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ENTRETIENS 27 avril 2024

Lilo Baur,
la peinture des Ă©motions

Comédienne, Lilo Baur a joué sous la direction de Peter Brook et Simon McBurney. La saison dernière, elle a mis en scène avec succès le Mariage de Gogol à la Comédie-Française. Après ses débuts à l’opéra avec Didon et Énée et avant Ariane et Barbe-Bleue, elle guide les chanteurs de l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris à travers les mystères de la Résurrection.
 

Le 26/04/2012
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



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  • Vous avez fait vos dĂ©buts de metteur en scène d’opĂ©ra avec Didon et ÉnĂ©e de Purcell Ă  Dijon. Un oratorio, c’est, si j’ose dire, encore pire…

    C’est bien dit ! La difficulté de la Resurrezione de Haendel est qu’il s’agit non d’une action, mais d’une succession de tableaux. C’est la raison pour laquelle j’ai recherché une grande pureté des atmosphères. Aux chanteurs de transmettre les émotions de Marie Madeleine et Marie Cléophas, de donner vie à la dispute éternelle entre l’Ange et Lucifer. Ces deux personnages symbolisent la lumière et les ténèbres. L’un est en blanc, l’autre en noir, mais ils sont presque identiques.

     

    Comment mettre en scène un ouvrage dont le personnage principal, le Christ, n’est jamais présent ?

    Au début, l’Ange dit à Lucifer que le Christ n’est pas mort par sa faute, mais par amour. De même, Marie Madeleine n’est qu’amour : elle voudrait le voir, le trouver, elle a besoin de la preuve qu’il l’aime encore, et qu’elle peut le suivre. Comme si elle avait perdu son guide. Ce n’est pas seulement Jésus, qui est aussi abstrait, mais quelqu’un qu’on a perdu, la personne que Marie Madeleine a aimée le plus au monde, parce qu’elle lui a montré un autre chemin que celui de la prostitution. Le moment où elle dit qu’elle a vu le Christ doit être d’autant plus touchant qu’il l’a gardée à distance : Tu non mi puoi toccar ! – Noli me tangere. C’est un moment de grand silence. Cet être que l’on ne voit jamais, c’est cette lumière qui l’illumine de l’intérieur.

     

    Vous êtes-vous imprégnée de l’œuvre par le texte ou la musique ?

    Les deux à la fois, j’ai écouté la musique en lisant le texte. Je parle l’italien, mais les structures grammaticales du livret sont souvent plus proches du latin. J’ai cherché à reconstituer la meilleure traduction possible, mais nous avions encore des doutes sur certaines constructions au début des répétitions.

     

    Avez-vous été inspirée par des peintures ?

    Le retable d’Issenheim représente les trois Marie de manière vivante et colorée. J’ai voulu plus de sobriété. Lucifer et l’Ange sont interprétés par un homme et une femme : ils sont comme Adam et Eve autour de l’arbre. Lorsque Jean replie le linceul et le tient contre lui, il évoque une pietà. Durant l’air Piangete, sì, piangete, les femmes regardent dans l’eau, comme le Narcisse du Caravage. Et à ce moment, l’eau devient rouge, réminiscence du sang que Marie Madeleine a vu couler au pied de la croix.

    Mais ces effets ne sont pas toujours faciles à rendre dans un espace comme celui de l’Amphithéâtre de la Bastille. Le chant et le texte portent tout. C’est pourquoi Lucifer et l’Ange s’adressent au public, font leurs entrées et leurs sorties par la salle. Mon devoir est de soutenir les chanteurs, les guider pour qu’ils puissent transmettre une émotion qui dépasse le récit biblique par son universalité. Sur de nombreux points, les Évangiles sont contradictoires, et je les appréhende comme les grands mythes de la Grèce ou de l’Inde. Marie Cléophas est-elle la sœur de la Vierge ? C’est en tout cas un membre de la famille, qui est là pour veiller le mort, et pour souffrir.

     

    Qu’est-ce qui vous a donné envie de passer du métier de comédienne à la mise en scène ?

    Était-ce vraiment une envie ? Je voulais changer, travailler différemment. Pour rompre avec le rythme des tournées, j’ai pris une année sabbatique, durant laquelle j’ai animé des stages en Grèce avec un metteur en scène, Thomas Moscopoulos, qui m’a demandé si je voulais collaborer avec lui sur un spectacle, parce qu’il montait un opéra en même temps.

    C’est à partir de ce moment, il y a huit ans, que j’ai commencé à faire des mises en scène, d’abord beaucoup en Grèce, en Espagne et en Italie, des pièces de Tchekhov, mais aussi de Shakespeare. C’est grâce à Fishlove, une adaptation de nouvelles de Tchekhov, que j’ai été invitée en France. Puis une chose en a amené une autre… Jamais je n’avais pensé que je ferais de la mise en scène. D’ailleurs, je ne voulais pas. La première fois, je n’arrivais plus à dormir. Cela me paraissait beaucoup moins confortable que d’être comédienne.

     

    Quelle a été votre réaction lorsqu’on vous a proposé de mettre en scène un opéra ?

    J’ai toujours aimĂ© la musique baroque, Purcell, Haendel. Alors j’ai pensĂ© : « pourquoi pas ? Â» Didon et ÉnĂ©e est une Ĺ“uvre courte, avec suffisamment d’action. C’est une histoire d’amour qui tourne mal. J’ai fait appel Ă  une danseuse avec qui j’ai travaillĂ© sur les mouvements des marins et des voiles. Je n’ai pas peur de dire oui. Ce n’est qu’après, quand je me plonge dans les Ĺ“uvres, que je commence Ă  dĂ©couvrir que c’est plus difficile que je ne le pensais.

     

    Il faut avoir un certain courage pour accepter de mettre en scène Ariane et Barbe-Bleue de Dukas.

    Je ne connaissais pas du tout cette œuvre, mais j’ai accepté parce que c’est Dijon – et bien qu’il s’agisse du plateau immense de l’Auditorium. Sabine Theunissen, qui à l’opéra collabore avec William Kentridge, créera la scénographie. J’ai déjà passé une journée avec le chœur, qui m’inspire beaucoup. Pour la Résurrection, j’ai travaillé cinq jours avec les chanteurs avant les répétitions. J’aime découvrir la matière théâtrale que j’ai à façonner.




    À voir :
    La Resurrezione de Haendel, direction : Paul Agnew, mise en scène : Lilo Baur, Amphithéâtre Bastille, du 30 avril au 6 mai.
    Ariane et Barbe-Bleue de Dukas, direction : Daniel Kawka, mise en scène : Lilo Baur, Auditorium, Dijon, du 7 au 11 décembre 2012.

     

    Le 26/04/2012
    Mehdi MAHDAVI


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