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ENTRETIENS 24 avril 2024

Philippe Jordan,
la force du style

© Johannes Ifkovits

Le défi était double pour Philippe Jordan : gagner l’enthousiasme du public, et surtout la confiance, mieux, la complicité de l’orchestre. Il l’a si bien relevé que Nicolas Joel vient de le prolonger à son poste jusqu’en juillet 2018. La troisième saison du chef suisse à la tête des forces musicales de l’Opéra de Paris s’ouvre avec une nouvelle production de la Force du destin.
 

Le 10/11/2011
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



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  • Vous venez d’être reconduit Ă  la tĂŞte de l’orchestre de l’OpĂ©ra de Paris, avec lequel vous avez menĂ© Ă  bien un Ring, tout en balayant un large rĂ©pertoire, de Mozart Ă  Strauss. Quel bilan tirez-vous de ces deux premières saisons ?

    Nous avons posé les bases nécessaires, en redonnant à la musique une présence dans la maison, tant du point de vue de la responsabilité et de l’organisation que de l’entente avec l’orchestre. La phase de découverte entre les musiciens et moi est achevée : je connais leur fonctionnement, leur personnalité, et réciproquement.

    Cela nous permet, sur les fondements de ce que nous avons créé pour le Ring avec les deux formations, de continuer notre parcours dans des répertoires différents, et justement cette saison avec Verdi, Debussy, Mozart et Strauss. Nous entrons à présent dans le quotidien.

     

    La raretĂ© de la Force du destin sur les scènes s’explique-t-elle par des difficultĂ©s particulières ?

    Elle est encore régulièrement jouée en Allemagne, en Italie, et même en Angleterre. Il est très étrange qu’à Paris, Simon Boccanegra soit mieux connu que La forza del destino, qui est pourtant plus populaire, mais n’a pas été donnée à l’Opéra depuis trente ans. Il est donc vraiment nécessaire que cette œuvre revienne au répertoire.

    En ce qui concerne les difficultés, elles sont comparables à celles du Bal masqué. Ces pièces se situent en effet entre la trilogie populaire de Verdi, où il a vraiment forgé son style, et la grande maturité de Don Carlo et Aïda. La forza est déjà sur la voie d’une forme qui lui est propre, sans tout à fait dépasser les limites d’une certaine convention.

    L’intrigue est complètement absurde, pire encore que celle du Trouvère, mais propice à une grande richesse stylistique. Il faut donc chercher l’unité de l’opéra dans le contexte historique du Risorgimento, le patriotisme, mais aussi le pacifisme.

    Car la guerre est omniprésente, ainsi que tout ce qui s’y rattache, l’héroïsme, la misère, la prostitution. La religion est aussi présente, dans un rôle protecteur, sous un aspect moins négatif donc que dans Don Carlo, et cependant obscur, que contrebalance la basse bouffe de Fra Melitone. C’est ici la société qui oppresse, à travers les Calatrava père et fils.

    Ce contexte rend moins absurde une série de hasards qu’il faut bien se résoudre à appeler destin – où s’arrête le hasard, où commence le destin ? Et il convient de prendre au sérieux aussi bien le finale du II que les scènes de genre du III, le Rataplan de Preziosilla qui flirtent avec l’opérette.

    Pour le reste, c’est une question de style. À présent que nous avons trouvé une langue commune pour Wagner, qui peut profiter à tout le répertoire, nous devons oser jouer différemment. Car l’ouverture de La forza, c’est un autre esprit, un autre élan, et donc un autre phrasé, une autre articulation.

     

    Qu’en est-il de l’écriture orchestrale de Verdi ?

    De même que dans Don Carlo, qu’il a remanié en parallèle, le développement est clair. Il ose davantage de fantaisie, et d’expérimentation, même si son orchestre est encore ancré dans la tradition, avec ce côté banda à cause duquel j’ai toujours eu un peu de mal à bien le faire sonner dans Don Carlo. Avec un orchestre tel que celui de l’Opéra, ce n’est pas tellement un problème. Mais l’équilibre entre les cuivres et les cordes n’est pas facile à trouver, car il faut en même temps caractériser ce qui est écrit.

     

    Sur le plan de la vocalité, Verdi semble définitivement tourner le dos aux réminiscences belcantistes présentes jusque dans le Bal masqué.

    Alvaro est, après Otello, le rôle de ténor le plus dramatique écrit par Verdi, sans cette élégance qu’avait encore Riccardo du Bal masqué, le Trouvère et Alfredo de la Traviata, ces héros jeunes et innocents. Sans renoncer bien sûr à la beauté du son, l’interprète d’Alvaro doit traduire la tragédie du personnage, qui tend vers Don Carlo, Otello et le vérisme.

    La prise de rôle de Marcelo Alvarez arrive au bon moment. Car il sait exactement ce qu’il veut et peut faire, et comment le faire, au point de donner l’impression d’avoir déjà beaucoup chanté cet opéra. Avec en plus ce timbre latin qui a maintenant toute l’ampleur nécessaire. Les autres rôles sont tout aussi exigeants.

    Dans les opéras de jeunesse, qui sont quelquefois très difficiles, on peut envisager, en oubliant les références du passé, de distribuer des rossiniens, car c’est ce dont Verdi disposait, mais La forza, comme Tristan et Isolde chez Wagner, demande des voix plus larges et puissantes.

     

    Avec Pelléas et Mélisande de Debussy, vous dirigerez à l’Opéra de Paris votre premier opéra français. Contrairement à la Force du destin, mais aussi la Tétralogie ou le Triptyque de Puccini, l’orchestre a beaucoup joué cette œuvre ces dernières années.

    C’est la première fois depuis ma rencontre avec l’orchestre, que nous allons faire ensemble une œuvre qu’il connaît mieux que moi ! En effet, j’avais déjà dirigé le Ring, et La forza del destino est, à l’instar du Trittico, une nouveauté pour nous tous. J’ai bien sûr mes propres idées, et je m’informe de l’expérience des uns et des autres – ce que je fais toujours quand j’aborde une nouvelle partition. Et je suis très intéressé par ce que l’orchestre va m’offrir : que vais-je prendre, que vais-je ajouter de ma propre perception de l’œuvre ?

     

    Quel type de couleurs rechercherez-vous ? Votre Mélisande, Elena Tsallagova, est plutôt légère…

    Avec cet orchestre et dans cette salle, je vais surtout utiliser la transparence et la clarté. Je suis évidemment tenté par le côté post-wagnérien, parce que je viens de ce répertoire : Pelléas comme un post-Parsifal. Mais je ne suis pas sûr de poursuivre ce chemin jusqu’au bout. C’est en travaillant avec l’orchestre et les chanteurs que je saurai si mon sentiment doit se refléter dans la réalité.

     

    Puis vous achèverez votre trilogie Mozart-Da Ponte avec Don Giovanni dans la mise en scène de Michael Haneke, qui est aussi contemporaine que celles des Nozze di Figaro et Così fan tutte étaient traditionnelles. Cela a-t-il une influence sur l’esthétique musicale, et notamment les silences imposés par le cinéaste allemand dans les récitatifs ?

    Cette situation est un peu délicate. D’une part, la mise en scène est très réussie, et je suis très curieux de la diriger. D’autre part, j’ai beaucoup fait Don Giovanni, et j’ai mes propres idées, mes propres expériences. Monsieur Haneke tient absolument à sa conception. Et parce qu’il est un cinéaste, il n’a pas conscience du quotidien d’une maison d’opéra, où une distribution peut être modifiée.

    Il ne sera pas présent durant les répétitions, mais si nous voulons reprendre cette mise en scène, nous n’avons pas d’autres choix que de respecter ces longues pauses, notamment celle qui précède l’air Fin ch’han dal vino du rôle-titre. Je suis donc obligé de m’adapter un peu.

    Musicalement, cela ne changera pas mon style dans les numéros. Quant aux récitatifs, qui seront accompagnés au pianoforte, mieux accordé à une mise en scène moderne, j’ai des idées spécifiques, qui ne sont certainement pas les mêmes que celles de Haneke, et le débit devra s’ajuster en fonction des différents chanteurs.

    Il n’en reste pas moins que je devrai penser les tempi en fonction de la longueur des pauses. Il en allait de même avec les Noces de Figaro dans la mise en scène très belle, mais assez statique de Strehler : nous ne pouvions pas célébrer un Mozart apollinien, il fallait y insuffler la vie.

     

    La saison s’achèvera avec Arabella, une œuvre de transition dans la production de Strauss, qui plus est marquée par le décès de Hofmannsthal.

    Cet opéra a un parfum d’inachèvement. Strauss a radicalement changé son style avec le Chevalier à la rose, et y resté plus ou moins fidèle. Mais prenons garde de ne pas voir en Arabella un deuxième Rosenkavalier. D’autant que la comparaison ne tournerait pas à l’avantage de la première. Si les deux œuvres fêtent le passé de la monarchie autrichienne, elle est ici sur le déclin. C’est pourquoi le ton est à la fois plus nostalgique et proche de l’opérette.

    Il y a dans le texte et la musique beaucoup de réminiscences de la Veuve joyeuse, et Mandryka rappelle le comte Danilo. Après le décès de Hofmannsthal et par respect pour celui-ci, Strauss n’a rien voulu changer au texte qui attendait d’être remanié. La fin est donc problématique, mais il faut l’accepter telle qu’elle est. Je suis ravi d’être associé à Marco Arturo Marelli, qui connaît tellement bien et l’œuvre, et Strauss, et Hofmannsthal, et qui sait gérer au mieux ces difficultés, pour trouver les bonnes solutions.

     

    Comment avez-vous reçu, en tant que directeur musical et donc partie prenante dans cette production, les critiques souvent virulentes adressées à Günter Krämer pour sa mise en scène du Ring ?

    Je peux comprendre la déception quasi unanime du public et de la presse, mais c’est là le revers de la médaille. Car j’ai vécu des journées extraordinaires, pas toujours faciles certes, avec un grand homme de théâtre, auquel son œil aiguisé par une parfaite connaissance du métier, et de la Tétralogie, permettait de trouver des solutions au moindre problème. Il a beaucoup participé à maintenir une cohérence dans le travail.

    À titre personnel, certains moments me plaisent énormément dans cette mise en scène, et d’autres beaucoup moins. C’est pourquoi je reste partagé. Cette image plus globale permettra en outre des changements, comme toujours quand on reprend un Ring, à l’atelier Bayreuth ou ailleurs. Je ne sais pas quelle en sera l’ampleur, mais nous aurons encore des surprises.




    À voir :
    La forza del destino de Verdi, direction : Philippe Jordan, mise en scène : Jean-Claude Auvray, Opéra Bastille, du 14 novembre au 17 décembre.

     

    Le 10/11/2011
    Mehdi MAHDAVI


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