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ENTRETIENS 26 avril 2024

Carlos Chausson le Magnifique

Rare Ă  l’OpĂ©ra de Paris, Carlos Chausson fut Ă  la Bastille un sensationnel Bartolo dans le Barbier de SĂ©ville mis en scĂšne par Coline Serreau. Pilier buffo de l’OpĂ©ra de Zurich, le baryton-basse espagnol chante Don Magnifico dans la Cenerentola, prĂ©sentĂ©e pour la premiĂšre fois en France dans la production mythique de Jean-Pierre Ponnelle.
 

Le 23/11/2011
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



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  • Comment rendre drĂŽle un personnage aussi antipathique que Don Magnifico ?

    Il est en effet trĂšs cruel avec Cendrillon. Il faut donc en faire un personnage si ridicule et exagĂ©rĂ© qu’il en devient sympathique pour le public, mais pas comme un paillasse. L’histoire est si belle, la musique si bien Ă©crite que la tĂąche est facilitĂ©e. Il est nĂ©anmoins toujours plus difficile de faire rire que pleurer. Dans une comĂ©die, la coordination, l’intĂ©gration de tous les chanteurs est beaucoup plus important que dans une tragĂ©die. Faute de rythme, on perd la vis comica. Les voix, l’orchestre, le chef peuvent sauvent La forza del destino. Mais dans Cenerentola, Don Pasquale ou le Nozze di Figaro, il doit se passer quelque chose sur scĂšne.

     

    Comment ne pas tomber dans l’excùs dans les rîles bouffes ?

    Tout dĂ©pend de la mise en scĂšne. Celle de JĂ©rĂŽme Savary, que j’ai faite sur cette mĂȘme scĂšne il y a dix ans, laissait une plus grande libertĂ© aux acteurs dans la charge et l’exagĂ©ration. Dans la production de Jean-Pierre Ponnelle, les situations mais aussi les dĂ©cors et les costumes sont suffisamment comiques pour ne pas en rajouter.

     

    Cette production date de 1968. Comment lui redonner vie, plus de vingt ans aprĂšs la disparition de Jean-Pierre Ponnelle ?

    Nous avons de la chance, car Grischa Asagaroff, qui rĂ©alise cette reprise, a Ă©tĂ© son assistant, et connaĂźt bien cette mise en scĂšne. Nous revenons donc Ă  l’original, et la production paraĂźt fraĂźche et moderne, car nous faisons tout tel que Ponnelle l’avait pensĂ©. Je n’ai malheureusement jamais travaillĂ© avec lui.

     

    La vocalité rossinienne se distingue par ses difficultés techniques. Quelles sont celles des rÎles de basse bouffe ?

    En premier lieu le sillabato, ces paroles qui doivent rester claires malgrĂ© leur grande rapiditĂ© d’exĂ©cution. D’autre part, la tessiture de Don Magnifico est un peu haute pour une basse. Ce style demande beaucoup de travail, parce qu’il est complĂštement diffĂ©rent du chant legato, Ă©lĂ©gant du bel canto. C’est pourquoi il vaut mieux se spĂ©cialiser dans le rĂ©pertoire bouffe. Qu’il s’agisse de Mozart, Rossini, Donizetti ou de l’opĂ©ra napolitain, il reprĂ©sente 80% de mon activitĂ©.

    Quand j’étais jeune, tout le monde me disait que j’avais une voix pour les parties sĂ©rieuses, et c’est ainsi que j’ai commencĂ© Ă  Ă©tudier. Puis j’ai eu l’opportunitĂ© de chanter Bartolo Ă  l’école Ă  vingt-cinq ans. C’était trop tĂŽt, mais on m’a assurĂ© que j’étais fait pour ce rĂ©pertoire. Professionnellement, il s’est passĂ© la mĂȘme chose. J’ai dĂ©butĂ© avec MĂ©phistophĂ©lĂšs de Faust, Raimondo dans Lucia di Lammermoor, et le New York City Opera m’a engagĂ© pour Leporello et Bartolo. Les critiques Ă©taient beaucoup plus enthousiastes que pour mes rĂŽles sĂ©rieux, et on ne m’a plus proposĂ© que du buffo.

     

    Quel est le secret du sillabato ?

    D’abord la connaissance de la langue. Je peux faire du sillabato en espagnol, en français, et bien sĂ»r en italien, mais en russe, en allemand ou en tchĂšque, cela me demandera quatre fois plus de temps. Car il faut ĂȘtre prĂ©cis, et aussi expressif : il ne s’agit pas de faire le perroquet. La premiĂšre fois, j’ai eu beaucoup de difficultĂ©s, mais au fil du temps, les muscles de l’articulation gagnent en flexibilitĂ© et en vĂ©locitĂ©. Il faut donc rĂ©pĂ©ter, jusqu’à ce que la mĂ©moire musculaire soit plus rapide que la mĂ©moire mentale. Car mon cerveau ne peut pas penser Ă  une telle vitesse. Enfin, chanter sur le souffle, comme une clarinette. Sinon, on est mort !

     

    Comment a Ă©voluĂ© le monde de l’opĂ©ra depuis vos dĂ©buts, notamment pour les jeunes chanteurs qui entrent dans la carriĂšre ?

    J’ai dĂ©butĂ© il y a trente-six ans. Ces dix ou quinze derniĂšres annĂ©es, les metteurs en scĂšne ont pris un pouvoir dĂ©mesurĂ©. Peut-ĂȘtre parce que nous vivons dans une sociĂ©tĂ© trĂšs visuelle. Cela a provoquĂ© des situations qui, moi, chanteur d’opĂ©ra, me dĂ©rangent beaucoup. Sans doute une partie du public en a-t-elle besoin, et je n’ai pas non plus envie de voir la mĂȘme Traviata, la mĂȘme Forza del destino ou le mĂȘme TannhĂ€user. Beaucoup de metteurs en scĂšne font des transpositions trĂšs intelligentes, mais certains d’entre eux profitent de la situation pour montrer des choses absolument ridicules et stupides qui n’ont rien Ă  voir avec l’opĂ©ra.

    Certains chanteurs, et notamment les plus jeunes, ne peuvent pas faire autrement que d’accepter cette situation, Ă  laquelle je n’ai dieu merci jamais Ă©tĂ© confrontĂ©. Mais que se passe-t-il avec le chef d’orchestre ? Il y a quinze, vingt ou trente-cinq ans, il arrivait le premier jour des rĂ©pĂ©titions et travaillait avec le metteur en scĂšne. C’est devenu de plus en plus rare, car un chef qui voit toutes ces horreurs qui n’ont aucun rapport avec l’intrigue ne peut pas le supporter. Nous faisons donc toutes les rĂ©pĂ©titions scĂ©niques sans lui, avec le pianiste et l’assistant. Le rĂ©sultat musical n’est Ă©videmment pas le mĂȘme, et c’est trĂšs grave.

     

    Est-ce pour cette raison que vous ĂȘtes si attachĂ© Ă  maison comme l’OpĂ©ra de Zurich ?

    Nous avons conservĂ© Ă  Zurich la tradition du travail bien fait, avec beaucoup de rĂ©pĂ©titions organisĂ©es avec le chef d’orchestre. J’ai pris part dans d’autres thĂ©Ăątres Ă  des productions de ce type, mais combien de fois ai-je vu le chef d’orchestre le premier et le deuxiĂšme jour, puis un mois plus tard avec l’orchestre, sans rĂ©pĂ©titions ni corrections ?

    Les thĂ©Ăątres de rĂ©pertoire offre cette sĂ©curitĂ© du travail, non pas d’un point de vue bourgeois, avec un salaire tous les mois, mais de la mĂ©thode et de la qualitĂ©. Il est difficile de fonctionner autrement, lorsqu’on prĂ©sente la BohĂšme un jour, TannhĂ€user le lendemain, et La forza del destino le surlendemain.

    Il m’est arrivĂ© de chanter trois reprĂ©sentations en deux jours : Cenerentola le samedi soir, la Belle HĂ©lĂšne le dimanche aprĂšs-midi, et le Barbier de SĂ©ville le dimanche soir. Je n’aurais pas pu le faire tous les week-ends, mais c’est une bonne expĂ©rience. Je viens d’entamer ma derniĂšre saison Ă  Zurich. Je n’avais de toute maniĂšre que vingt reprĂ©sentations par an, et mĂȘme dix ces cinq derniĂšres annĂ©es, ce qui me donnait beaucoup de libertĂ© pour me produire dans d’autres thĂ©Ăątres.

     

    Comment ĂȘtes-vous venu au chant ?

    J’ai commencĂ© la guitare classique Ă  l’ñge de huit ans. Puis j’ai chantĂ© dans un groupe de rock Saragosse pendant quatre ou cinq ans. Je suis allĂ© Ă  Madrid pour faire des Ă©tudes d’ingĂ©nieur, et y ait fait la connaissance du directeur d’un chƓur universitaire qui m’a demandĂ© pourquoi je chantais du rock, alors que ma voix, ne serait-ce que parlĂ©e, Ă©tait naturellement faite pour l’opĂ©ra. Un jour, j’étais dans le chƓur du Messie, avec Simon Estes en soliste. Lorsqu’il s’est mis Ă  chanter, je me suis dit : « Je ne sais pas si je peux le faire, mais voilĂ  ce que je veux faire. Â» C’est ainsi que j’ai dĂ©butĂ© sĂ©rieusement mes Ă©tudes de chant lyrique, ce qui, Ă  l’époque, n’allait pas de soi en Espagne.

    Nous avions certes des monstres sacrĂ©s – Alfredo Kraus, Montserrat CaballĂ©, Teresa Berganza, Victoria de los Ángeles, PlĂĄcido Domingo, plus tard JosĂ© Carreras –, mais comme issus d’une gĂ©nĂ©ration spontanĂ©e. Car il n’y avait pas de grands maĂźtres au Conservatoire. C’est Lola RodrĂ­gez AragĂłn, le professeur de Berganza, qui a fondĂ© la premiĂšre Ă©cole supĂ©rieure de chant de Madrid, oĂč j’ai Ă©tĂ© formĂ©. Aujourd’hui, nous n’avons plus de grandes stars, mais des chanteurs de premier plan comme JosĂ© Bros, Carlos Álvarez, Ismael Jordi, Ángeles Blancas GulĂ­n, Maria Bayo, Isabel Rey, Ainhoa Arteta, qui font une carriĂšre internationale, et sont la base de l’école espagnole de chant.

     

    Enseignez-vous ?

    J’ai des Ă©lĂšves depuis dix ans. J’aime enseigner la technique, car la voix est un miracle, auquel on peut trouver, par l’étude, de nombreuses raisons. Il est d’ailleurs trĂšs important d’expliquer, et pas seulement de montrer des exemples. Par le biais de la physiologie, d’images, et surtout de l’oreille : le son est-il beau ou non, le texte est-il intelligible ? Pour moi, un chanteur incomprĂ©hensible est demi-chanteur. Je pourrais citer beaucoup de noms dans l’histoire de l’opĂ©ra, et particuliĂšrement des sopranos, avec des voix magnifiques, mais dont on ne saisissait pas un traĂźtre mot. Non seulement dans mon rĂ©pertoire, mais dans tous les autres, il est essentiel de se faire comprendre.




    À voir :
    La Cenerentola de Rossini, direction : Bruno Campanella, mise en scÚne : Jean-Pierre Ponnelle, réalisée par Grischa Asagaroff, Palais Garnier, du 26 novembre au 17 décembre.

     

    Le 23/11/2011
    Mehdi MAHDAVI


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