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ENTRETIENS 29 mars 2024

Alain Altinoglu,
au chevet du docteur Faust

© DR

Pour l’avoir dirigé à Berlin et Vienne, Alain Altinoglu connaît son Faust sur le bout de la baguette. Il n’en fallait pas moins pour remplacer Alain Lombard à une semaine de la première. Loin des polémiques et des règlements de compte, le jeune chef français apporte quelques précisions nécessaires sur le contexte ingrat d’une production décidément maudite.
 

Le 07/10/2011
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



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  • Est-ce bien votre vision du Faust de Gounod que le public entend en ce moment Ă  l’OpĂ©ra de Paris ?

    Peut-être les spectateurs ne s’imaginent-ils pas à quel point un chef peut transformer un orchestre, même sur le coup, ne serait-ce que du point de vue des tempi – à moins que l’orchestre ne suive pas le chef, ce qui n’arrive pas. Alain Lombard a toujours fait un Faust extrêmement lent, ce dont j’ai eu la confirmation par Thierry Fouquet, le directeur de l’Opéra de Bordeaux, qui m’a écouté dans cette œuvre à Vienne.

    Je ne puis définir mes tempi dans l’absolu, mais je sais que, du strict point de vue métronomique, je dirige Faust un peu plus vite qu’on ne l’entend habituellement. En ce qui concerne le son, ce n’était pas encore tout à fait le mien lorsque je suis arrivé, mais il a évolué au fur et à mesure des répétitions, et ce que j’ai obtenu à la représentation du 1er octobre était assez proche de ce que j’ai fait à Vienne et Berlin, dans la mesure, bien sûr, où chaque orchestre a ses propres traditions.

    Il reste cependant des points sur lesquels je n’ai pas pu intervenir, car ils étaient déjà fixés lorsque je suis arrivé, à la pré-générale. L’emplacement des chœurs et des solistes a en effet une influence sur la musique. Lorsque je prends part à une nouvelle production, j’aime évoquer ces questions avec le metteur en scène. Ici, les chœurs sont souvent très loin, et le manque de répétitions n’en est que plus dommageable.

     

    Dans quel état d’esprit avez-vous trouvé l’orchestre et les chanteurs à votre arrivée, une semaine avant la première ?

    Dans l’orchestre, pour ainsi dire personne n’avait été prévenu. Les tensions entre Alain Lombard et le plateau étaient visibles depuis plusieurs jours, à tel point que certaines répétitions avaient été écourtées. Par conséquent, quelques passages n’avaient pratiquement pas été répétés à mon arrivée, d’après les échos que j’en ai eu par certains musiciens.

    Or, si l’ancienne génération a énormément joué Faust, les plus jeunes ne connaissaient pas la partition, à la différence d’un théâtre de répertoire comme à Vienne, Berlin ou New York où cet opéra est programmé chaque année.

    Malgré l’étonnement que j’ai pu lire sur le visage de certains musiciens lorsque je me suis présenté devant eux, en lieu et place de Lombard, dont ils appréciaient beaucoup le charisme, l’orchestre a immédiatement joué le jeu. Nous étions tous dans le même bateau : il fallait sauver le navire.

    Si j’ai accepté de le faire, c’est aussi par fidélité, par amitié pour une maison qui m’a mis le pied à l’étrier à dix-huit ans, comme chef de chant, responsable des études musicales, assistant, et parfois même aux surtitres. Finalement, tout le monde a fait son maximum pour que cela fonctionne le mieux possible.

    En ce qui concerne les chanteurs, ce n’est pas révéler un secret que de dire que Roberto Alagna n’était pas le seul à se sentir mal vocalement. Face à un casting international, le travail du chef consiste à mettre tout le monde sur le même rail.

    En arrivant à la pré-générale, alors que chacun essayait de sauver sa peau, j’ai essayé d’établir un ciment stylistique, et les choses finissent par se concentrer au fur et à mesure des représentations. Je tiens à ce que les chanteurs se sentent bien sur une production, et j’ai l’impression que les tensions se relâchent petit à petit.

     

    Comme si cela ne suffisait pas, les représentations sont touchées par des grèves, à commencer par la première.

    Les conditions étaient d’autant plus difficiles qu’il s’est passé dix jours entre la générale et la première représentation avec mise en scène. Les spectateurs ne se rendent pas forcément compte des changements, notamment du point de vue de la technique de direction, entre version scénique et concertante.

    Certes, l’orchestre ne bouge pas, mais je me sers différemment de mon bras gauche, celui qui donne des indications aux chanteurs, suivant que ceux-ci sont loin ou proches de la fosse. La perception change également, et à mouvement égal, le public ressent la musique différemment, car je suis persuadé qu’à l’opéra, et même en concert, on écoute avec les yeux, que ce que l’on voit influe sur ce que l’on entend. Il semble par exemple que le climat que nous instaurons dans le duo de la chambre se perde dans le décor.

    Le contexte est très délicat, parce que je sens bien que parmi les musiciens de l’orchestre et les artistes du chœur, pratiquement personne ne soutient la grève. C’est une minorité qui empêche la majorité de travailler. Mais j’ose imaginer que ceux qui en arrivent au point de priver de mise en scène 2700 spectateurs, dont certains ont payé leur hôtel, leur train, ont économisé depuis un an pour venir de province, sont vraiment désespérés.

    Il n’en reste pas moins que ce mouvement manque de communication, qu’on n’en connaît pas les raisons, et qu’on ne sait pas si la situation va s’arranger. Je n’en suis pas moins heureux de pouvoir enfin diriger Faust à Paris, chez moi, après Berlin et Vienne. D’autant que j’avais dû refuser la proposition de Nicolas Joel de faire cette nouvelle production, car j’avais déjà signé pour Falstaff à Vienne.

     

    Vous avez en effet beaucoup dirigé Gounod, et notamment Faust ces dernières saisons.

    Comme je suis français, de culture et d’éducation musicales françaises, les théâtres étrangers m’ont d’abord proposé des opéras français. Il se trouve qu’en un an, j’ai dirigé les trois œuvres de Gounod les plus jouées dans le monde, Faust, Roméo et Juliette, et Mireille. Dans le répertoire français, ma préférence va plutôt à la musique symphonique, aux ballets de la fin du XIXe et du début du XXe siècles, Ravel, Debussy…

    Mais j’ai très vite été amené à accompagner au piano des airs d’opéras du XIXe pour des auditions, au conservatoire. Ainsi, Paul Gay qui était étudiant au CNSM en même temps que moi, commençait déjà à travailler le rôle de Méphistophélès à l’époque. Et sans doute y a-t-il une filiation quand on a été l’élève de l’élève de l’élève de Massenet ou de Gounod. Davantage en tout cas que si l’on est né au Texas ou à Bayreuth.

     

    Quelles sont les idées reçues sur Faust, qui souffre sans doute, comme d’autres œuvres du répertoire français, d’avoir été très populaire ?

    Je dois avouer que jusqu’à la fin de l’adolescence, j’ai détesté et Faust, et Gounod. C’était pour moi de la musique de bas étage, à une époque où je ne jurais que par Beethoven, Brahms, Berg et Boulez ! C’est en travaillant sur les œuvres qu’on en découvre la force et les beautés. La difficulté avec Gounod vient de ce qu’il existe jusqu’à cinq versions différentes de ses opéras. Il a changé l’ordre des numéros, en a composé de nouveaux, comme l’air de Valentin pour Londres, parce qu’il n’était jamais vraiment satisfait.

    La réaction du public comptait beaucoup pour lui. À l’époque de la création, la kermesse était une scène de genre quasiment imposée, à l’instar du quintette de Carmen, qui était dans le cahier des charges de l’Opéra Comique. La structure se fonde sur cette alternance de scènes extrêmement dramatiques et plus légères héritée du grand opéra.

    L’intérêt de l’interprétation est de conférer de la profondeur, parfois de la nostalgie à ces moments de légèreté. Trop rapide, la kermesse lorgne vers Offenbach, trop lente, la bière noie le vin. Et la valse est un tourbillon, une folie totale. L’équilibre est délicat à trouver, de même que le fil conducteur.

    Quel que soit le compositeur que j’interprète, je cherche la plus grande justesse stylistique. Il est important de savoir comment chaque compositeur réagissait de son vivant selon ses interprètes et ce qu’il leur demandait. Lorsque Bizet faisait répéter Roméo et Juliette à l’Opéra Comique, le ténor, qui trouvait l’air de Roméo trop aigu, lui demanda de le transposer. Bizet écrivit à Gounod qui n’y vit aucun inconvénient, bien qu’il ait beaucoup travaillé sur les couleurs. Il s’adaptait, par amour du chant.

    Et un critique de l’époque écrit que lorsque le compositeur dirigeait sa musique, il utilisait le même rubato que dans Mozart. Cette association nous paraît étrange aujourd’hui, mais elle prouve que Gounod n’était pas si rigide que cela. Quoi qu’il se passe sur le plateau, je dirige Faust en miroir du Don Giovanni de Mozart, avec le même genre de texture, de finesse, mais bien sûr aussi avec une sensualité et cynisme tout à fait français.

    Car ce qui compte d’abord pour moi, c’est de transmettre au public ce que je pense être l’idée du compositeur. Puis vient l’échange artistique entre les musiciens de l’orchestre, le chœur, les solistes et moi. De ce point de vue, ce qui se passe à la Bastille en ce moment me comble totalement.

     

    Le 07/10/2011
    Mehdi MAHDAVI


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