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ENTRETIENS 25 avril 2024

Deborah Voigt, une puissance phénoménale
© Eric Sebbag

Malgré un physique qui la rend difficilement crédible dans un rôle de jeune fille comme récemment dans le Vaisseau Fantôme à l'Opéra Bastille, Deborah Voigt reste une cantatrice très appréciée car elle est un vrai soprano dramatique, voix rare aujourd'hui.
 

Le 15/07/2000
Propos recueillis par Gérard MANNONI
 



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  • Avez-vous eu d'emblée cette voix très puissante que l'on vous connaît aujourd'hui ?

    Elle n'était pas aussi puissante mais naturellement très bien placée, dans le masque. Les adolescentes ont généralement des voix légères, très claires et un peu fluettes. Ce ne fut jamais mon cas. Ma voix a toujours été solide et claire, mais sa dimension s'est développée en travaillant le répertoire. Elle continue d'ailleurs à grandir, même maintenant. Tout ne m'a pas été facile pour autant. Au début, j'ai du mal à jouer la comédie. Pour une jeune chanteuse, le travail de la voix est tellement compliqué, il y a tant de choses auxquelles il faut penser pour bien chanter, pour bâtir une bonne technique, pour produire un beau son, qu'il est malaisé de s'occuper en plus de l'incarnation dramatique des personnages. Nous avons une telle quantité d'informations à acquérir et à rendre spontanées que le théâtre passe souvent un peu au second plan. Quand la technique est assurée, le chant passe à son tour en retrait et on peut s'attacher beaucoup plus au travail dramatique. Quand j'ai débuté, voici sept ou huit ans, j'avais du mal à me sentir bien en scène, ce qui est souvent le cas des jeunes chanteuses. On a lors beaucoup critiqué mon jeu, mais fort heureusement, je reçois aujourd'hui presqu'autant de compliment en ce domaine que pour mon chant.

     
    Vous n'avez quasiment pas fait de " petits débuts ", car les concours que vous avez gagnés, comme le Concours Tchaïkovski de Moscou et la nature même de votre voix ; vous ont tout de suite orientée vers les grands théâtres et les grands rôles. N'était-ce pas une difficulté supplémentaire ?

    J'ai tout de même chanté beaucoup de mélodies et de Mozart au tout début, mais c'est vrai que j'ai été propulsée très vite dans des ouvrages très lourds. Les concours ne me posaient pas de problèmes car j'aimais cela et je n'avais pas du tout le trac. Pourtant, entre chanter des airs pour un concours et aborder le rôle en entier, il y a un monde. J'ai néanmoins chanté ma première Chrysothémis au Met avec Leonie Rysanek en Clytemnestre, et ma première Elsa au Met également. Ce sera sans doute intéressant pour ceux qui suivent ma carrière de voir comment tout cela évolue, car mon interprétation de ces personnages abordés très jeune va nécessairement évoluer avec le temps. Pour moi, c'est un défi. Chanter à nouveau Sieglinde pour le même public m'oblige à me renouveler, à trouver des approches différentes. Je ne veux pas me contenter de me répéter et de vivre sur l'acquis.

     
    Comme Leonie Rysanek que vous venez de citer et qui voyait en effet en vous une voix capable de prendre sa relève, vous chantez aussi bien le répertoire allemand que le répertoire italien. Certains chanteurs prétendent que ce n'est pas la même technique. Qu'en pensez-vous ?

    La technique de base reste la même, quoi que vous chantiez, mais les couleurs changent. Ca relève plutôt de l'interprétation que de la technique. Pour avoir du succès pendant une longue carrière, un chanteur doit absolument s'appuyer sur la permanence d'une bonne technique et il n'y en a pas plusieurs. Avec les années, vous changez physiquement, psychologiquement, mais vous devez rester sûre de votre technique qui est votre référence. Le reste est une question de goût, de type de voix. Je sais que l'on trouve parfois ma voix trop germanique dans le répertoire italien, mais je crois au contraire que pratiquer les deux répertoires crée une interactivité intéressante, rendant l'italien plus dramatique et l'allemand plus clair. En outre, à l'époque de Wagner ou de Strauss, c'étaient les mêmes chanteurs qui chantaient tout. Les catégories sont un peu une manie de notre époque. Je me félicite plutôt de pouvoir être aussi bien Aïda que l'Impératrice de La Femme sans ombre, car la seconde est plus difficile à trouver que la première ! De toutes manières je préfère les personnages vulnérables, engagés dans un voyage émotionnel comme l'Impératrice qui évolue vers une complète humanité. Lady Macbeth aussi, qui part d'une totale confiance en elle pour finir dans la folie. C'est cela qui m'intéresse le plus et me convient le mieux.

     
    Vous venez de chanter Senta dans le Vaisseau Fantôme à l'Opéra Bastille. Comment décririez ce personnage que l'on peut approcher de multiples manières ?

    Au départ, elle est certainement comme toutes les jeunes filles qui s'enthousiasment pour une idole. Nous avons toutes connu cela, mais elle va beaucoup plus loin. Ce qui était une belle histoire est devenu une obsession. Elle est sûrement un peu folle et croit vraiment qu'elle peut assurer la rédemption du Hollandais. Dans cette production je crois qu'elle est un peu surprise par la réalité quand ce rêve se réalise. Elle ne veut pas y renoncer, mais la manière dont elle compare le portrait et l'homme réel, indique bien qu'elle s'interroge et paraît déroutée. C'est une optique que je trouve justement évolutive et intéressante.

     
    Comment allez-vous maintenant organiser la suite de votre carrière ?

    Le plus difficile est effectivement de savoir quel rôle va être bon pour vous et vous permettre de franchir un pas supplémentaire sans vous mettre trop en danger. J'ai été très bien conseillée par mes professeurs jusqu'à présent, mais je dois aujourd'hui faire des choix pour les dix années à venir si je veux avancer. Or, il est très difficile de savoir ce qui sera idéal pour moi dans quelques années. Vienne prépare une nouvelle production de Tristan en 2003. Je connais bien le chef d'orchestre. Thomas Moser sera Tristan. C'est une occasion idéale pour moi de tenter ma première Isolde, mais je n'ai accepté aucune Isolde au-delà de cette date. Peut-être vais-je le regretter en 2003, mais je ne prends pas le risque. Il y aura peut-être aussi des Brünnhilde, mais encore plus tard.

     


    Deborah Voigt possède son propre site : http://www.artsinfo.com/deborah_voigt/

    Repères discographiques :
    - Berlioz, Les Troyens avec Charles Dutoit (Decca)
    - Mahler Symphony No. 8 avec Robert Shaw (Telarc)
    - Schoenberg, Gurrelieder avec Giuseppe Sinopoli (Teldec)
    - Beethoven, Fidelio avec Colin Davis (BMG Classics)

     

    Le 15/07/2000
    Gérard MANNONI


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