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ENTRETIENS 25 avril 2024

Christophe Ghristi,
un livret est une invitation Ă  la musique

Création mondiale de l’année à l’Opéra de Paris, Akhmatova évoque les purges staliniennes, le goulag et la résistance des artistes. L’histoire est celle de la poétesse Anna Akhmatova, dont la réponse à la terreur politique fut le silence. Le librettiste Christophe Ghristi, dramaturge à l’Opéra, s’explique.
 

Le 25/03/2011
Propos recueillis par Nicole DUAULT
 



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  • Comment avez-vous dĂ©couvert Anna Akhmatova ?

    Je me souviens, quand j’étais étudiant, d’une soirée à la Maison de la poésie qui lui était consacrée. Sa personnalité m’a beaucoup touché, surtout à la lecture du livre d’entretiens avec une autre romancière russe, Lydia Tchoukovskaïa, paru en français aux éditions Albin Michel. L’opéra vient de la lecture de ce livre.

     

    Comment qualifie-t-on la poésie d’Akhmatova, peu connue en France ?

    Elle a obtenu son succès très tôt sur de merveilleux poèmes amoureux, un peu mondains. Tout cela a changé lors de la Révolution où elle a été interdite de publication. Sa poésie prend alors un pouvoir dramatique, un poids tragique. C’est le Requiem, le Poème sans héros. Elle était l’âme, la muse de Saint-Pétersbourg après Pouchkine dont on dit qu’elle est l’héritière.

    Elle vivait dans des conditions difficiles. Son fils Lev Goumilev a été à plusieurs reprises emprisonné. Son mari Nikolaï Pounine était aussi dans les camps. Elle ne pouvait pas publier. Sa poésie était surtout orale, partagée par un petit cercle. Elle avait peur de laisser des traces et, pendant très longtemps, ses chefs-d’œuvre n’ont été connus que par la mémoire. C’est une poésie tragique mais pas expressionniste. Elle est toujours dans la retenue et une douleur muette sans grandiloquence. Il y a des anthologies en français.

     

    Akhmatova est venue en France puisqu’elle a été peinte par Modigliani.

    C’était en 1910 et 1911, elle était très jeune et n’avait pas encore publié. Son premier recueil édité date de 1912. Modigliani n’était pas du tout connu. C’était la rencontre de deux jeunes gens. Après la Révolution, elle n’est plus revenue à Paris, sauf quelques heures, à la fin de sa vie, avant d’aller recevoir un prix à Londres.

     

    Comment et pourquoi avez-vous imaginé de transformer sa vie en livret d’opéra ?

    C’est mon premier livret d’opéra. J’ai été impressionné par les premières lignes de son poème Requiem. C’est une scène de théâtre en cinq lignes où elle explique que son fils a été emprisonné. Elle fait la queue devant la prison. Quelqu’un la reconnaît, lui demande si elle peut décrire la scène. Elle répond oui. Cela résume ce qu’est l’art, dire ce que les autres ne peuvent pas exprimer. Il y a là une force théâtrale.

    Quand Bruno Mantovani m’a dit qu’il voulait évoquer dans son opéra une femme et la Seconde Guerre mondiale, j’ai tout de suite pensé à Akhmatova. Bruno et moi, nous ne nous connaissions pas. La première scène que je lui ai proposée est celle-ci. Il a composé cette scène muette mais dramatique, une musique sans paroles, dans l’heure qui a suivi.

     

    Qu’est-ce un bon livret d’opéra ?

    Ce n’est pas une pièce de théâtre. Il y a des recettes qui marchent à toutes les époques. Le livret est une étape sur le chemin d’une œuvre. Ce n’est pas une œuvre en soi. C’est une invitation à la musique. Dans le livret, ce qui n’est pas dit est peut-être le plus important, c’est le domaine de la musique. Le texte doit provoquer la musique. Le livret d’Akhmatova est un sujet grave, dramatique qui n’est pas là pour faire briller les interprètes. Le principal, c’est le chaos de la guerre et comment un créateur peut survivre.

     

    Quel est le cheminement du drame ?

    L’opéra commence quand Akhmatova a cinquante ans à la période de terreur autour de 1937, jusqu’au retour de son fils, après la mort de Staline. Plus de vingt ans sont concentrés dans les trois actes.

     

    La résistance d’Akhmatova se fait sur son silence. Comment compose-t-on un opéra sur du silence ?

    Le silence de la nuit est celui de la création. Il est en permanence brisé par la réalité, par la vie. Dans le premier acte, la nuit, Akhmatova voit des ombres en train de fouiller dans ses papiers. Illusion ou réalité ? C’est la violence du monde qui entre dans la création du poète. Akhmatova n’a pas été inquiétée par Staline. C’est un mystère. Sans doute était-il impressionné par elle.

    Son premier mari a été exécuté dans les années 1920. Elle a été épargnée comme Boris Pasternak. La torture qu’on lui a infligée est pendant vingt ans l’emprisonnement à plusieurs reprises de son fils. C’est sa tragédie. Quand il a été libéré en 1956, ils ne se sont plus vus. Staline a réussi, après sa mort, à les détruire. Lev, son fils, a été un poète et un penseur célèbre. Son appartement très modeste à Saint-Pétersbourg se visite.

     

    Dans l’opéra, quel est le plus important, la politique, ou le nœud de vipère familial ?

    C’est imbriqué. Le rapport mère-fils explose en raison de l’acharnement de Staline qui surveillait de très près les artistes aussi bien elle que son compagnon de route Chostakovitch.

     

    Aimait-elle la musique ?

    Elle allait à toutes les créations de Chostakovitch. Dans ses mémoires, il cite son comportement exemplaire. Elle a écrit beaucoup de poèmes sur la musique. Elle a découvert à la fin de sa vie Purcell et écoutait l’enregistrement de Didon et Enée avec Flagstad.

     

    Comment avez-vous travaillé avec Mantovani ?

    Il a commencé avant que j’ai terminé le livret, mais il en avait le début. Nous avons travaillé d’une façon très harmonieuse. Il y a eu peu de changements. J’ai été attentif à ne pas être bavard. Nous voulions un opéra intense sans trop de mots. Il voulait travailler sur des formes classiques, un trio, un quatuor, des ensembles, un chœur.

     

    Êtes-vous satisfait de votre metteur en scène ?

    J’aime beaucoup le dispositif scénique très abstrait. Le décorateur Wolfgang Gussmann a trouvé des solutions poétiques qui évoquent l’univers mental de la poétesse. Nicolas Joel, qui nous a réunis Bruno Mantovani et moi, est toujours au plus près de notre création. Il ne s’est jamais interposé.




    À voir :
    Akhmatova, création mondiale, commande de l’Opéra de Paris, musique de Bruno Mantovani, livret de Christophe Ghristi, mise en scène de Nicolas Joel, direction de Pascal Rophé. Opéra Bastille, du 28 mars au 13 avril.

     

    Le 25/03/2011
    Nicole DUAULT


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