Boulez ou Stockhausen, c'est plus par tempérament ; je cherchais autre chose et puis certaines attitudes m'ont traumatisé.

     

    Aviez-vous des modèles, des compositeurs favoris ?

    J'aime l'évolution de Fauré. Il est parvenu à un style très personnel à la fin de sa vie. Il ne faut pas seulement avoir des connaissances académiques, il faut aussi de la personnalité, une nature. C'est pour cela qu'un compositeur par exemple comme Dusapin est très utile à la musique. Son ouverture d'esprit dépasse largement la musique.

    Il y a une phrase du vieux Berlioz parlant du jeune Saint-Saëns que j'aime beaucoup : « ce garçon connait tout de la musique, il ne lui manque rien que l'inexpérience Â». Si je suis resté très attaché à la richesse harmonique, à la notion d'espace et à l'équilibre de l'école française, j'aime la démesure de Berlioz.

    Jusqu'à l'âge de 17 ans, il me fascinait mais je ne l'aimais pas tellement. Je lui reprochais ses faiblesses harmoniques. Mais il parvenait à s'exprimer par des modes qu'il avait inventés lui-même. Ces modes imaginaires, c'est comme Van Gogh, c'est du délire ! Ainsi, mes œuvres pour lesquelles j'ai le plus de tendresse sont celles qui m’ont fait encourir le plus de risques.

     

    Le Festival d'Auvers promet pour la journée exceptionnelle du 24 juin une création mondiale de vous. Pouvez-vous nous en dire davantage ?

    Oui, il s'agit d'une nouvelle Citation. Il y en a déjà deux, pour hautbois, clavecin, percussion et contrebasse. J'ai eu l'idée d'imaginer une partie centrale. Mais je ne suis pas encore parvenu à trouver l'élément moteur. J'en ai promis la première au Festival d'Auvers-sur-Oise. Mais vous savez, ma femme, la pianiste Geneviève Joy, vient de mourir. À mon âge, on devrait s'attendre à ce genre d'événements, mais cela a été un tel choc. Je travaille très mal en ce moment. Je ne suis pas sûr de pouvoir achever la partition à temps...




    À voir :
    Festival d'Auvers-sur-Oise
    Journée du 24 juin consacrée à Henri Dutilleux

     

    Le 22/06/2010
    Laurent VILAREM


      A la une  |  Nous contacter   |  Haut de page  ]
     
    ©   Altamusica.com