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ENTRETIENS 25 avril 2024

Mady Mesplé,
d’abord musicienne

© Claude Poirier

La grande cantatrice française ne cache ni les 80 ans qu’elle vient de fêter, ni la maladie de Parkinson contre laquelle elle lutte avec un courage admirable et qui titre les souvenirs qu’elle publie chez Michel Lafon. EMI publie aussi un très beau coffret de ses grands rôles. Rencontre avec une artiste et une femme d’exception.
 

Le 02/05/2011
Propos recueillis par GĂ©rard MANNONI
 



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  • Est-ce l’amour du chant ou de la musique qui vous a conduite Ă  effectuer le parcours exceptionnel qui a Ă©tĂ© le votre dans le monde lyrique ?

    Je suis toulousaine et c’est ma mère qui m’a emmené au Capitole quand j’avais quatre ans. Ce fut le choc. On donnait Lakmé. J’ai été fascinée par ces notes aiguës que je pouvais d’ailleurs faire naturellement avec ma voix d’enfant. Ensuite, nous y sommes retournées presque toutes les semaines. C’était ma joie, ma récompense. J’adorais tout ce qui s’y faisait. Et je me suis mise à chanter, beaucoup trop, au point de manquer perdre la voix. Je passais le jeudi où nous n’avions pas classe à chanter, jusqu’à deux opéras entiers !

    Je dĂ©chiffrais facilement et je chantais aussi bien MĂ©phisto que Carmen ou Dalila, connaissant ainsi d’avance ce que je pouvais voir ensuite au Capitole. La programmation y Ă©tait très riche et variĂ©e. J’y ai vu SalammbĂ´, Sigurd, le Ring. Et puis, comme je chantais juste, un inspecteur venu Ă  la classe de musique au collège, m’a entendu solfier et a dĂ©clarĂ© : « Cette petite est une future LakmĂ© Â». Folle de joie, j’ai rapportĂ© cela Ă  ma mère qui a dit : « C’est un imbĂ©cile ! Â». En fait, j’espĂ©rais surtout faire du piano.

     

    Pourquoi n’avez-vous pas persévéré dans cette voie ?

    Quand le professeur Lazare-Lévy est passé par Toulouse donner quelques cours, il m’a entendu et a proposé de me prendre l’année suivante. J’avais onze ou douze ans. Mais nous n’avions pas l’argent pour que je parte travailler à Paris. Ce fut une grosse déception. Cela m’a toujours manqué, même si j’ai obtenu mon Prix de piano à Toulouse.

    Alors, j’ai continué à chanter toutes les musiques qui me tombaient sous la main. J’avais une voix déjà très haut perchée, avec des contre-mi et des contre-fa. À l’adolescence, j’ai gardé ces aigus. Je ne pensais toujours pas vraiment faire du chant un métier, mais je suis entrée comme pianiste accompagnatrice au conservatoire et j’ai tenté ma chance en chant. Je n’avais ni médium ni grave, j’ai présenté l’air de Leïla qui en a… et j’ai quand même été prise. Après, le chemin s’est déroulé normalement. Une fois au conservatoire, j’ai été prise dans cet univers.

     

    Quand est venu votre premier rĂ´le ?

    J’ai eu mon Prix à Paris au bout de deux ans avec Madame Micheau. Honnêtement, je ne savais rien, mais, très musicienne, ayant fait piano et harmonie, j’ai faire illusion. Monsieur Izar, mari de mon professeur de Toulouse et directeur du Capitole, m’a emmenée auditionner à Liège où l’on m’a confié Lakmé. C’était un gros pari. À 21 ans, je n’avais jamais pris une classe de comédie, mais je trompais mon monde par la musicalité. Ma gestuelle suivait la musique, spontanément.

     

    N’y a-t-il pas de toutes façons que des premiers rôles pour les coloratures comme vous ?

    J’ai quand même chanté un rôle anecdotique, au Capitole, l’Oiseau dans Siegfried. Mais j’étais vraiment un tout petit oiseau, un Bengali tout au plus ! Je ne suis pas certaine qu’on m’ait beaucoup entendue et cela me fait rire d’y repenser.

     

    Quand votre carrière internationale a-t-elle débuté ?

    Finalement assez vite. Après Liège et Bruxelles, où j’ai abordé bien des rôles de mon répertoire futur comme Rosine ou Gilda, et toujours grâce à Monsieur Izar, j’ai chanté un peu partout en France. Deux ou trois ans après, il m’a donné une lettre pour me présenter à l’Opéra de Paris et je me suis empressée de ne pas y aller.

    Je croyais qu’il me poussait comme élève de sa femme et je ne me croyais pas capable de chanter à l’Opéra. Quand il l’a su, il m’a fait convoquer pour passer une audition. J’étais alors bien obligée d’accepter. J’ai chanté la Reine de la nuit… que je n’ai jamais ensuite incarnée à l’Opéra. Mais j’avais aussi chanté Lakmé, comme dans toutes mes auditions.

    À l’Opéra, j’ai alors abordé beaucoup de partitions différentes, aussi bien les Dialogues des Carmélites de Poulenc que les Indes Galantes de Rameau ou Lucia di Lammermoor à la suite de Joan Sutherland. En 1971, j’y ai aussi inauguré des séries de récitals de mélodies, tout en assumant parallèlement salle Favart le répertoire de l’Opéra Comique, Delibes, Tomasi, Menotti ou l’opérette française.

    En 1975, j’ai eu le privilège de travailler avec Patrice Chéreau pour sa production des Contes d’Hoffmann. Et bien sûr un peu sur tous les continents, ma carrière se développait aussi avec de grandes dates comme mes premiers spectacles au Met de New York, au Colón de Buenos Aires et au Bolchoï de Moscou en 1972.

     

    Votre carrière s’est en outre développée aussi bien dans l’opéra que dans l’opéra-comique, l’opérette, la mélodie et la musique contemporaine, ce qui n’est pas le cas de beaucoup de cantatrices.

    Surtout à cette époque, tout le monde n’abordait pas la création contemporaine, et ceux qui le faisaient pratiquaient souvent de l’à peu près. On voyait que cela montait, on montait, on voyait que cela descendait, on descendait ! Mais cette façon de faire ne me plaisait pas du tout. J’ai donc fait des choix, quand j’étais sûre de pouvoir travailler et répéter dans le détail.

    J’ai ainsi créé le Quatuor de Betsy Jolas, les Poèmes de Sappho de Charles Chaynes. J’ai chanté avec Boulez du Nono et l’Échelle de Jacob de Schœnberg. J’ai travaillé aussi avec le Trio Français une pièce de Varèse, mais j’étais mauvaise et j’y ai renoncé.

    La création de la version française d’Élégie pour de jeunes amants de Henze m’a demandé beaucoup de travail, mais j’y suis parvenue ! Au début, je n’étais pas très attirée par ces musiques, mais j’y ai trouvé de la joie dès que je les ai travaillées. Avoir fait de sérieuses études musicales m’a aidée, car ce n’est pas un répertoire facile. Mais j’ai l’oreille absolue, et cela aide !

     

    Quel est le rôle qui vous a le plus comblée ?

    Lucia, car c’est un rôle très dramatique. J’aurais aimé avoir la puissance d’une Birgit Nilsson pour donner à certains moments plus de force et de vérité à ce que je chantais. J’ai aussi beaucoup aimé Lakmé, d’abord par ce que je m’en suis beaucoup servi, et puis parce que ce n’est pas du tout l’opéra fade que l’on dénigre souvent.

    J’ai décidé de trouver quelque chose à en faire. Et puis naturellement le Barbier, Mignon, l’Enfant et les sortilèges. Je regrette de n’avoir pas fait les Puritains. On ne l’a jamais demandé car cela ne se chantait pas beaucoup à l’époque. J’ai aimé aussi la Dame de Monte-Carlo. Le théâtre m’aurait beaucoup tenté.

     

    L’opérette, est-ce très différent ?

    C’est un autre univers, beaucoup moins intense, moins dramatique. Il faut trouver le ton exact, fait d’humour et de charme, surtout sans vulgarité. La première que l’on m’ait proposée était les Saltimbanques. J’ai fait en scène seulement la Vie parisienne et Valses de Vienne.

    Toutes les autres, je les ai seulement enregistrées. Il faut jouer davantage des mots. C’est difficile car on doit continuellement passer de la voix parlée à la voix chantée. Si on parle avec la voix placée comme pour le chant, c’est artificiel et vite ridicule.

     

    La mélodie est-elle aussi un autre univers ?

    Il faut toujours que la musique passe avant tout, mais dans la mélodie, le texte est lui aussi primordial. Certaines sont très courtes. Il faut donc trouver tout de suite la bonne couleur et avoir une intelligibilité absolue, immédiate. La mélodie est la musique pure. J’adorais le récital. On est envahie par ce qu’on chante.

    Il faut savoir seulement bien savoir quand la musique conduit le mot et quand le mot conduit la musique. Il faut du temps pour le comprendre. Finalement, tout est travail. J’ai lu récemment un livre de Zidane où il explique avoir toujours énormément travaillé pour devenir ce qu’il est. Pour nous, c’est pareil, mais avec beaucoup de travail de réflexion, de recherche, car nous ne pouvons pas trop fatiguer notre instrument.

     

    L’enseignement est aussi un domaine où vous êtes très active. Comment faire comprendre tout cela aux élèves ?

    Pas facile ! Il faut du temps, car au dĂ©but, ils vous regardent souvent en ayant l’air de se dire « Qu’est-ce qu’elle me raconte cette vieille ? On voit bien qu’elle a au moins cinquante ans ! Â» Je compte un an qui ne sert Ă  rien d’autre qu’à leur faire comprendre qu’un chanteur ne doit pas vivre comme tout le monde.

    On est chanteur vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Je me rappelle un son piano que j’avais trouvĂ© en pleine nuit. Mon mari m’a dit : « Tu ne peux pas trouver cela le matin ou l’après-midi, plutĂ´t qu’à cette heure-ci ? Â» Quand on vit sa vie personnelle, on a l’impression de quitter quelque chose. On ressent un manque.

     

    Les musiques française, italienne, allemande, russe, sont-elle différentes pour le chanteur ?

    Ce sont des musiques différentes, avec des phrasés, des accents spécifiques, souvent difficiles à comprendre et à reproduire, mais il y a une seule technique, valable pour tout le répertoire. Elle permet au son d’aller vers le public dans n’importe quelle salle, en passant n’importe quel orchestre. Ce n’est pas une question de puissance, mais de placement de la voix.

    Bien sûr, une colorature ne peut pas chanter Brünnhilde et les sopranos dramatiques ne peuvent guère aborder Lakmé. Mais c’est un problème de nature de voix, pas de technique. Au début, mes aigus venaient tout seuls, naturellement. J’ai vite compris que seul un travail technique poussé me permettrait de les conserver et de chanter même fatiguée et un peu malade. Il faut trouver une régularité et surtout renoncer à ce qui ne vous va pas.

     

    Avez-vous des regrets ?

    Pas vraiment. J’aurais certes aimé avoir une voix wagnérienne, car j’adore Wagner. Aussi, laisser une trace enregistrée de mon travail de pianiste. J’ai eu la chance en revanche d’enregistrer beaucoup de pages de mon répertoire vocal, tous genres confondus, comme en témoignent les 4 CD qu’EMI publie pour mon anniversaire.

    Le disque est très important pour nous tous, à la fois pour nous faire connaître là où nous ne nous sommes pas produits et justement pour laisser un témoignage de notre travail. En me contentant de ce que la nature m’avait donné, je me rends compte que j’ai pu aborder une grande variété de compositeurs de toutes époques car il y a de la bonne musique pour ce type de voix. J’en ai bien profité.

    Certes, avec une voix plus large, j’aurais aimé chanté Anne Bolène, ou le Bal masqué… Mais j’ai été bien servie !

     

    Le 02/05/2011
    GĂ©rard MANNONI


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