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ENTRETIENS 20 avril 2024

Ann Murray,
une belle histoire vocale

De Purcell à Mahler, la mezzo-soprano Ann Murray présente à l’Amphithéâtre de l’Opéra Bastille un avant-goût de son récital d’adieu. Et fait le lien, hier Chérubin à la Scala, aujourd’hui Marcelline dans les Noces de Figaro immuables de Giorgio Strehler, entre plusieurs générations de chanteurs. Anecdotes et souvenirs.
 

Le 18/05/2011
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



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  • C’est un long voyage qui mène de Purcell Ă  Mahler. Qu’ont-ils en commun ?

    Principalement la beauté de la ligne. Les songs de Purcell que j’interprète ont été écrits pour des semi-operas. Les Rückert-Lieder forment le cycle de Mahler qui me touche le plus. Bien qu’elles ne soient pas liées, ces mélodies sont de véritables joyaux, de petits opéras en soi. Les chants de Brahms traitent chacun d’un élément de l’amour, poignant, coquet, authentique ou d’une beauté profonde, comme dans Dein blaues Auge.

    J’espère que les différentes facettes des pièces que j’ai choisies seront autant d’étapes vers la destination ultime, le respect de la musique. Des années, des siècles après leur composition, ces œuvres continuent d’offrir des perspectives infinies. Si un récital demeure une forme de divertissement, l’interprétation doit créer une interaction avec le public, afin que nous partagions une expérience musicale.

     

    Votre approche est-elle d’abord musicale, poétique, ou vous considérez-vous comme une conteuse ?

    C’est une très jolie façon de le dire. Comme il est dit dans l’une des pièces, Wie Melodien zieht es mir, nous avons d’un côté la musique, de l’autre les mots, et nous les unissons. Je commence toujours par lire le poème, puis je le recopie afin de pouvoir le dissocier de la musique. Ainsi, le texte me devient familier, et je peux me l’approprier. Dans une phrase comme ich liebe dich, faut-il mettre l’accent sur ich, liebe ou dich, comment s’inscrit-elle dans le sens de ce qui précède, et de ce qui suit ?

    Je ne peux pas exercer mon instrument des heures durant, comme un pianiste. Je travaille donc à la table. Pourquoi y a-t-il un saut d’intervalle, une appoggiature sur une note en particulier ? Quelle signification donner à la direction que prend la ligne vocale ? Je mène ma petite enquête, tel un détective. Une fois cette tâche effectuée, ces éléments assimilés, je deviens une sorte de médium entre la poésie, la musique et l’auditeur.

     

    Quelle part le pianiste prend-il dans le voyage, ces histoires que vous racontez ?

    Se produire avec un accompagnateur pour la première fois est toujours une perspective intimidante. Comme dans une distribution d’opéra, qui est une réunion de personnalités, nous avons des caractères différents. Bien que le soliste vocal soit au premier plan, parce qu’il interprète les mots, il est dépendant de la pensée, de l’énergie du pianiste.

    D’autant que dans Brahms et Mahler, l’accompagnement peut se suffire à lui-même, par la beauté de l’écriture, l’investissement profond du compositeur dans la musique. Je travaille ce répertoire avec Malcolm Martineau depuis des années, et le connais personnellement. Comme dans toute collaboration, il faut être sensible à la contribution de chacun. Cela nous rend meilleurs.

     

    Participe-t-il au choix des pièces ?

    Nous avons composé des programmes ensemble par le passé, mais pas celui-ci, qui est un avant-goût du récital d’adieu que je donnerai au Wigmore Hall à Londres le mois prochain. J’ai choisi des œuvres qui me tiennent particulièrement à cœur, et qui m’ont accompagnée durant toute ma carrière.

     

    Vous avez été Chérubin dans cette production des Noces de Figaro à la Scala, avant d’y débuter à la Bastille en Marcelline.

    Je m’en souviens comme si c’était hier, bien que je n’aie travaillé avec Giorgio Strehler que sur Don Giovanni, en 1987. C’est une production classique, dont les décors, particulièrement la magnifique perspective du troisième acte, sont d’une beauté époustouflante. Cette reprise a été assurée avec beaucoup de bienveillance et d’intelligence, en intégrant la personnalité des jeunes artistes d’aujourd’hui, qui font preuve d’une imagination formidable, et dont l’entente est palpable.

    Dans les années 1970, la mise en scène était peut-être plus sculpturale, mais le regard était différent. Le public veut désormais voir davantage d’agitation dans la maisonnée, avec ce comte légèrement perturbé par son désir pour Suzanne, son indécision, et toutes ces situations que je peux apprécier depuis la meilleure place du théâtre, à l’instar de la qualité du chant et la direction musicale sensationnelle de Dan Ettinger.

    Ce jeune homme est musicien jusqu’au bout des ongles, facile, sensible, et se montre très généreux envers ses chanteurs. Je suis très stimulée par cette nouvelle série de représentations, dont la distribution, très différente de la précédente, est une belle réunion de talents.

     

    Quel souvenir gardez-vous du travail avec Giorgio Strehler ?

    C’était un génie, autant qu’un partisan de la manière forte. Il savait exactement ce qu’il voulait, mais les répétitions étaient très longues, et parfois frustrantes. Il avait fait confectionner des tenues de répétitions avec le même soin que les costumes de scène. Nous les revêtions chaque matin, et attendions des heures, pendant qu’il créait.

    Nous étions soudain terrassés par un tsunami d’idées et d’activité, puis devions nous rassembler et recommencer, comme sous un épouvantable reflux de boue. Ce ne fut certes pas une partie de plaisir, mais ce Don Giovanni était superbe. Et que demander de mieux que la direction de Muti ?

     

    Quels autres metteurs en scène vous ont marquée ?

    Jean-Pierre Ponnelle, que j’ai rencontré dès le début de ma carrière, est sans doute celui qui a eu la plus grande influence sur ma vie. Il était extraordinaire, demandait toujours plus, nous encourageait, nous forçait, nous poussait dans le sens de ses idées. Il ne s’arrêtait jamais. J’ai également eu la chance, à mon arrivée en Allemagne, de travailler avec Michael Hampe, m’a ouvert les portes de l’Europe continentale. Puis les génies d’aujourd’hui, Nicholas Hytner, Richard Jones… Ils font preuve de tant d’imagination et d’intelligence.

     

    Patrice Chéreau vous a mise en scène dans Lucio Silla de Mozart.

    Il était merveilleux, et tellement drôle. Le jour de la première répétition, nous étions assis sur le sol dégoûtant de crasse d’une salle de la Scala. Une de nos collègues est entrée habillée en Chanel blanc de la tête au pied, et juchée sur de fabuleux talons. Il lui a suggéré de se changer pour nous rejoindre par terre. Et elle est revenue en tailleur-pantalon… blanc. Chéreau assistait non seulement à toutes les répétitions, mais à chaque représentation.

    Je l’ai entendu faire l’Histoire du soldat au Théâtre de la Ville lorsque je suis venue travailler avec Pierre Boulez. Il ressemblait à un danseur de ballet, au jeune Barychnikov. J’ai également collaboré avec David Alden, Martin Duncan. Le résultat n’est pas toujours extraordinaire, il ne peut pas plaire à tout le monde, mais il faut faire de son mieux, se dépasser grâce à ces génies, prendre des risques, consciemment, et pas seulement pour le plaisir d’en prendre.

     

    Le métier de chanteur est-il plus exigeant sur le plan théâtral que lorsque vous débutiez ?

    J’ai commencé en Angleterre avec des personnes comme Colin Graham, qui étaient déjà très concernées par l’aspect théâtral de l’opéra. Les mises en scène de Ponnelle, bien que stylisées, étaient très dynamiques et étroitement liées à la dimension dramatique des œuvres. Je n’en ai pas moins connu de vieilles productions statiques, et la tradition de revenir saluer à la fin d’un air. Cela n’existe plus, de même que le trou du souffleur.

    Nous sommes désormais notre propre maître, ce qui a motivé des metteurs en scène à demander plus aux chanteurs. Et le métier s’est ouvert au mélange des disciplines. L’English National Opera présente en ce moment la Damnation de Faust de Berlioz dans une mise en scène du cinéaste Terry Gilliam.

    Les chanteurs aussi ont changé. Non qu’ils ne jouassent pas auparavant, mais l’époque des Berganza, Freni, où la musique, le chant passaient en premier, est révolue. Aujourd’hui, tout est sur le même plan. Et il est bien plus passionnant pour le public d’assister à un vrai drame plutôt qu’à une version de concert en costumes.

     

    Enseignez-vous ?

    Seulement l’interprétation, dans l’espoir de transmettre aux jeunes artistes l’idée qu’ils peuvent prendre des risques. On n’entre jamais en scène avec l’intention de livrer une mauvaise prestation. Des éléments peuvent ne pas fonctionner sur lesquels nous n’avons aucun contrôle. Il faut se laisser porter par sa fantaisie – et le chef, s’il dirige bien – ne pas épuiser sa voix, garder des réserves, car le public attend une palette de couleurs. Enseigner la technique est un travail très spécifique, et j’ai encore trop d’engagements pour prendre cette responsabilité.

    Lorsque je suis arrivée en Angleterre, j’avais des cours de chant toutes les semaines, et cette régularité, cette monotonie même étaient primordiales pour constater la progression et pouvoir l’approfondir. Donner trois leçons et ne plus voir ses étudiants pendant six semaines ne permet pas de bâtir une relation de confiance. J’ai travaillé sur Mahler avec les artistes de l’Atelier lyrique. Ils ont un niveau de chant très élevé, de belles personnalités, et le désir d’apprendre.

     

    Vous arrive-t-il de vous demander, avec une carrière aussi bien remplie, pourquoi vous continuez ?

    Un engagement en amène un autre, puis un suivant, et cela ne s’arrête jamais. Au début d’une carrière, on pense avant tout à se faire une place. Mais au fil des années, on se demande de plus en plus souvent ce que l’on a accompli, où le prochain croisement va nous mener, et si l’on a pris les bonnes décisions. Finalement, peu importe les regrets, que l’on ait craqué une note, ou chanté faux un soir : c’est du passé. D’autant qu’à moins d’être complètement paresseux et irresponsable, on a fait du mieux qu’on pouvait.

    Il est très difficile de regarder devant soi, mais j’ai pris la décision de faire ce récital d’adieu au Wigmore Hall avant que quelqu’un ne la prenne pour moi. J’aurais aimé en faire beaucoup d’autres, mais je chante depuis l’âge de trois ans, mon histoire vocale est longue. J’ai dû renoncer à beaucoup de choses pour ma carrière, par discipline. Le futur est aussi effrayant qu’excitant. J’ai des amis formidables, un fils merveilleux. J’espère ne pas trop dépendre de lui, après lui avoir donné des ailes pour voler.




    À voir :
    Le Nozze di Figaro de Mozart, direction : Dan Ettinger, mise en scène : Giorgio Strehler, Opéra Bastille, jusqu’au 7 juin 2011
    Hommage à Gustav Mahler, Ann Murray, mezzo-soprano, Malcolm Martineau, piano, Amphithéâtre Bastille, 20 mai 2011

     

    Le 18/05/2011
    Mehdi MAHDAVI


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