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ENTRETIENS 16 avril 2024

Jean-Louis Martinoty explore les Ă©nigmes de Faust

De 1975 à 2003, l’Opéra de Paris a donné le Faust de Gounod dans la mise en scène de Georges Lavelli, jugée d’abord intrépide, indécente, décapante, voire révolutionnaire. C’est à Jean-Louis Martinoty, ancien administrateur de l’Opéra, que l’actuel directeur, Nicolas Joel, a confié la nouvelle production. C’est l’événement lyrique de la rentrée.
 

Le 19/09/2011
Propos recueillis par Nicole DUAULT
 



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  • Directeur de l’OpĂ©ra de Paris jusqu’à la crĂ©ation de Bastille, pourquoi avez-vous voulu mettre Faust en scène ?

    Je l’ai déjà mis en scène à Naples. Mais le spectacle de Naples et celui-ci, à la Bastille, n’ont rien à voir. Faust est une histoire dans ma vie. J’écrivais le scénario d’un film sur le Faust de Goethe quand j’ai été nommé directeur de l’Opéra de Paris. Entre quatre ans de galère dans le cinéma et quatre ans de galère à l’Opéra, il fallait que je choisisse. C’était en 1986, j’ai opté pour l’Opéra de Paris. Ensuite, j’ai mis en scène Mefistofele de Boïto, puis j’ai commencé un film avec Barenboïm sur Faust.

     

    N’avez vous pas été paralysé par la mise en scène de Georges Lavelli qui a eu, pendant plus de vingt-cinq ans, la faveur du public ?

    Non. Je ne cherche pas le spectacle, je cherche l’œuvre. Je suis inaccessible aux influences même si je peux avoir des idées identiques. J’ai aimé le spectacle de Lavelli, je l’ai défendu en tant que spectateur. Je l’ai repris en tant que directeur de l’Opéra de Paris en 1988 avec comme chef Alain Lombard qui devait au départ diriger cette nouvelle production.

     

    Qu’est-ce qui tranche dans votre mise en scène par rapport à celle de Lavelli ?

    L’idée de Lavelli que Faust et Méphisto soient deux faces d’un même personnage est efficace théâtralement, mais fausse philosophiquement. Le chœur des soldats était composé chez Lavelli d’éclopés, d’estropiés. Je suis profondément antimilitariste. Dans ma production, c’est le cœur de la ville, le chœur des bourgeois planqués qui chantent le couplet patriotique Gloire immortelle de nos aïeux !

    Les soldats sont blessés, on vient les décorer. Je me souviens d’une image frappante vue à la télévision lors de la guerre en Irak : les infirmes décorés auraient bien changé leurs médailles contre leurs bras et leurs jambes. On aurait pu mettre derrière ces images Gloire immortelle. Ma conception est bien pire que celle de Lavelli puisque c’est l’arrière-garde qui chante Armons nous et partez !

     

    Qui est Faust pour vous ?

    Le Faust de Gounod n’est pas le personnage de Goethe. La dimension mĂ©taphysique n’y est pas. Il faut oublier Goethe et son humanisme. Il faut faire place Ă  « une orgie du cĹ“ur et des sens Â». Faust de Gounod veut boire, avoir la jeunesse et des maĂ®tresses. C’est une Ĺ“uvre presque antireligieuse. Le thème du Dieu divin a Ă©tĂ© absorbĂ© par le personnage de Valentin.

    Voici qui est étonnant de la part de Gounod. La pièce commence par le mot rien qui est répété dix-sept ou dix-huit fois. Lorsque Méphisto offre tout à Faust, à quoi un homme qui a passé sa vie dans sa bibliothèque et ne connaît rien du monde peut rêver sinon aux incarnations des héroïnes qu’il a vues dans ses livres ?

    Méphisto est envoyé pour provoquer Faust et le perdre en lui donnant tout ce qu’il veut. Mais Faust est incapable de séduire les femmes. Son appétit sexuel ne peut s’exercer que dans ce qu’il connaît. On lui propose les grandes séductrices de l’Antiquité ou des Métamorphoses d’Ovide qu’il connaît.

    Le veau d’or, c’est le minotaure ou la Bible. Salut, demeure chaste et pure est pour lui l’incarnation de l’amour comme pour tous les gens qui n’ont connu l’amour que sur le tard. Quand peut-on dire qu’on est amoureux ? Faust ne sait pas ce que c’est que l’amour. Il fait un enfant à Marguerite mais n’en revient pas.

     

    Et Marguerite justement…

    Les diamants sont les meilleurs amis de la femme. Marguerite est comme Marilyn Monroe. Elle oublie qui elle est et où elle est. Elle tombe amoureuse de ce très beau garçon, de ce prince charmant, de Méphisto qui la séduit. Marguerite est la victime d’une entreprise diabolique. Elle se révolte. Sa première victime s’exprime quand elle tue son enfant dans le sabbat des sorcières. Puis elle devient folle.

     

    À quelle époque avez-vous situé ce Faust ?

    À aucune époque. Tout le monde porte des uniformes. La kermesse est une fête universitaire : il y a des polytechniciens, des saint-cyriens, des chevaliers du Tastevin, des jeunes filles de la Légion d’honneur. Je pense de plus en plus que Faust est une œuvre antibourgeoise.

     

    Gounod antibourgeois et antireligieux ?

    Gounod était un homme profondément religieux mais on a l’impression que son rapport avec Dieu lui pèse et lui est douloureux. Il se mortifiait et calmait sa chair en se fouettant et portait des scarifications. Il était mentalement très fragile et a fait des séjours dans des lieux psychiatriques. Dieu était son grand problème.

     

    L’œuvre a été beaucoup modifiée à travers les ans. Comment vous y retrouvez-vous ?

    Beaucoup de scènes ont été coupées, tronquées. Les personnages de Siebel et de Wagner ont été sacrifiés et beaucoup de scènes comme celle de la folie à laquelle tenait tant Gounod ont été perdues. On les cherche dans les bibliothèques, jusqu’ici sans résultat. Beaucoup de scènes et d’airs n’ont pas d’explications. Un exemple, Le veau d’or est toujours debout, qu’est-ce ? Une harangue révolutionnaire contre le système capitaliste alors qu’on dépeint Gounod comme un conservateur ?

     

    Et l’apothéose de Faust ?

    Dans cette œuvre, on s’acharne sur cette pauvre Marguerite et il n’y a personne pour la sauver. L’apothéose de la fin où la sentence qui la frappe la condamnant à mort, elle l’accepte comme un suicide et elle meurt debout. Sauvée dans le ciel, c’est la ville, cette population qui l’a chassée qui la célèbre alors comme la sainte Marguerite.

     

    Qu’avez-vous fait du ballet ?

    J’aurais bien voulu l’inclure, mais ce n’était pas possible.

     

    Vous dites que Faust est un opéra du désir.

    Faust est un spectateur du désir. Méphisto matérialise pour lui ces désirs. Mais comment désirer ce que l’on ne connaît pas ?




    À voir :
    Faust de Gounod, mise en scène : Jean-Louis Martinoty, direction : Alain Altinoglu, Opéra Bastille, Paris, du 22 septembre au 25 octobre.

     

    Le 19/09/2011
    Nicole DUAULT


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