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ENTRETIENS 18 avril 2024

Coline Serreau sur tous les chemins

Si sa mise en scène du Barbier de Séville de Rossini est devenue un classique de la maison, Coline Serreau n’avait pas signé de nouvelle production à la Bastille depuis 2002. En attendant que se réalisent ses rêves de Mozart et de Verdi, elle ouvre l’année Massenet en guidant la première Manon parisienne de Natalie Dessay sur tous les chemins.
 

Le 09/01/2012
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



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  • Vous ĂŞtes auteur et metteur en scène de théâtre, cinĂ©aste. Que l’opĂ©ra vous apporte-t-il de plus, ou de diffĂ©rent ?

    Le bonheur avec l’opéra, c’est que tous les corps de métiers sont sollicités, un peu comme au cinéma. C’est un théâtre agrandi, la réunion de tout ce que j’aime, et à quoi j’aspire. J’ai toujours rêvé de faire de l’opéra. Ma première envie était le Barbier de Séville de Rossini. Et puis à la faveur d’une défection, Hugues Gall m’a confié la Chauve-Souris de Johann Strauss.

    J’ai adoré cette expérience, alors que je ne connaissais l’œuvre que très superficiellement avant de la mettre en scène. J’aimerais évidemment monter les grands opéras de Mozart, quelques Verdi aussi. Mais jamais je n’aurais pensé à Manon. Pourtant, j’ai accepté tout de suite la proposition de Nicolas Joel. Et plus je travaille dessus, plus je découvre qu’il s’agit d’un pur chef-d’œuvre. C’est aussi bien, quelquefois, de ne pas faire que ce que l’on choisit.

     

    Êtes-vous davantage attirée par la musique, le livret ?

    La conjonction des deux. Car certains livrets sont quand même très faibles. Le Barbier de Séville a un très bon livret. Et celui de Manon n’est pas si mal, ou du moins, on peut en tirer quelque chose de bien. De préférence donc, quand le livret est bon. Rigoletto, c’est extraordinaire !

     

    Quel est le principal dĂ©fi Ă  l’opĂ©ra ? Le rythme ?

    Ce n’est malheureusement pas moi qui le donne. Lorsque que le chef d’orchestre a un rythme organique semblable à celui que je ressens, ce n’est pas grave. Je me suis toujours bien entendue avec les chefs, d’autant que je comprends bien leurs problèmes.

     

    Vos mises en scène d’opéra ne font pas l’impasse sur la dimension spectaculaire du genre, comme c’est souvent le cas aujourd’hui.

    Les décorateurs Jean-Marc Stehlé et Antoine Fontaine, avec qui je travaillais déjà avant de faire de l’opéra, se battent pour un théâtre qui soit aussi de la peinture, avec des images belles et signifiantes. Car il ne s’agit pas de tomber dans l’esthétisme. Dans le Barbier, les couleurs représentaient des univers masculins ou féminins différents, sans qu’on ait eu besoin de l’expliquer avec un gros écriteau. Ces choses passent par les yeux et l’inconscient.

     

    Manon de Massenet, ou le XVIIIe vu par la fin du XIXe siècle…

    Et présenté devant un public du XXIe siècle. Le principe de cette mise en scène est justement de ne se fixer aucun carcan, et d’intégrer tous ces grands sauts temporels : le XVIIIe, avec la Révolution qui arrive, et une certaine émancipation des femmes, le XIXe, qui est à la fois très puritain et romantique, le XXe, sa cruauté et quelquefois sa modernité, le XXIe enfin, qui a débuté dans un grand chaos.

    C’est toute cette épaisseur de temps, qui est notre inconscient collectif, que j’essaie de mettre en jeu par des costumes, des décors et des accessoires hors d’une époque donnée. Je cherche à ce que les personnages soient vrais, non pas dans une veine réaliste ou vériste, mais dans leur besoin existentiel. Ils ont tous des enjeux, des désirs, des craintes, des mouvements, des passions.

    Guillot de Morfontaine et Brétigny ne sont pas pour des caractères bouffes. J’ai donné à l’interprète de Guillot l’exemple du moment où Nucingen tombe amoureux d’Esther dans Splendeurs et misères des courtisanes de Balzac : sa vie est coupée en deux, de manière tragique. Le résultat peut être comique, mais il faut jouer vrai.

     

    Montesquieu voyait dans le roman de l’abbĂ© PrĂ©vost une histoire dont « le hĂ©ros est un fripon et l’hĂ©roĂŻne une catin. Â» Qu’en reste-t-il dans l’opĂ©ra ?

    Massenet a épousé une époque qu’il ne l’a jamais vraiment critiquée, cherchant toujours les honneurs, ce qui pourrait le rendre assez antipathique, mais il était presque débordé par son génie. Et si le livret est assez édulcoré par rapport à l’original, la musique ne l’est pas. L’orchestre raconte très violemment ce qui se passe, et lorsqu’on essaie de rendre visibles ses mouvements, les enjeux deviennent forts.

    Cette Manon, qui n’est pas tout à fait celle de Prévost, est l’histoire de deux personnes qui vivent dans des mondes complètement différents, et n’ont absolument pas les mêmes rêves. Ce sont deux paumés d’aujourd’hui, qui ne se voient pas, et s’agrippent à un amour illusoire parce que tout s’effondre autour d’eux. Ce n’est que lorsque Manon meurt, probablement décharnée et pas du tout sexy, quand toutes les horreurs de la vie sont passées, que leur amour devient vrai, parce qu’il a passé les épreuves de l’illusion.

     

    L’ouvrage dégage-t-il encore un parfum de scandale ?

    Je joue le scandale, ou en tout cas la foire aux bestiaux dans le tableau du Cours-la-Reine, cette soi-disant fête où tout le monde marche au pas, boit à la santé du roi, et où l’on vend des prostitués. C’est une scène pathétique.

     

    Comment rendre attachant un personnage aussi cupide et frivole que Manon ?

    Des Grieux lui propose une petite maison au fond des bois : c’est l’image de la ravissante jeune femme qui s’occupe des casseroles, du ménage, du repassage, pendant que les autres vont travailler. Mais il y a un fossé entre l’idéal des hommes et celui des femmes. Manon a envie de s’amuser, d’être heureuse, ce qui n’était pas permis à cette époque : il fallait être soumise. Elle n’a donc rien de particulièrement frivole. Elle n’a simplement pas compris que dans ce monde, la seule manière d’être libre est d’être une prostituée. Et donc de ne pas être libre.

    On le voit bien dans Splendeurs et misères des courtisanes : les femmes intelligentes, littĂ©raires qui ne sont pas issues de la grande aristocratie sont foutues. Des Grieux est prisonnier des codes que son père lui impose – comment peut-on dire Ă  un type qui commence sa vie : « Ă‰pouse quelque brave fille Â» ? –, mais a lui aussi envie de se brĂ»ler Ă  quelque chose de beau, qui le dĂ©passe, il a une transcendance inadaptĂ©e Ă  sa famille, Ă  son Ă©poque. L’aspect rĂ©pressif de cette sociĂ©tĂ© presque obligatoire nous touche tous.

     

    Les attentes que suscite la notoriété de Natalie Dessay ne risquent-elles pas de faire écran entre le public et l’œuvre ?

    À aucun moment je ne prends Natalie pour plus ou moins que ce qu’elle est, c’est-à-dire une personne très talentueuse. Les vedettes, j’en ai vu d’autres, et cela m’est bien égal. En revanche, son talent ne m’est pas égal, et nous travaillons à le mettre en valeur pour le plus grand bien de l’œuvre. Natalie a un rayonnement intérieur, une inquiétude contre laquelle elle lutte, et tous ces combats apparaissent. Elle peut être très émouvante, sans être sentimentale, et ne se met pas du tout en avant. C’est une vraie artiste.

     

    N’avez-vous jamais été tentée par le film d'opéra ?

    Il a été question d’une Flûte enchantée avec Daniel Toscan du Plantier, à l’époque où Jack Lang était ministre de l’éducation. Toscan est mort, les socialistes ont perdu les élections, et le projet n’a pas abouti. Mais je ne perds pas espoir.

     

    Comment concevez-vous ce genre hybride, qui a connu des échecs cuisants, et des réussites partielles ?

    Il faudrait utiliser toutes les ressources du cinéma, notamment les effets spéciaux. Et se poser la question du casting, très compliquée à l’opéra. Car il est difficile, voire impossible de mobiliser de grands chanteurs pendant douze semaines. Le playback serait la solution : faire jouer l’opéra par des acteurs. Le problème de l’image se pose également au cinéma – les veines gonflées…

    Il ne s’agit pas non plus de chercher le réalisme. Les Indiens l’ont très bien compris. On les a pris pour des ringards, mais ce sont eux qui sont peut-être le plus en avance. Le système de Bollywood produit un art pour faire rêver, sans complexe. L’opéra appelle cette liberté, cette folie complètement baroque. Un nouveau langage reste à écrire.

     

    Populaire et engagée : vous reconnaissez-vous dans ces termes ?

    Si je fais quelque chose de populaire, c’est toujours avec le souci d’une grande classe, car populaire est trop souvent associé à vulgaire. Bien qu’un certain théâtre élitiste puisse aussi être extrêmement vulgaire… Je suis engagée, dans le sens où mon travail questionne et reflète la société dans laquelle nous vivons, et essaie de toucher toutes les couches qui la composent. C’est la définition même de l’art.




    À voir :
    Manon de Massenet, direction : Evelino Pido, mise en scène : Coline Serreau, Opéra Bastille, du 10 janvier au 13 février
    Il barbiere di Siviglia de Rossini, direction : Marco Armiliato, mise en scène : Coline Serreau, Opéra Bastille, du 24 mai au 2 juillet

     

    Le 09/01/2012
    Mehdi MAHDAVI


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