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ENTRETIENS |
05 octobre 2024 |
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ĂŠtes-vous de ceux qui sont devenus danseurs quasiment par hasard ?
C’est en effet un peu le cas. Nous habitions Clamart et mes parents ne pouvant pas me garder le mercredi après-midi, il fallait trouver un endroit où je pourrais me défouler. Il y avait un petit cours de danse. On m’y a envoyé. J’y suis resté deux ou trois ans, puis j’ai passé quelques mois au conservatoire local, avant d’entrer à l’École de Danse de l’Opéra.
J’aimais alors surtout le côté gymnastique de la danse. Tout s’est passé ensuite très vite et sans beaucoup de problèmes. Je me suis finalement retrouvé danseur presque sans m’en apercevoir, parce que je montais de classe chaque année jusqu’au Corps de ballet. J’ai découvert les vrais attraits de la danse par la pratique, mais je dois reconnaître qu’au départ, je n’en avais pas la moindre idée. |
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Au-delà de l’exploit physique qui vous attirait, qu’est-ce qui vous a alors assez passionné dans la danse pour y consacrer votre vie ?
Tout ses aspects artistiques, incarner des personnages, vivre avec la musique, connaître l’excitation d’aller en scène. À l’École, j’étais plutôt concentré sur la rigueur du travail, apprendre les pas, leur nom, comment les faire, car je ne savais vraiment rien.
Dans le Corps de ballet, j’ai découvert tout ce que la musique apportait à la technique et j’ai pris goût à tout ce qui est théâtralité. C’est cela qui aujourd’hui me motive le plus. Faire de la danse sans théâtre ne m’intéresse pas vraiment. J’adore incarner un personnage, comme au théâtre et au cinéma, au-delà du défi technique que cela représente.
C’est exactement ce que j’ai trouvé dans le Roméo et Juliette de Noureev, la possibilité de jouer un vrai personnage dramatique et même l’un des plus célèbres et complets de tout le répertoire théâtral. Les difficultés techniques y sont permanentes et multiples, pour tout le monde, d’ailleurs, y compris le Corps de ballet, mais c’est la force du drame qui nous aide à les surmonter et à les oublier. |
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Lors des spectacles de l’École de danse, il vous arrive de danser des rôles de soliste. Et puis, une fois dans le Corps de ballet, il peut s’écouler plusieurs années avant que vous ayez l’occasion de sortir du lot. Comment avez-vous vécu cela ?
J’ai toujours eu tendance à prendre les choses comme elles viennent ! Quand je suis entré dans la compagnie, je n’avais aucune envie de rester Quadrille toute ma vie, mais je n’étais pas non plus mu par une ambition dévorante et l’obsession de monter dans la hiérarchie le plus vite possible et n’importe comment.
Je voulais me sentir bien et à ma place à chaque étape. J’aurais mal vécu de me retrouver sujet deux ans après. Je ne m’en sentais pas capable. Par ailleurs, quand je dansais le rôle principal dans les spectacles de l’École, je ne me prenais pas pour une Étoile. Je savais que c’était normal car j’étais en première division et que c’est là qu’on y distribue les rôles importants en pareille occasion. Une expérience, magnifique certes, mais que je savais éphémère.
Plus tard, je n’ai pas trouvé anormal non plus, quand, Sujet, j’étais distribué dans un premier rôle, de retourner ensuite dans les ensembles avec les autres. Tant que l’on n’est pas au moins Premier Danseur, c’est le sort de tout un chacun. Il faut considérer comme une chance d’aborder ces rôles qui vous préparent en dansant déjà avec des Étoiles. Ce n’est pas parce qu’on danse un rôle d’Étoile qu’on l’est déjà . |
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Vous ĂŞtes grand. Est-ce toujours un avantage ?
Les petits sont plus à l’aise pour tout ce qui est petites batteries, petits sauts. Quand on est grand, on a davantage de facilité pour tout ce qui grands sauts, pirouettes. Souvent pour les portés aussi, d’autant qu’aujourd’hui, beaucoup de danseuses sont grandes. Mais en fait, la technique permet à tout le monde de s’en sortir. |
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En entrant dans la compagnie, aviez-vous un idéal en tête, un modèle de carrière que vous souhaitiez accomplir ?
J’ai découvert le monde de la danse assez tard. Je crois avoir vu Manuel Legris pour la première fois quand j’étais en deuxième division, c’est-à -dire deux ans avant la fin de l’École. J’ai vu aussi à cette époque un film sur Nicolas Le Riche qui m’a beaucoup appris.
J’ai commencé à admirer ses manèges, comme la façon dont tournait Martinez, celle dont battait Legris. Avec la même école, chacun a sa technique et sa personnalité. Ici, nous avons la grande chance de pouvoir regarder beaucoup d’excellents danseurs différents. Avant, je n’en avais aucune idée. |
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Le répertoire de l’Opéra est aujourd’hui très varié. Vous sentez-vous néanmoins plutôt classique ou plutôt contemporain ?
Je me sens par nature plus fait pour les emplois de ce que l’on appelle danseur noble, mais je voudrais aussi aborder des rôles de méchants car il y a davantage à jouer. J’ai fait moins de contemporain mais y acquérir plus d’expérience ne me déplairait pas. C’est toujours enrichissant.
Je viens de danser dans Rain d’Anne Teresa de Keersmaeker, et je reconnais avoir eu un certain mal à entrer dans cet univers. Cependant, danser un ballet abstrait, qui ne raconte aucune histoire particulière, m’a révélé une autre approche du rapport à la musique et à la danse elle-même. Mais pour l’instant c’est la technique classique qui me plaît en premier. |
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Quels sont les héros du répertoire auquel vous semblez destiné qui vous attirent le plus ?
Jusqu’à présent, c’est incontestablement Roméo qui a correspondu le mieux à ce que j’aime faire en scène. Je ne veux pas dire par là que les autres rôles n’ont pas d’attraits, même si certains ne laissent que peu de place à une incarnation dramatique poussée, voire caractérisée.
C’est le cas du Prince de la Belle au bois dormant, de celui de Casse-Noisette, dans une certaine mesure aussi de Solor dans Raymonda. Albrecht dans Giselle ne me semble pas non plus laisser beaucoup de possibilités de jeu. Pour tous ces rôles, l’interprétation repose sur la qualité et la pureté de la danse et sur la vie que l’on donne au mimodrame. Avec Siegfried, dans le Lac des cygnes, on peut développer des aspects plus complexes d’un personnage à double visage comme dans la version Noureev où le subconscient est exploité.
La plupart des autres grands ballets classiques, Paquita, Raymonda, ont des rôles de méchants qui permettent davantage de travail théâtral. J’aimerais énormément danser par exemple Le jeune homme et la mort de Roland Petit. L’atmosphère y est d’une tension incroyable. Le Boléro de Béjart me fascine aussi dans un autre genre, car c’est un véritable exploit physique. |
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Votre Roméo était frappant par sa théâtralité. Comment l’avez-vous abordé ?
Je suis parti de Shakespeare et de tout ce qui a fait de cette histoire un sujet universel, traité sous toutes les formes d’expression artistique. Il est plus facile de danser un ballet où votre personnage raconte vraiment quelque chose. Les pas, la technique, vont plus facilement passer.
Le trac est également moindre. J’ai beaucoup parlé avec Laurent Hilaire et aussi avec Florence Clerc. On réglait ce qu’il fallait pour la danse et ensuite on voyait tout ce que l’on pouvait mettre en plus.
Cela me paraît logique dans la façon de monter un spectacle. J’admire beaucoup Noureev et Barychnikov car ils ont toujours su allier la qualité de la danse et la théâtralité. Même dans Don quichotte, ils parviennent l’un comme l’autre à réussir des choses incroyables en ce domaine. |
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Vous êtes désormais dans une position où vous pouvez être nommé Étoile rapidement. Si cela se produisait, vous sentiriez-vous prêt ?
Je n’envisage pas cela de cette manière. Si on décidait un jour de me nommer, je ferais confiance à ceux dont c’est la responsabilité de le faire. Je continuerais à travailler comme avant en assumant ma tâche le plus professionnellement possible. Dans la pratique, en attendant, il n’y a pas de grosse différence entre Premier Danseur et danseur Étoile. |
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Qu’allez-vous danser maintenant ?
Pour la fin de la saison, je serai Frédéric Lemaître dans les Enfants du Paradis. À la rentrée, je ferai la création de la Source, de Jean-Guillaume Bart, dans les costumes de Christian Lacroix, et je serai aussi dans le programme Serge Lifar. Après, on verra bien ! |
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