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ENTRETIENS 23 avril 2024

Angela Denoke,
si forte, si faible

© Johann Persson

Timbre ineffable et lignes oscillantes, tantĂ´t flottantes, tantĂ´t cinglantes, Angela Denoke fut la chanteuse phare de l’ère Mortier Ă  l'OpĂ©ra de Paris. Après son triomphe Ă  Salzbourg dans l’Affaire Makropoulos de Janáček, la soprano allemande livre enfin au public parisien son incarnation fulgurante du rĂ´le-titre de SalomĂ© de Richard Strauss.
 

Le 05/09/2011
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



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  • Qu’y a-t-il de commun entre Emilia Marty, 337 ans, et SalomĂ©, 15 ans ?

    Elles sont complètement différentes. Je suis certaine que Salomé a été violée par son beau-père Hérode. Elle mène une existence sans amour, déteste sa mère et Hérode, mais agit selon ce qu’ils lui ont appris. Emilia Marty a vécu seule, comme elle l’entendait d’abord. Et puis elle a dû vivre encore et encore. Mais elle n’a trouvé l’amour qu’une fois dans sa vie. Peut-être ont-elles cela en commun.

     

    Considérez-vous Salomé comme une adolescente ou une femme ?

    Elle est entre les deux. Lorsqu’elle rencontre Iokanaan, elle ressent entre eux une compréhension profonde. Autrement il ne parlerait pas autant, et lui dirait seulement de le laisser tranquille. Pour la première fois de sa vie, Salomé éprouve des sentiments qui lui sont propres, sans être manipulée. C’est à ce moment qu’elle devient une femme.

     

    Peut-être découvre-t-elle son propre corps, sa séduction en dansant pour Hérode ?

    Il me semble plutôt qu’elle doit danser pour lui chaque jour. Mais elle utilise ce moyen pour obtenir ce qu’elle désire. D’ailleurs, même si elle dansait pour la première fois, elle en serait parfaitement consciente. Car tout s’éclaire lorsque Iokanaan redescend dans la citerne. On peut aborder ce personnage de bien des manières, mais il faut toujours finir par prendre des décisions. C’est ce qui m’intéresse dans ma vie de chanteuse : interpréter un rôle chaque fois de manière différente.

    Comme Marie dans Wozzeck, que j’ai chantée dans dix productions, et qui était à chaque fois une autre femme. Il s’agit de ma sixième production de Salomé. André Engel la considère comme une vierge, ce qui me permet d’explorer une autre facette. Ma propre vision avait complètement changé dès la fin des répétitions pour ma prise de rôle. À quoi bon accepter des productions différentes si l’on a une conception bien arrêtée d’un personnage ?

     

    Salomé est-elle dangereuse ?

    Oui, parce qu’elle est si forte. Non, parce qu’elle est si faible. Dans la scène avec Iokanaan, elle est d’une faiblesse absolue. Elle parle à sa tête comme à une vraie personne. Je ne la vois pas comme un monstre. Elle cherche désespérément quelqu’un pour qui elle puisse éprouver un sentiment fort.

     

    Ce rôle est-il d’abord un défi sur le plan vocal, théâtral, ou même chorégraphique ?

    C’est un rôle périlleux, avec deux longues séquences : celle avec Iokanaan, et la scène finale. Au milieu, il y a cette danse, qui exige d’être très en forme, et de rassembler toutes ses forces. Salomé peut sembler facile à chanter un jour, et très dur le lendemain, malgré la technique qui permet d’arriver au bout.

     

    Strauss ne fait d’ailleurs rien pour vous faciliter la tâche.

    Cela dépend aussi du chef d’orchestre, s’il soutient les chanteurs, ou s’il n’est intéressé que par ce qui se passe dans la fosse. On se retrouve alors dans un sacré pétrin !

     

    La force, mais aussi la liberté physique que requièrent Salomé, parfois jusqu’à la nudité, sont plutôt rares sur la scène lyrique.

    Je m’y suis habituée, car tous mes rôles sont un peu fous. Mon père m’a demandé pourquoi je mourais toujours à la fin des opéras. Il avait raison ! J’ai appris à le faire. Ce n’est certes pas confortable, mais je me sens bien ainsi, et je prends plaisir à faire les choses lorsqu’elles me semblent justes.

     

    Comment avez-vous su que vous étiez prête pour chanter Salomé, et alliez pouvoir accepter les propositions que vous aviez refusées jusqu’alors ?

    J’ai en effet longtemps dit non. Et puis j’ai senti que j’avais la force, vocalement et physiquement, pour tenir la scène dans ce rôle. Au début, j’étais remplie de craintes, je pensais ne pas être à la hauteur. Et je le pense encore certains jours… Mais les personnes avec lesquelles je discute de ce genre de décisions m’ont dit qu’elles me croyaient prête. Il faut se décider, essayer. Car il y a toujours un moyen de revenir en arrière. Si je m’étais rendu compte que je ne pouvais pas chanter le rôle, j’aurais peut-être annulé.

     

    Comment avez-vous construit votre rĂ©pertoire, oĂą se cĂ´toient de manière singulière les hĂ©roĂŻnes de Janáček, SalomĂ© et Kundry ?

    J’ai abordé Kundry, de même que mes autres rôles wagnériens, en réponse à des demandes. Daniel Barenboïm m’a d’abord proposé de chanter Vénus en plus d’Élisabeth, que j’avais déjà à mon répertoire, parce qu’il avait besoin d’un soprano pour la version de Dresde, qui est plus aiguë que celle de Paris. J’ai accepté de l’étudier, et de la chanter pour lui. Il a été convaincu, et j’ai endossé les deux rôles dans la même soirée.

    Cela a d’autant mieux fonctionné que Harry Kupfer a retravaillé sa mise en scène spécialement pour moi. Alors Danny m’a dit que j’étais prête pour Kundry. Tout en pensant qu’il était fou, j’ai procédé de la même manière que pour Vénus. Je n’étais malheureusement pas libre pour la chanter sous sa direction, mais j’ai reçu une invitation de l’Opéra de Vienne un mois plus tard, et l’ai acceptée en connaissance de cause. Il est intéressant que deux personnes aient eu la même idée au même moment sur un rôle que je pouvais aborder.

     

    Et votre rencontre avec Janáček ?

    Je devais passer une audition pour la Première Dame de la FlĂ»te enchantĂ©e Ă  Sazbourg, et mon agent m’a dit que le festival cherchait aussi une Marie de Wozzeck. J’ai pris la partition avec moi, car je venais de l’interprĂ©ter Ă  Ulm. Monsieur Mortier m’a demandĂ© de chanter des extraits de Wozzeck, et m’a engagĂ© pour le rĂ´le. Puis il m’a prise Ă  part et m’a proposĂ© Káťa Kabanová, dont je ne savais alors strictement rien. J’ai ensuite abordĂ© Jenůfa. Lorsque j’ai entendu l’Affaire Makropoulos avec Anja Silja, j’ai pensĂ© que ce pourrait ĂŞtre un rĂ´le pour moi, pour plus tard. Je l’avais donc en tĂŞte lorsque Mortier me l’a offerte Ă  Paris.

     

    Vous avez souvent collaboré avec des metteurs en scène controversés tels que Christoph Marthaler et Krzyzstof Warlikowski.

    J’aime travailler avec eux, parce qu’ils nous apprennent souvent beaucoup de choses sur nous, sur scène mais aussi parfois dans la vie privée. Cet été à Salzbourg, Christoph Marthaler m’a demandé de chanter Emilia Marty avec beaucoup de concentration, car il voulait que mes mouvements soient très petits et chargés de sens. Je me suis rendu compte qu’il n’était pas nécessaire de faire de grands gestes, même sur un plateau immense, et que je pouvais attendre le public – jusqu’au spectateur le plus éloigné – en restant immobile et en pensant avec acuité aux mots que je chantais.

     

    RĂŞvez-vous toujours de chanter Isolde, comme vous le confiiez Ă  Altamusica en novembre 2004 ?

    Oui, et on me l’a proposé à de nombreuses reprises. Soit je n’étais pas libre, soit l’occasion tombait mal. En effet, des rôles comme Kundry et Salomé sont par exemple trop différents pour que je puisse passer de l’un à l’autre. Je n’ai jamais pu inclure Isolde entre mes engagements. Il va me falloir attendre encore quelques années. Ou peut-être cela n’arrivera-t-il jamais, qui sait ?




    À voir :
    Salomé de Richard Strauss, direction : Pinchas Steinberg, mise en scène : André Engel, Opéra Bastille, du 8 au 30 septembre.

     

    Le 05/09/2011
    Mehdi MAHDAVI


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