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ENTRETIENS 26 avril 2024

Le rêve baroque d’Anne Sofie von Otter
© Bertrand Pichene

Rencontre palpitante que celle d’Anne Sofie von Otter et de Leonardo García Alarcón, qui connaît son premier aboutissement dans un programme créé à l’Abbatiale d’Ambronay. La mezzo suédoise et le jeune chef argentin nous guident à travers ce rêve baroque qu’ils réaliseront le 27 avril au Théâtre des Champs-Élysées, dans le cadre des Grandes Voix.
 

Le 22/04/2011
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



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  • Quelle est l’origine de votre rencontre ?

    Anne Sofie von Otter : J’étais à Genève lorsque j’ai dû préparer mon enregistrement d’airs baroques français avec William Christie. J’ai demandé à mon agent de trouver un claveciniste avec qui je puisse travailler. Les Arts Florissants lui ont conseillé Leonardo. Nous nous sommes rencontrés au Conservatoire, et avons passé des moments très agréables. J’ai tout de suite remarqué sa grande connaissance de ce répertoire. Puis, il a eu l’idée que nous fassions des concerts ensemble. Leonardo est un jeune musicien énergique et déterminé, et il a tout de suite su convaincre des salles de concerts telles que le Théâtre des Champs-Élysées.

     

    Vous avez chanté avec les formations les plus prestigieuses. Pourquoi cette envie de collaborer avec un jeune ensemble ?

    Anne Sofie von Otter : Il n’y a aucune différence dès lors que les musiciens sont animés par la même volonté, la même énergie, le même plaisir de faire de la musique. C’est ce que j’aime chez Leonardo, comme chez Marc Minkowski. Je chante pour éprouver du plaisir. Cela demande beaucoup de travail, et une atmosphère créative.

    Leonardo García Alarcón : Dans le monde de la musique baroque, on fait toujours attention aux mêmes détails, au risque de s’enfermer dans un microcosme. La curiosité d’Anne Sofie, sa jeunesse absolue dans les phases de recherche, nous ont tout de suite aidés à dépasser cet aspect des choses.

    Anne Sofie von Otter : Il faut toujours être à l’écoute.

    Leonardo García Alarcón : Il n’est pas évident de créer un continuo en si peu de jours, car il faut s’adapter à une voix. Les mezzos, comme les contraltos, ont davantage besoin de s’appuyer sur les basses. Anne Sofie le demande physiquement. Si le continuo n’est pas adapté à sa voix du point de vue harmonique, son visage prend une expression étrange. C’est à nous de trouver la bonne couleur. Et les musiciens, qui sont parfois très timides, répondent à ses sollicitations par de véritables vagues sonores.

    Elle est habituée à travailler avec son pianiste, et tente de retrouver la même complicité avec les membres d’un ensemble. La plupart des choix esthétiques sont induits par sa voix et ses choix artistiques. Ensuite, elle écoute nos propositions. Mais nous ne lui imposons rien. Lorsque nous préparions le programme qu’elle a enregistré avec William Christie, je suis allé écouter les Troyens de Berlioz au Grand Théâtre de Genève, avec Anna Caterina Antonacci dans la première partie, et Anne Sofie en Didon. Je me suis rendu compte que l’Orchestre de la Suisse Romande était soudain inspiré par les couleurs de son timbre.

     

    Le programme que vous avez créé à Ambronay est très varié. Selon quel axe l’avez-vous conçu ?

    Leonardo García Alarcón : La première partie, consacrée à la musique italienne, raconte l’histoire d’Ulysse et Pénélope.

    Anne Sofie von Otter : Tu m’as demandé quelle partition je voulais chanter parmi celles que je n’avais jamais abordées. J’adore Monteverdi, et j’ai interprété Nerone et Ottavia dans le Couronnement de Poppée, la Messagiera dans l’Orfeo, mais pas Pénélope. Sa grande scène, Di misera Regina, est merveilleuse.

    Leonardo García Alarcón : Je me suis toujours demandé pourquoi tu n’avais jamais chanté Pénélope. Car j’admire beaucoup ton enregistrement de la Messagiera. Pour créer un vrai tableau, j’ai d’abord trouvé une musique évoquant un bateau dans le lointain. Après le lamento, Hor che’l ciel e la terra, un des plus grands madrigaux de Monteverdi, résonne comme la pensée d’Ulysse : E sol di lei pensando ho qualche pace – son souvenir seul m’apporte un peu de paix. Che si può fare de Barbara Strozzi et Si dolce è ’l tormento complètent ce dialogue. Je n’aime pas les récitals où les pièces s’enchaînent sans le moindre lien.

    Anne Sofie von Otter : Tu voulais aussi que je fasse un air de Cavalli, mais je n’avais pas le temps de l’apprendre.

    Leonardo García Alarcón : Cavalli est un compositeur que j’aimerais beaucoup qu’Anne Sofie explore – même sans moi ! Sa musique est moins sévère que celle de Monteverdi, plus actuelle, mais toujours d’une grande finesse. Généralement, les chanteurs ont soit une voix blanche, enfantine, soit une voix de micro, soit une voix de théâtre peu malléable. Anne Sofie conjugue le meilleur de ces caractéristiques, et crée à chaque instant la surprise et l’émotion par la variété de son talent de comédienne, qualités idéales pour le répertoire du XVIIe siècle.

     

    Vous abordez ensuite au rivage de l’Angleterre avec Purcell.

    Leonardo García Alarcón : Purcell a connu la musique de Monteverdi grâce aux opéras de Cavalli. Illustrer, dans une même partie, la naissance de la monodie à travers ces deux génies était pour moi une évidence.

     

    Cette confrontation entre différentes formes de déclamation accompagnée rend finalement la Médée de Charpentier assez proche de Pénélope. Quelles sont les difficultés propres au répertoire baroque français ?

    Anne Sofie von Otter : Dans Charpentier comme dans Rameau, je dois utiliser l’instrument d’opéra, c’est-à-dire chanter avec tout mon corps, tout en gardant le contrôle du vibrato. Ces techniques sont difficiles à combiner, surtout dans une tessiture aussi délicate. Non que le rôle de Médée soit aigu. Mais il sollicite constamment le médium, et je m’y sens mieux quand le diapason est à 392 Hz. La différence peut paraître dérisoire, mais elle est énorme.

     

    Passer d’un style à l’autre est également une difficulté pour les instrumentistes.

    Leonardo García Alarcón : Le son que nous avons essayé de recréer dans la musique française, typique du consort de violes, arrivait très bien après l’élégance de Purcell. Il n’en est pas moins difficile de passer de l’un à l’autre, comme de Monteverdi à Purcell, et de Charpentier à Haendel. Mais il était important de le faire pour l’orchestre, et pour Anne Sofie.

    Comme tous les grands artistes, elle aime la diversité, et ne peut rester dans le même type d’émotion plus de quinze minutes. Je l’ai constaté lorsque nous avons fait des récitals à Stockholm. C’est le tempérament de l’actrice qui prend le dessus. Même si passer d’un univers stylistique à l’autre dans le cadre d’un concert de musique baroque peut sembler étrange, cela lui est naturel, et même nécessaire. D’ailleurs, la variation absolue et constante n’est-elle pas typiquement baroque ?

     

    Le programme s’achève par des chœurs et des airs de Haendel.

    Leonardo García Alarcón : Les extraits de Sémélé et Agrippina ont été choisis par Anne Sofie. J’avais plutôt pensé à la scène de folie de Déjanire, dans Hercules, ou encore au Scherza infida d’Ariodante, mais après la grande scène de Médée, elle préférait des pièces plus légères. En ce qui concerne les chœurs de Judas Maccabaeus et Athalia, nous voulions tout simplement montrer que Haendel est aussi un grand madrigaliste et non pas seulement un compositeur d’œuvres chorales monumentales.

    J’espère que nous pourrons faire au Théâtre des Champs-Élysées ce que l’acoustique de l’Abbatiale d’Ambronay ne nous a pas permis, c’est-à-dire placer l’ensemble vocal derrière l’orchestre, et qu’il intervienne comme dans un rêve. Car ce programme a vraiment été conçu comme un rêve d’Anne Sofie von Otter, un rêve d’elle-même et de ses différentes incursions dans le répertoire baroque.




    À voir :
    Récital d’Anne Sofie von Otter accompagnée par la Capella Mediterranea sous la direction de Leonardo García Alarcón, le 27 avril 2011 au Théâtre des Champs-Élysées, Paris.

     

    Le 22/04/2011
    Mehdi MAHDAVI


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