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ENTRETIENS 20 avril 2024

Christian Lacroix, par-delĂ  les pourpres, ors et velours
© Anne Deniau

Entre corrida et opéra, les collections de haute couture de Christian Lacroix émerveillaient par leurs exubérances baroques, mais aussi la rigueur du trait, qui épouse, raconte les figures lyriques d’un monde rêvé. Pour son complice Denis Podalydès, il signe les costumes de la nouvelle production de Don Pasquale de Donizetti au Théâtre des Champs-Élysées.
 

Le 08/02/2012
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



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  • Qu’est-ce qui vous attire dans le monde de l’opĂ©ra ?

    Quelque chose de bigger than life, ou même peut-être la vie tout court, qui sur scène me semble plus vraie que celle du quotidien. Et puis la voix bien sûr, l’instrument au-dessus de tous les autres. On attend toujours le miracle, la grâce, ce moment d’osmose entre l’orchestre, l’acoustique du théâtre, l’esthétique du spectacle, le public, notre propre réceptivité, et la voix donc, cette sorte de liqueur qui vous envahit. Ou pas.

    Un peu comme en tauromachie, où il faut savoir accepter de voir se succéder corridas banales ou décevantes avant le rare instant de duende, qui parfois demande des saisons entières de patience entre deux faenas d’anthologie, qui ne durent que quelques petites minutes. Mais au-delà des pourpres, ors et velours de l’opéra classique, ce sont les décors et les costumes, que depuis toujours j’ai voulu dessiner et que je n’ai jamais cessé de scruter.

    Je m’estime chanceux d’avoir réussi adulte à réaliser ce projet de l’enfant que j’ai été, et de pouvoir suivre la genèse d’une mise en scène, d’y participer par mon travail, jusqu’aux derniers tombers de rideau de l’ultime représentation. Depuis maintenant plus de cinquante ans, je compile la moindre image, le moindre document, le moindre article qui pourra un jour me servir à dessiner décors et costumes de spectacles à venir. Qui auraient pu ne jamais venir, et mes cartons rester fermés. Mais…

     

    L’opéra a-t-il été une source d’inspiration dans votre carrière de couturier ?

    Bien sûr, une de mes inspirations principales, avec toute l’histoire de tous les costumes, historiques ou ethniques. Couture et opéra me semblent appartenir à la même dimension, au même univers, s’habillant l’un l’autre.

     

    Quel est votre rapport à la voix, aux différents répertoires ?

    La Callas au milieu des années 1950, à la grande époque : c’est mon premier souvenir. Mon grand-père était mélomane. Il chantait même un peu, du Gounod, avec mon arrière-grand-mère. Moi, j’en étais incapable. Ce qui ne fit qu’accroître ma fascination pour les voix et la musique, que je suis inapte à pratiquer. Venant d’une région où le répertoire français de la fin du XIXe siècle faisait partie de la vie de chacun, j’ai d’abord entendu Gounod et Bizet, puis l’opéra italien, Verdi surtout, avant d’écouter beaucoup de musique baroque dans les années 1980, de me familiariser avec Strauss, et enfin Wagner. Poulenc, Debussy et Ravel font aussi partie de ce que j’écoute.

     

    Concevez-vous les costumes Ă  partir du livret, de la musique ?

    Surtout à partir des envies du metteur en scène, de ses indications.



     

    Vous collaborez régulièrement avec Vincent Boussard et Denis Podalydès. Qu’est-ce qui est à l’origine de ces rencontres, de ces affinités ?

    Difficile de définir ces sortes de proximité. Peut-être justement parce que je sais les écouter et concrétiser l’imaginaire diffus qui peut être le leur. Bien se connaître facilite également le travail, évite de perdre du temps, surtout lorsque, comme nous trois, on multiplie les productions à un rythme très rapproché. Sans pour autant se recopier ou appliquer des recettes toujours semblables, ni jamais tomber dans la facilité d’un style qui serait fait de tics.

    Je me suis rendu compte aussi que la ComĂ©die-Française Ă©tait un dĂ©nominateur commun. Denis en est un des « personnages Â» principaux, et si j’ai connu Vincent par l’intermĂ©diaire de William Christie – qui lui avait confiĂ© la mise en espace au Théâtre des Champs-ÉlysĂ©es d’un spectacle Charpentier, dont il m’avait demandĂ© les costumes –, il a aussi beaucoup travaillĂ© au Français.

    Qui nous poursuit encore ces dernières semaines, puisque nous sommes en train de préparer Adriana Lecouvreur de Cilea à Francfort, un opéra que j’ai écouté en boucle pendant des années en espérant qu’un jour j’en dessinerais les costumes, ceux d’une actrice de la Comédie-Française au XVIIIe siècle donc.

     

    Quelles sont les Ă©tapes de votre travail ?

    Écouter, écouter, écouter, noter beaucoup, réunir toute une documentation – photos, tableaux, films – lorsque c’est nécessaire. Et jeter dans la marge du texte ou du livret des gribouillages illisibles qui deviennent des croquis, puis se précisent en maquettes. Je fais plusieurs propositions pour chaque personnage, le metteur en scène choisit, et nous passons ensuite à l’échantillonnage, c’est-à-dire la recherche des tissus qui les traduiront le plus précisément.

    Le décor, qui doit toujours être prêt bien plus tôt que les costumes, car techniquement plus lourd à construire, est un ancrage important, avec lequel il faut trouver une cohérence qu’amplifieront les lumières. Mais ces costumes évoluent encore jusqu’au soir de la première, et doivent rester malléables jusqu’à la fin, où, dans l’idéal, ils constitueront la seconde peau des chanteurs, comédiens ou danseurs, les aidant à incarner leurs personnages. En fait, chaque metteur en scène ou chorégraphe a sa manière de procéder, un œil bien à lui, et une approche très personnelle auxquels je dois m’accorder. J’aime cela.

     

    Dans quelle mesure les costumes reflètent-ils la psychologie des personnages ?

    Vaste question... Une couleur, une ligne, un maquillage, des proportions, des matières, des accessoires qui doivent à la fin les raconter dès qu’ils apparaissent.

     

    Êtes-vous plus à l’aise, plus libre dans des esthétiques traditionnelles ou modernes ?

    Je ne pensais pas, lorsqu’adolescent j’ambitionnais de faire ce métier, que l’on me demanderait un jour des costumes contemporains. Mais j’ai toujours aimé cela. De même qu’en haute couture on a peu voulu voir mes modèles préférés, simples et noirs, pour insister sur la couleur, l’exubérance, le baroque, qui sont certes plus emblématiques de mon travail, on a pensé que je ne saurais faire que des costumes classiques, historiques, excentriques.

    Alors que, et surtout depuis que nous travaillons beaucoup à Berlin et partout en Allemagne, je crée pour Vincent des costumes qui pourraient tout à fait figurer dans une collection de haute couture. Ce sont des pièces uniques, sculptées, formées, cousues au millimètre sur le corps de chaque interprète comme de chaque cliente, dont le mode de vie, l’allure, la personnalité n’ont rien à voir avec le commun des mortels. Et qui sont donc à souligner, amplifier, magnifier, signaler, raconter, exprimer, à la ville comme à la scène. Les ateliers des grands théâtres sont d’ailleurs comme des maisons de couture.

     

    Habiller les chanteurs ne va sans doute pas sans contraintes, notamment physiologiques.

    Il n’y a pas de règles. Certaines chanteuses ne se trouvent jamais assez corsetées, quand d’autres n’en supportent même pas l’idée. Il faut être à l’écoute de chaque interprète, leur demander, lorsqu’on les rencontre pour la première fois, leurs phobies, les couleurs ou toute autre chose qu’elles ne supportent pas. Et bien entendu leurs préférences ou exigences pour tout ce qui concerne la voix, que ce soit le ventre, la poitrine, le cou, et donc les corsets, les cols, les décolletés. Il en est bien sûr de même pour les hommes.

     

    Dans le Don Pasquale que met en scène Denis Podalydès, les costumes prennent-ils en charge une part de la dimension buffa ?

    Chaque production, fût-ce avec un metteur en scène complice, est une aventure neuve. Je n’avais pratiquement jamais abordé l’opera buffa, mais en fait, cet esprit n’est pas prépondérant dans l’approche de Denis, qui a choisi un univers néo-réaliste, cinématographique, plus proche des comédies italiennes de Vittorio De Sica dans les années 1950. Il se trouve que je les avais vues enfant au cinéma, et on retrouve exactement dans des films comme Pain, amour et fantaisie, ce mélange de bouffe et de drame.

    Nous n’avons donc rien outré, pas même le ventre de Don Pasquale. Les serviteurs sont en paysans, dans une harmonie grisée de patches bleutés, jaunis, brunâtres. Malatesta a des accents méphistophéliques, Ernesto est un bon garçon à la dégaine débraillée, populaire. Quant à Norina, elle est conforme aux caractères de l’après-guerre, entre la Strada au début, et les héroïnes de romans-photos de l’époque, Confidences, Nous Deux, Intimité, version italienne, vers la fin.

    Peut-être la mise en scène, par l’intermédiaire de quelques accessoires pourra-t-elle être plus buffa. Mais je n’ai pas eu ce genre de directives pour les costumes de la part de Denis. Cela a encore le temps de se produire dans la dernière ligne droite, au cours des derniers jours de répétitions. Tout reste ouvert.




    À voir :
    Don Pasquale de Donizetti, direction : Enrique Mazzola, mise en scène : Denis Podalydès, Théâtre des Champs-Élysées, Paris, du 13 au 23 janvier

     

    Le 08/02/2012
    Mehdi MAHDAVI


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