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ENTRETIENS 27 avril 2024

Anja Silja, la voix théâtrale

À l'opposé de l'hédonisme sonore dont la plupart des chanteurs se réclament, pour la soprano Anja Silja, l'opéra, c'est vraiment du théâtre. Retour sur un entretien réalisé à Aix en l'an 2000, en marge des représentations de L'affaire Makropoulos.
 

Le 09/07/2002
Propos recueillis par Michel PAROUTY
 



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  • Vous avez des dons de comĂ©dienne hors du commun ; pourquoi avez-vous prĂ©fĂ©rĂ© l'opĂ©ra au théâtre ?

    C'est assez difficile à expliquer. D'abord, parce que le côté conventionnel et artificiel de l'opéra m'intéresse, il m'est nécessaire pour donner vie à ce que je ressens. Ce sont les émotions de la langue musicale qui m'attirent avant tout, et elles seules. Le chant va beaucoup plus loin que la simple parole, il est, émotionnellement, plusieurs degrés au-dessus. Il n'y a que la musique pour produire cet effet. Imaginez que vous êtes dans votre bain et que vous écoutez la radio ; si quelqu'un parle, votre attention est superficielle, mais dès que surgit la musique, vous entrez dans un monde d'émotions.

     
    À seize ans, vous faisiez vos débuts à la scène. Trouviez-vous cela normal ?

    Tout à fait, d'autant plus que j'incarnais des personnages très jeunes, Rosina dans " Le Barbier de Séville ", Zerbinetta dans " Ariane à Naxos ", Micaëla dans " Carmen ". Je n'avais aucune conscience des problèmes de style, je me contentais de chanter, et de ressentir ce que pouvaient éprouver mes personnages. Avec Micaëla, c'était facile, elle est amoureuse, elle est jeune. Quant à la Reine de la Nuit, dans " La Flûte enchantée ", c'est de l'acrobatie pure. Zerbinetta, c'était autre chose, je n'avais pas, à seize ans, l'expérience des hommes qu'elle est censée avoir. À cette époque-là, je n'aurais pas pu être Emilia Marty !

     
    Vocalement, on vous imagine mal en Rosina et dans les rĂ´les belcantistes.

    Je n'aime pas les coloratures. Et puis, sincèrement, je n'avais qu'une idée en tête, c'était Wagner. Dès le début, ce fut mon idée fixe. J'ai pourtant chanté plusieurs ouvrages italiens, " Traviata ", qui est un rôle merveilleux, Turandot, la Médée de Cherubini. Mais Bellini et Donizetti, non, ce sont des musiques qui ne me parlent pas, qui n'ont pour moi aucune signification.

     
    Pas mĂŞme Norma ?

    Le personnage est fantastique, mais je ne saurais pas quoi faire avec les coloratures.

     
    Quand votre rêve wagnérien s'est-il réalisé ?

    J'avais dix-neuf ans lorsque Wieland Wagner m'a entendue. Il m'a aussitôt engagée à Bayreuth pour Senta, dans " Le Vaisseau fantôme ".

     
    C'était votre premier rôle wagnérien ?

    Non, j'avais chanté une fois Sieglinde dans " La Walkyrie ", à Francfort, je crois, mais ça n'est vraiment pas un rôle pour moi, elle est trop maternelle, trop chaleureuse, j'aime mieux les personnages de battantes, comme Brünnhilde.

     
    Comment Ă©tait votre voix, Ă  cette Ă©poque ?

    Elle avait la même couleur, et une étendue de presque quatre octaves, puisque je pouvais donner facilement les contre-fa de la Reine de la Nuit. Mais ma voix en soi ne m'a jamais intéressée, ce que j'ai toujours voulu, c'est l'accorder aux phrases, aux mots. On a souvent dit que j'avais une voix difficile, c'est vrai, et j'en suis heureuse. Le beau chant est une chose ridicule, inutile, et même dangereuse. Dans la mesure où ce sont mes personnages qui m'importent, le beau chant est secondaire. Vous croyez que Callas s'en souciait ? Il arrivait à sa voix d'être très laide, et pourtant, quelle intensité dramatique !

     
    Lorsque vous êtes arrivée à Bayreuth, avez-vous eu conscience de participer à un bouleversement qui allait avoir
    un énorme retentissement sur le théâtre lyrique ?


    Les admirateurs de Wagner sont généralement très conservateurs, et sont capables de réactions très violentes : ou ils aiment ce qu'on leur propose, ou ils détestent. Il est certain que Wieland Wagner, en imposant un style nouveau, a été largement controversé. J'étais jeune et mince, je devais incarner des personnages jeunes, et j'ai tout de suite adhéré à ce qu'il me demandait, sans hésiter, et sans éprouver la moindre difficulté. . Plutôt que " nouveau", ce que nous faisions était différent de ce que l'on avait pu voir avant. Mais neuf, rien n'est neuf dans le domaine de l'art, on ne peut jamais oublier l'apport du passé.

     
    Le cinéma a-t-il influencé votre manière de jouer ?

    Pas du tout. Ce que Wieland voulait, c'était tout autre chose, un style particulier qui est encore le mien aujourd'hui. En fait, je portais déjà cela en moi avant de le connaître, il l'a fait sortir, il a trouvé la base, l'essence de mon talent. Avec les autres, en revanche, il n'était pas toujours patient.

     
    Mais l'apparence physique d'un chanteur a pour vous une grande importance.

    C'est vrai, les cantatrices trop opulentes m'offensent, je trouve que, pour le compositeur, c'est un déshonneur. Comment pouvez-vous croire à un personnage joué par quelqu'un d'énorme ? Prenez Aida, par exemple, c'est une princesse, elle doit être belle. Et ne parlons pas des ténors ! Si des gens qui n'ont jamais assisté à un opéra voient ça, comment voulez-vous qu'ils ne considèrent pas l'opéra comme un genre ridicule ? Autant écouter un disque !

     
    Pourtant, vous n'aimez pas enregistrer.

    Non, je n'aime pas le studio, je n'aime pas ma voix et je n'aime pas écouter des disques. Certains enregistrements sur le vif sont intéressants, pourtant, car ils captent vraiment l'atmosphère du moment.

     
    Et quelle était l'atmosphère de ce qu'on a appelé " le nouveau Bayreuth " ?

    Nous travaillions fébrilement. Les plus grands chanteurs wagnériens du moment étaient là, Astrid Varnay, Hans Hotter, Wolfgang Windgassen. Nous formions une véritable équipe. Je suis la seule survivante encore en activité

     
    Et Bayreuth aujourd'hui ?

    Après la mort de Wieland, je n'y suis jamais retournée, et je n'en ai pas envie. J'ai vu la production du " Ring " mise en scène par Patrice Chéreau à la télévision, je garde en mémoire le décor superbe de Richard Peduzzi.

     
    Vous avez été très proche du chef d'orchestre André Cluytens ; comment définiriez-vous sa direction ?

    J'ai éprouvé pour André, comme pour Wieland, un profond amour. Il m'est toujours malaisé de parler de lui sans émotion. J'ai besoin de réfléchir à votre question. En fait, il était bien plus qu'un chef d'orchestre, ce qu'il apportait aux chanteurs était incomparable, il les transportait, vraiment. Des individus comme Klemperer ou Karajan, on pouvait les adorer ou les détester. Lui, on l'aimait. Sa direction était à la fois puissante et précise, mais également intensément poétique. C'est l'un des êtres les plus élégants que j'ai jamais rencontré.

     
    Quels sont vos personnages préférés ?

    Ceux qui se développent, qui évoluent au fil des actes, la Kostelnicka dans " Jenufa ", Isolde. Mais pas Herodias dans " Salomé ", qui n'a rien d'autre en vue que le pouvoir.

     
    Le fait d'avoir chanté Herodias après Salomé, ou la comtesse Geschwitz après Lulu a-t-il modifié votre point de vue sur ces héroïnes ?

    Salomé et Lulu sont des exceptions, Carmen aussi. Ce sont des personnages qui n'ont qu'une idée en tête, et elles s'en tiennent là. Salomé veut la tête de Jean Baptiste, et c'est tout. De la même façon, Herodias veut le pouvoir. Salomé n'est qu'une jeune Herodias, et ça, je ne m'en étais pas rendue compte avant d'incarner Herodias. La comtesse Geschwitz, que je vais chanter bientôt, c'est autre chose, elle est chaleureuse, dévouée, prête à donner sa vie pour Lulu.

     
    Vous avez mis en scène " Lohengrin " à Bruxelles ; renouvellerez-vous cette expérience ?

    Je ne crois pas car elle a été très frustrante. D'abord, elle demande beaucoup de temps, ce qui pose problème lorsqu'on continue à chanter et qu'on a des engagements à honorer. Et puis, si je savais que je pouvais m'adresser sans problème à des chanteurs, j'avais sous-estimé les questions techniques, les éclairages. Je ne pourrai recommencer que lorsque je ne chanterai plus.

     
    Pensez-vous que les metteurs en scène aient trop d'importance aujourd'hui ?

    Un metteur en scène est toujours important. Mais les plus dangereux sont sans doute ceux qui sont persuadés de leur importance.

     
    Vous semblez très proche d'Emilia Marty, l'héroïne de " L'Affaire Makropoulos " ; êtes-vous troublée parce qu'il
    s'agit d'une cantatrice ?


    Je ne suis pas troublée, et le fait que ce soit une cantatrice m'importe peu. Elle vit d'art. Je suis ce qu'elle est et je ne veux rien de plus. J'éprouve parfois, comme elle, de la lassitude. Wieland Wagner n'est plus là, André Cluytens non plus. Je continue à vivre mais je me dis parfois que je fais semblant.

     


    Discographie sélective :
    Berg : Lulu, dir. Von Dohnanyi (Decca)
    Berg : Wozzeck (+ Schönberg : Erwartung), dir. Von Dohnanyi (Decca)
    R. Strauss : Salomé, dir. Kosler (Myto)
    Wagner : Lohengrin, dir. Sawallisch. Bayreuth 1962. (Philips)
    Wagner : L'Or du Rhin, dir. Böhm. Bayreuth 1967. (Philips)
    Wagner : Tannhäuser, dir. Sawallisch. Bayreuth 1962 (Philips)
    Wagner : Le Vaisseau fantĂ´me, dir. Klemperer (EMI)
    Weill : Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny, dir. Latham-König (Capriccio)

     

    Le 09/07/2002
    Michel PAROUTY


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