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ENTRETIENS |
26 avril 2024 |
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Comment rendre drĂŽle un personnage aussi antipathique que Don Magnifico ?
Il est en effet trĂšs cruel avec Cendrillon. Il faut donc en faire un personnage si ridicule et exagĂ©rĂ© quâil en devient sympathique pour le public, mais pas comme un paillasse. Lâhistoire est si belle, la musique si bien Ă©crite que la tĂąche est facilitĂ©e. Il est nĂ©anmoins toujours plus difficile de faire rire que pleurer. Dans une comĂ©die, la coordination, lâintĂ©gration de tous les chanteurs est beaucoup plus important que dans une tragĂ©die. Faute de rythme, on perd la vis comica. Les voix, lâorchestre, le chef peuvent sauvent La forza del destino. Mais dans Cenerentola, Don Pasquale ou le Nozze di Figaro, il doit se passer quelque chose sur scĂšne. |
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Comment ne pas tomber dans lâexcĂšs dans les rĂŽles bouffes ?
Tout dĂ©pend de la mise en scĂšne. Celle de JĂ©rĂŽme Savary, que jâai faite sur cette mĂȘme scĂšne il y a dix ans, laissait une plus grande libertĂ© aux acteurs dans la charge et lâexagĂ©ration. Dans la production de Jean-Pierre Ponnelle, les situations mais aussi les dĂ©cors et les costumes sont suffisamment comiques pour ne pas en rajouter. |
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Cette production date de 1968. Comment lui redonner vie, plus de vingt ans aprĂšs la disparition de Jean-Pierre Ponnelle ?
Nous avons de la chance, car Grischa Asagaroff, qui rĂ©alise cette reprise, a Ă©tĂ© son assistant, et connaĂźt bien cette mise en scĂšne. Nous revenons donc Ă lâoriginal, et la production paraĂźt fraĂźche et moderne, car nous faisons tout tel que Ponnelle lâavait pensĂ©. Je nâai malheureusement jamais travaillĂ© avec lui. |
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La vocalité rossinienne se distingue par ses difficultés techniques. Quelles sont celles des rÎles de basse bouffe ?
En premier lieu le sillabato, ces paroles qui doivent rester claires malgrĂ© leur grande rapiditĂ© dâexĂ©cution. Dâautre part, la tessiture de Don Magnifico est un peu haute pour une basse. Ce style demande beaucoup de travail, parce quâil est complĂštement diffĂ©rent du chant legato, Ă©lĂ©gant du bel canto. Câest pourquoi il vaut mieux se spĂ©cialiser dans le rĂ©pertoire bouffe. Quâil sâagisse de Mozart, Rossini, Donizetti ou de lâopĂ©ra napolitain, il reprĂ©sente 80% de mon activitĂ©.
Quand jâĂ©tais jeune, tout le monde me disait que jâavais une voix pour les parties sĂ©rieuses, et câest ainsi que jâai commencĂ© Ă Ă©tudier. Puis jâai eu lâopportunitĂ© de chanter Bartolo Ă lâĂ©cole Ă vingt-cinq ans. CâĂ©tait trop tĂŽt, mais on mâa assurĂ© que jâĂ©tais fait pour ce rĂ©pertoire. Professionnellement, il sâest passĂ© la mĂȘme chose. Jâai dĂ©butĂ© avec MĂ©phistophĂ©lĂšs de Faust, Raimondo dans Lucia di Lammermoor, et le New York City Opera mâa engagĂ© pour Leporello et Bartolo. Les critiques Ă©taient beaucoup plus enthousiastes que pour mes rĂŽles sĂ©rieux, et on ne mâa plus proposĂ© que du buffo. |
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Quel est le secret du sillabato ?
Dâabord la connaissance de la langue. Je peux faire du sillabato en espagnol, en français, et bien sĂ»r en italien, mais en russe, en allemand ou en tchĂšque, cela me demandera quatre fois plus de temps. Car il faut ĂȘtre prĂ©cis, et aussi expressif : il ne sâagit pas de faire le perroquet. La premiĂšre fois, jâai eu beaucoup de difficultĂ©s, mais au fil du temps, les muscles de lâarticulation gagnent en flexibilitĂ© et en vĂ©locitĂ©. Il faut donc rĂ©pĂ©ter, jusquâĂ ce que la mĂ©moire musculaire soit plus rapide que la mĂ©moire mentale. Car mon cerveau ne peut pas penser Ă une telle vitesse. Enfin, chanter sur le souffle, comme une clarinette. Sinon, on est mort ! |
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Comment a Ă©voluĂ© le monde de lâopĂ©ra depuis vos dĂ©buts, notamment pour les jeunes chanteurs qui entrent dans la carriĂšre ?
Jâai dĂ©butĂ© il y a trente-six ans. Ces dix ou quinze derniĂšres annĂ©es, les metteurs en scĂšne ont pris un pouvoir dĂ©mesurĂ©. Peut-ĂȘtre parce que nous vivons dans une sociĂ©tĂ© trĂšs visuelle. Cela a provoquĂ© des situations qui, moi, chanteur dâopĂ©ra, me dĂ©rangent beaucoup. Sans doute une partie du public en a-t-elle besoin, et je nâai pas non plus envie de voir la mĂȘme Traviata, la mĂȘme Forza del destino ou le mĂȘme TannhĂ€user. Beaucoup de metteurs en scĂšne font des transpositions trĂšs intelligentes, mais certains dâentre eux profitent de la situation pour montrer des choses absolument ridicules et stupides qui nâont rien Ă voir avec lâopĂ©ra.
Certains chanteurs, et notamment les plus jeunes, ne peuvent pas faire autrement que dâaccepter cette situation, Ă laquelle je nâai dieu merci jamais Ă©tĂ© confrontĂ©. Mais que se passe-t-il avec le chef dâorchestre ? Il y a quinze, vingt ou trente-cinq ans, il arrivait le premier jour des rĂ©pĂ©titions et travaillait avec le metteur en scĂšne. Câest devenu de plus en plus rare, car un chef qui voit toutes ces horreurs qui nâont aucun rapport avec lâintrigue ne peut pas le supporter. Nous faisons donc toutes les rĂ©pĂ©titions scĂ©niques sans lui, avec le pianiste et lâassistant. Le rĂ©sultat musical nâest Ă©videmment pas le mĂȘme, et câest trĂšs grave. |
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Est-ce pour cette raison que vous ĂȘtes si attachĂ© Ă maison comme lâOpĂ©ra de Zurich ?
Nous avons conservĂ© Ă Zurich la tradition du travail bien fait, avec beaucoup de rĂ©pĂ©titions organisĂ©es avec le chef dâorchestre. Jâai pris part dans dâautres thĂ©Ăątres Ă des productions de ce type, mais combien de fois ai-je vu le chef dâorchestre le premier et le deuxiĂšme jour, puis un mois plus tard avec lâorchestre, sans rĂ©pĂ©titions ni corrections ?
Les thĂ©Ăątres de rĂ©pertoire offre cette sĂ©curitĂ© du travail, non pas dâun point de vue bourgeois, avec un salaire tous les mois, mais de la mĂ©thode et de la qualitĂ©. Il est difficile de fonctionner autrement, lorsquâon prĂ©sente la BohĂšme un jour, TannhĂ€user le lendemain, et La forza del destino le surlendemain.
Il mâest arrivĂ© de chanter trois reprĂ©sentations en deux jours : Cenerentola le samedi soir, la Belle HĂ©lĂšne le dimanche aprĂšs-midi, et le Barbier de SĂ©ville le dimanche soir. Je nâaurais pas pu le faire tous les week-ends, mais câest une bonne expĂ©rience. Je viens dâentamer ma derniĂšre saison Ă Zurich. Je nâavais de toute maniĂšre que vingt reprĂ©sentations par an, et mĂȘme dix ces cinq derniĂšres annĂ©es, ce qui me donnait beaucoup de libertĂ© pour me produire dans dâautres thĂ©Ăątres. |
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Comment ĂȘtes-vous venu au chant ?
Jâai commencĂ© la guitare classique Ă lâĂąge de huit ans. Puis jâai chantĂ© dans un groupe de rock Saragosse pendant quatre ou cinq ans. Je suis allĂ© Ă Madrid pour faire des Ă©tudes dâingĂ©nieur, et y ait fait la connaissance du directeur dâun chĆur universitaire qui mâa demandĂ© pourquoi je chantais du rock, alors que ma voix, ne serait-ce que parlĂ©e, Ă©tait naturellement faite pour lâopĂ©ra. Un jour, jâĂ©tais dans le chĆur du Messie, avec Simon Estes en soliste. Lorsquâil sâest mis Ă chanter, je me suis dit : « Je ne sais pas si je peux le faire, mais voilĂ ce que je veux faire. » Câest ainsi que jâai dĂ©butĂ© sĂ©rieusement mes Ă©tudes de chant lyrique, ce qui, Ă lâĂ©poque, nâallait pas de soi en Espagne.
Nous avions certes des monstres sacrĂ©s â Alfredo Kraus, Montserrat CaballĂ©, Teresa Berganza, Victoria de los Ăngeles, PlĂĄcido Domingo, plus tard JosĂ© Carreras â, mais comme issus dâune gĂ©nĂ©ration spontanĂ©e. Car il nây avait pas de grands maĂźtres au Conservatoire. Câest Lola RodrĂgez AragĂłn, le professeur de Berganza, qui a fondĂ© la premiĂšre Ă©cole supĂ©rieure de chant de Madrid, oĂč jâai Ă©tĂ© formĂ©. Aujourdâhui, nous nâavons plus de grandes stars, mais des chanteurs de premier plan comme JosĂ© Bros, Carlos Ălvarez, Ismael Jordi, Ăngeles Blancas GulĂn, Maria Bayo, Isabel Rey, Ainhoa Arteta, qui font une carriĂšre internationale, et sont la base de lâĂ©cole espagnole de chant. |
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Enseignez-vous ?
Jâai des Ă©lĂšves depuis dix ans. Jâaime enseigner la technique, car la voix est un miracle, auquel on peut trouver, par lâĂ©tude, de nombreuses raisons. Il est dâailleurs trĂšs important dâexpliquer, et pas seulement de montrer des exemples. Par le biais de la physiologie, dâimages, et surtout de lâoreille : le son est-il beau ou non, le texte est-il intelligible ? Pour moi, un chanteur incomprĂ©hensible est demi-chanteur. Je pourrais citer beaucoup de noms dans lâhistoire de lâopĂ©ra, et particuliĂšrement des sopranos, avec des voix magnifiques, mais dont on ne saisissait pas un traĂźtre mot. Non seulement dans mon rĂ©pertoire, mais dans tous les autres, il est essentiel de se faire comprendre.
Ă voir :
La Cenerentola de Rossini, direction : Bruno Campanella, mise en scÚne : Jean-Pierre Ponnelle, réalisée par Grischa Asagaroff, Palais Garnier, du 26 novembre au 17 décembre. |
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