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ENTRETIENS 19 mars 2024

Marc Texier, avoir vingt ans à Royaumont

Les cours de composition de l'Abbaye de Royaumont fêtent leurs vingt ans ce samedi. L'occasion idéale de brosser en compagnie de leur directeur artistique, Marc Texier, un premier bilan de la jeune composition et de questionner la pratique de la musique contemporaine. Une musique académique et institutionnelle? Non, nous dit-on, une pratique qui répond à un désir d'écriture universel.
 

Le 08/09/2010
Propos recueillis par Laurent VILAREM
 



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  • Comment présenter Royaumont à quelqu'un qui ne connaîtrait pas cette abbaye située dans le Val d'Oise ?

    L'Abbaye de Royaumont a une longue histoire, mais depuis 1964, année où elle devient fondation, des activités culturelles permanentes, principalement dans le domaine musical, s'y déroulent. Comme c'est une abbaye, il y a possibilité d'hébergement, ainsi nous privilégions des activités de formation. Donc en ce moment se déroulent des cours de composition qui fêtent leur vingtième anniversaire. Et comme à la dernière édition, quinze jeunes compositeurs qui viennent du monde entier y sont formés.

    Ces jours-ci, nous attaquons la troisième semaine de ce cours d'été, semaine pendant laquelle des compositeurs travaillent, avec des interprètes, les pièces qu'ils ont écrites en résidence, et qui seront données en création samedi prochain en concert public. Royaumont est souvent l'acte final de leur formation.

    Viendra ensuite le moment de l'insertion professionnelle de ces jeunes auteurs et pour cela nous proposons des possibilités qui vont de l'échange avec d'autres cours de composition (par exemple au Japon avec Toshio Hosokawa ou au Canada avec Lorraine Vaillancourt), à des commandes qui associent des ensembles en résidence (actuellement les Cris de Paris et l'Ensemble Linea), des chorégraphes et des metteurs en scène.

     

    Qu'est-ce qui, selon vous, a changé depuis vingt ans dans le monde des jeunes compositeurs ?

    À la fois beaucoup de choses et très peu, parce que 1989, c'est la chute du mur de Berlin, l'accession à une certaine richesse pour des pays qui étaient en voie de développement. Dans les années 1950, on parlait souvent du caractère international de la musique contemporaine, alors que cette internationalité résidait surtout dans l'Europe, le Japon, les États-Unis et un peu l'Argentine. Aujourd'hui, rien que pour cette année, j'ai des compositeurs qui viennent du Pérou, de Singapour ou de Thaïlande, des pays où il n'y avait pas de tradition de la musique savante écrite. Donc cela a profondément changé.

     

    Mais venir à Royaumont pour des jeunes compositeurs péruviens ou thaïlandais, n'est-ce pas une manière de s'européaniser ?

    Beaucoup s'européanisent, mais cela peut simplement être un moment de leur vie. Moi, je les vois au moment où ils arrêtent leurs études et décident finalement de leur personnalité. En ce sens, Royaumont est un moment essentiel de leur processus : ils quittent le langage qui a été celui de leur professeur principal pour acquérir le leur. Il y a quelques années, nous avions beaucoup de compositeurs qui venaient d'Asie Centrale (Ouzbékistan, Tadjikistan, Arménie, Azerbaïdjan...), là où l’on trouve des traditions musicales très fortes et très vivantes. La musique occidentale est presque un exotisme pour eux, comme la musique extrême-orientale l'était pour Debussy.

    Depuis quelques années, il y a énormément de représentants d'Amérique du Sud (Colombie, Pérou, Venezuela, Chili), et je dois avouer qu'ils composent souvent une musique que pourrait écrire un Français par exemple, un Anglais ou un Allemand. Mais cela dit, il y a beaucoup de différences nationales même au sein de l'Europe.

    Des courants esthétiques dans ces pays ont suffisamment été significatifs pour imprimer une marque parmi les nouvelles générations. La musique spectrale a très fortement influencé la formation des jeunes compositeurs français et ce quelles que soient leurs origines, de même en Allemagne, l'empreinte d'Helmut Lachenmann est très remarquable.

     

    Peut-on envisager qu'un compositeur africain vienne à Royaumont ?

    C'est plus qu'envisageable puisque cette année, j'ai un compositeur égyptien. L'année dernière, il y avait un compositeur marocain. Deux ans auparavant, un compositeur sud-africain. Mais cela reste très rare. Il y a eu soixante-dix pays différents qui sont venus parmi les étudiants du cours de composition depuis vingt ans. Pour les compositeurs qui viennent du continent africain, ce sont souvent des jeunes originaires d'anciennes colonies britanniques et qui à un moment de leurs parcours ont été formés en Angleterre.

     

    Pouvez-nous nous citer des personnalités fortes qui sont venues aux cours de Royaumont ?

    Il y en a énormément et on les remarque au fait que ces élèves deviennent par la suite professeurs à Royaumont ! Parmi les premiers qui sont venus ici, il y a eu Philippe Leroux et Michael Jarrell, au tout début en 1984. Aujourd'hui ce sont des noms reconnus qui enseignent à Montréal et à Genève. Stefano Gervasoni (qui enseigne maintenant au CNSM de Paris), est également venu en 1994. Olga Neuwirth aussi, Misato Mochizuki, Brice Pauset ou encore Bruno Mantovani qui vient d'être nommé directeur du Conservatoire de Paris.

    Et parmi les plus jeunes, parmi ceux qui sont à l'orée d'une grande carrière, je pense à Raphaël Cendo ou Francesco Filidei. Leur passage à Royaumont a été important, parce qu'il a correspondu à une sorte de cristallisation de ce qu'ils voulaient faire vraiment et une prise de conscience de leur langage.

     

    Venir dans une institution comme Royaumont n'engendre-t-il pas une manière de perpétuer un certain académisme ?

    Il y a des compositeurs qui sont académiques, mais c'est indépendant du lieu où ils se trouvent. L'Académisme, c'est plutôt un état d'esprit qui fait que certains compositeurs préfèrent écrire une musique qui sera immédiatement comprise et acceptée par le milieu dans lequel ils vivent.

    Quant à ceux qui disent qu’on ne maintient l'existence d'une musique qu'au travers d'une structure formant à faire ce que font les autres, c'est totalement faux car on voit l'émergence spontanée de compositeurs dans des pays dans lesquels il n'y a aucune tradition de la musique savante écrite. Je pense au Pérou notamment. Songez qu'on ne trouvait pas de compositeurs péruviens au XIXe voire au XXe et tout d'un coup, il y a maintenant deux cents jeunes qui, plutôt que de faire de la musique traditionnelle ou de la chanson écrivent de la musique ou veulent en faire !

    Cette émergence, moi je n'y suis pour rien! À Royaumont, je ne fais qu'apporter des connaissances nécessaires à ceux qui en ont envie, leur permettre d'apprendre et de voyager. L'idée donc que ce soit artificiel est totalement fausse, on est là à Royaumont parce qu'on répond à un besoin existant, on ne le crée pas, on essaie simplement de le satisfaire.

    Quant à savoir si cette musique est académique, par rapport à quoi juge-t-on ? Par rapport aux musiques alternatives supposées moins institutionnelles ? C'est faux, c'est simplement quelque chose de différent. Je pense que certaines personnes choisissent la musique contemporaine parce qu'elle répond à un besoin vital, une nécessite formelle de réflexion de la musique qui est telle qu'ils en viennent à vouloir perpétuer une tradition de la pensée musicale à travers l'écriture, qui seule permet la maîtrise de la forme musicale sur la durée. Ce n'est pas de l'académisme, c'est une invention du Moyen Âge que l'on poursuit...




    À voir :
    Concert des élèves de composition à l’Abbaye de Royaume, samedi 11 septembre 2010.

     

    Le 08/09/2010
    Laurent VILAREM


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