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ENTRETIENS 20 avril 2024

Elza van den Heever, soprano plus grand que nature
© Dario Acosta

Compositeur irradiant d’extension charnue dans Ariane à Naxos, puis Léonore du Trouvère aux ressources vocales comme infinies à l’Opéra de Bordeaux, la jeune soprano sud-africaine Elza van den Heever fait des débuts espérés au Palais Garnier en Fiordiligi, pour le retour du Così fan tutte mis en scène par Ezio Toffolutti.
 

Le 16/06/2011
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



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  • Vous venez d’aborder LĂ©onore dans le Trouvère de Verdi. Est-il difficile de revenir Ă  Mozart ?

    Chanter Mozart après Verdi, c’est comme se rendre dans un club de sport pour perdre les kilos pris durant l’hiver : il s’agit d’un réajustement. Et pour peu qu’on ait appris son rôle correctement, on retrouve facilement ses repères. Dans Verdi, il faut affronter un orchestre imposant, alors que dans Mozart, il suffit de laisser l’instrument s’épanouir.

    Fiordiligi doit néanmoins couvrir deux octaves, non seulement dans son air du premier acte, mais aussi dans celui du second. Chez Verdi, la tessiture s’élève plus progressivement ; faire face à des sauts d’octave tels que ceux de Come scoglio et Per pietà dans sa musique serait aussi effrayant qu’épuisant pour la voix.

     

    Les deux airs de Fiordiligi donnent à lire dans son cœur comme dans un livre ouvert.

    La principale difficulté est de ne pas se laisser submerger. Ni par la colère dans Come scoglio, ni par l’affliction dans Per pietà. L’expression de la tristesse ne me demande aucun effort, c’est pourquoi je dois prendre garde à ne pas fondre en larmes sur scène. Ouvrir mon cœur à travers la musique, les mots que je chante, les différents personnages que j’incarne constitue une thérapie, une catharsis profondément satisfaisantes.

     

    Vous reconnaissez-vous dans la fidélité de Fiordiligi ?

    Elle veut rester fidèle à un amour qu’elle croit épanouissant, alors qu’elle n’a pas encore pleinement pris conscience de ce sentiment. En ouvrant différentes portes de son cœur et de son âme, l’arrivée de Ferrando dans sa vie lui fait goûter le véritable amour. Pour céder, elle doit lutter contre un sens moral élevé qui lui rappelle ses engagements envers Guglielmo, au risque de passer à côté de ses vrais sentiments.

    Nous sommes très prompts à juger les personnes qui ont des liaisons, mais chanter ce rôle m’a fait réaliser qu’il est tout à fait possible de tomber amoureux de quelqu’un d’autre alors que l’on vit une relation. Je ne l’excuse pas, bien sûr, et ne voudrais pas être trompée. Seulement, cette situation m’apparaît plus compréhensible.

     

    De ce point de vue, le dénouement de l’opéra est assez terrible.

    Et d’une telle tristesse. Le pari est perdu, les filles ont succombé aux Albanais, mais elles ont expérimenté le véritable amour, et rien ne sera jamais plus comme avant. Dans la vie, une telle aventure mettrait fin à toutes les relations impliquées. Le génie de Mozart est tel que cet opéra n’a rien perdu de sa vérité, de son caractère poignant.

     

    Comment fondez-vous votre voix dans les ensembles, qui sont la pierre angulaire de Così fan tutte ?

    C’est un équilibre délicat. Fiordiligi est généralement distribuée à un soprano un peu plus ample que ne l’est par exemple la Comtesse des Noces de Figaro, simplement à cause de la nature des airs, et plus particulièrement Come scoglio, qui dicte le choix d’un certain type de voix.

    Dans les ensembles, j’essaie de chanter aussi doucement que possible, jamais à pleine voix, excepté dans les finales. Dans cette tessiture, la nuance piano n’est pas difficile à soutenir. Le duo avec Dorabella au début du finale du premier acte me demande néanmoins une grande concentration, car il se situe dans la zone de passage, et Philippe Jordan veut que nous le chantions avec douceur et légèreté.

     

    Est-ce un défi pour une jeune chanteuse que d’avoir une grande voix ?

    J’ai eu la chance d’avoir deux agents extraordinaires dès le début de ma carrière. Matthew Epstein, qui s’est occupé de moi depuis mes 26 ans, a brillamment géré mes engagements, en s’assurant que je ne sois pas exposée dans deux étapes importantes l’une à la suite de l’autre. Faire mes débuts à l’Opéra de Paris en Fiordiligi n’est certes pas une mince affaire, mais j’ai déjà chanté le rôle dans un environnement plus protégé, il y a un an et demi. Le défi est de ne pas accepter des rôles trop lourds, comme par exemple Sieglinde, trop tôt, car une grande voix doit se développer naturellement, à son propre rythme. D’autant qu’à trente ans, je suis jeune dans ma catégorie vocale, et le serai toujours à quarante.

     

    Vous avez déjà inscrit Elisabeth de Tannhäuser et Elsa de Lohengrin à votre répertoire.

    Je n’ai chanté Elisabeth que comme doublure à San Francisco, et n’ai vraiment tenu le rôle que lors d’une matinée au Japon. Je ne considère d’ailleurs ni Elsa ni Elisabeth comme des rôles dramatiques, du moins pas dans le sens wagnérien, avec des monologues martelés par-dessus un orchestre gigantesque.

    Quelqu’un qui ne cherche pas à nager dans des eaux trop dramatiques peut les aborder de manière lyrique. Ma voix me permet d’essayer beaucoup de choses différentes, et j’aimerais garder la souplesse nécessaire à Haendel et Mozart aussi longtemps que possible. Mais sans doute arrivera-t-il un moment où je ne pourrai plus chanter ce répertoire a priori plus léger.

    Je n’ai aucune envie de me voir coller l’étiquette wagnérienne, mais quelqu’un finira bien par ouvrir cette porte pour moi. Je suis sûre que j’incarnerai Sieglinde et Brünnhilde un jour, mais le moment n’est pas encore venu. Chanter Wagner est un privilège et une chance, si l’on a la voix pour.

    Heidi Melton, qui interprétait le rôle-titre d’Ariadne auf Naxos à mes côtés à l’Opéra de Bordeaux, est née pour ça, elle adore ça, et tout le monde veut l’entendre dans ces rôles. Elle chante actuellement Sieglinde à San Francisco, alors qu’elle est plus jeune que moi. Ma voie n’est pas aussi nettement tracée.

     

    Que vous apporte votre résidence à l’Opéra de Francfort ?

    Je la compte parmi les meilleures choses qui me soient arrivées. C’est un théâtre prestigieux, non seulement en Europe, mais dans le monde entier. La qualité du produit qui y est délivré est extraordinaire, et je n’ai jamais rien vu sur cette scène que ne m’ait absolument convaincue, tant du point de vue des distributions que des mises en scène.

    Francfort m’a offert l’opportunité d’aborder des rôles de premier plan tels que Vitellia de la Clémence de Titus, Giorgietta dans Il Tabarro, Elsa ou Antonia des Contes d’Hoffmann dans un environnement où je subis moins de pression, car je m’y sens protégée. J’y ai également chanté ma première Elisabetta dans Don Carlo ; ce n’est pas rien !

     

    Léonore du Trouvère n’est pas non plus la moins dramatique des héroïnes verdiennes !

    Nous disposions d’un temps de répétitions adéquat, dans un contexte idéal – Bordeaux n’est pas Paris. D’autant qu’il s’agissait de ma troisième production là-bas, et que nous n’étions pas aussi exposés que dans une nouvelle mise en scène. Débuter à l’Opéra de Paris en Fiordiligi, avec seulement dix jours de répétitions… il faut que je sois à la hauteur !

     

    Plus surprenant, vous avez chanté le Compositeur dans Ariane à Naxos, toujours à Bordeaux.

    Durant mes études, j’étais mezzo-soprano. Lorsque j’ai changé de tessiture, à contrecœur, car j’étais convaincue de ne pouvoir faire carrière comme soprano – avec mon mètre quatre-vingt et mes problèmes dans l’aigu, qui allait m’engager ? –, j’ai dit à mon professeur et mon agent que j’acceptais de leur faire confiance pourvu que je puisse un jour chanter le Compositeur. Et j’ai eu cette occasion de le faire.

     

    Préférez-vous les esthétiques scéniques traditionnelles ou contemporaines ?

    Je suis plutôt moderniste. Car le défi théâtral se doit d’être à la hauteur du défi vocal. J’aime jouer la comédie, faire des choses folles, qu’un metteur en scène me demande, alors que je chante à m’en arracher le cœur, de me déshabiller et de me coucher nue sur le sol. Dans les mises en scène traditionnelles, je peux m’ennuyer très rapidement, car j’ai une nature très expressive, et le besoin de dépasser la mesure. Parking and barking, c’est-à-dire se planter là et chanter, peut avoir ses avantages, mais cela ne me suffit pas.

     

    Vous évoquiez votre taille. Sans doute n’est-il pas toujours très confortable de dépasser le ténor d’une tête…

    Je ne sais pas si c’est un problème pour eux autant que pour moi, mais je n’aimerais pas chanter à côté d’une soprano plus grande que moi si j’étais ténor. Je me sens si peu féminine dans ce genre de situations. Et grandir avec trois frères ne m’a pas facilité la tâche. Sur scène, établir un lien avec une personne plus petite devient un obstacle dans la mesure où baisser la tête va à l’encontre de la technique vocale.

    Je demande donc au metteur en scène de trouver des solutions peu conventionnelles pour que le drame que nous jouons ne sombre pas dans la comédie, sans pour autant freiner mon tempérament théâtral. Si je dois chanter des rôles de femme amoureuse à l’avenir, j’espère avoir des partenaires grands et baraqués, en tout cas plus imposants que moi. Et cela ne va pas de soi !




    À voir :
    Così fan tutte de Mozart, direction : Philippe Jordan, mise en scène : Ezio Toffolutti, Opéra Garnier, du 16 juin au 16 juillet 2011.

     

    Le 16/06/2011
    Mehdi MAHDAVI


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