altamusica
 
       aide















 

 

Pour recevoir notre bulletin régulier,
saisissez votre e-mail :

 
désinscription




ENTRETIENS 25 avril 2024

Éric Huchet,
de Savary Ă  Richard Strauss

Il ne passe pas aperçu, ce colosse aux yeux d’azur. Et si l’on n’avait pris l’habitude d’identifier sa trogne aux rôles de caractère, au premier rang desquels Falsacappa, chef des Brigands d’Offenbach, on le croirait taillé pour Wagner. Cela tombe bien, Éric Huchet en rêve. Pour l’heure, le ténor français est Elemer, prétendant d’Arabella à l’Opéra Bastille.
 

Le 12/06/2012
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



Les 3 derniers entretiens

  • Ted Huffman,
    artiste de l’imaginaire

  • JĂ©rĂ´me Brunetière,
    l’opéra pour tous à Toulon

  • Jean-Baptiste Doulcet, romantique assumĂ©

    [ Tous les entretiens ]
     
      (ex: Harnoncourt, Opéra)


  • S’il n’est pas rĂ©compensĂ© de ses efforts, Elemer a sur les autres prĂ©tendants d’Arabella l’avantage d’être le favori.

    Dominik et Lamoral sont en effet bien moins présents, même si dans cette mise en scène, ils accompagnent Elemer chez Arabella au premier acte. Sans doute est-il le plus fortuné et le plus jeune des trois. Aucun n’échappera pourtant à la douche froide. Et si les deux autres acceptent plutôt sereinement leur sort, Elemer se révèle hargneux, à la limite même du racisme envers Mandryka.

    Quel soufflet pour un noble viennois de se voir retirer une héritière, même ruinée, par ce Valaque – même s’il fait preuve d’autant de grossièreté que pourrait en avoir cet inconnu qui arrive de ses campagnes ! Car à la base, ils sont au même niveau : ils veulent acheter une belle femme à son père. C’est le marché aux bestiaux. Elemer ne réagit pas autrement que Mandryka à la fin du II, lorsque ce dernier se croit trompé par Arabella.

     

    Jamais tendre avec les ténors, Strauss a-t-il le temps de ne pas aimer Elemer ?

    Le rôle de Matteo est plus ingrat et difficile à chanter. Elemer est assez proche de Narraboth dans Salomé, avec quelques belles envolées lyriques où Strauss fait croire qu’il aimait les ténors, au moins pendant quelques mesures.

     

    Comment tire-t-on son Ă©pingle du jeu dans des rĂ´les brefs, et parfois ingrats ?

    « Il n’y pas de petits rĂ´les, il n’y a que de petits acteurs. Â» Cette phrase de Stanislavski est profondĂ©ment ancrĂ©e en moi depuis que je fais ce mĂ©tier, et me permet de passer de premiers plans, quel que soit le rĂ©pertoire, Ă  des rĂ´les plus Ă©pisodiques.

    Un « Madame est servie Â» mal fait est tellement dĂ©stabilisant, ne serait-ce que pour la personne Ă  qui il est adressĂ©. Le but est de porter un spectacle, et la moindre petite phrase a son importance. J’ai au moins Ă  mettre en valeur la personne qui est plus exposĂ©e que moi Ă  ce moment-lĂ , sans me demander si je vais chanter face au public, ou si je suis dans la lumière.

    Même dans une histoire comme celle d’Arabella, dont Oscar Straus aurait pu faire une opérette viennoise, il est possible de tirer son épingle du jeu. Car l’édifice tient grâce à cette petite brique qui permet de comprendre qu’Arabella soit davantage attirée par Mandryka que par quelqu’un comme Elemer.

    Il faut réussir à faire ressortir ces petites touches de grossièreté, mais aussi être aimable, parce qu’elle a hésité, et le Comte a fait partie de son cercle proche, j’espère pas uniquement pour son argent, mais aussi parce qu’il était d’agréable compagnie.

     

    Avez-vous bifurqué vers le répertoire léger par choix, par goût, ou simplement par un concours de circonstances ?

    Je suis parti étudier le chant à Vienne à trente ans. J’ai donc commencé ma carrière très tard, et tout ce qui venait, tout ce qui était agréable à prendre, je l’ai pris. À l’époque, mon agent était Jean-Marie Poilvé, qui avait un grand amour de l’opéra-comique et de l’opérette française. Avec d’autres chanteurs de son agence, nous avons monté un programme d’opérette avec lequel nous avons tourné un peu partout.

    Puis je me suis retrouvé dans la Mascotte d’Audran mise en scène par Jérôme Savary. Ce que j’ai fait lui a plu, et il m’a engagé pour la Périchole qu’il avait en projet à Chaillot. C’était parti pour cinq ans, émaillés notamment de projets avec Pelly et Minkowski. Je ne regrette pas du tout cette période, car les spectacles de Jérôme ont été des expériences uniques de solidité, à un rythme de six à huit représentations par semaine qui ne se pratique pas à l’opéra.

    Artistiquement, le résultat s’apparentait presque à du crossover, mais j’ai toujours chanté ces ouvrages avec mes moyens lyriques.

     

    L’étiquette comique et la réputation de Savary, plutôt mauvaise dans le milieu de l’opéra, ont-elles freiné votre carrière lyrique ?

    Lorsqu’on est engagé pour des séries de cinq mois, on ne peut pas faire autre chose. Mais la roue tourne, et les gens oublient. Je suis retourné l’année dernière à l’Opéra Comique pour les Brigands avec grand plaisir, car cette maison conserve son âme quelle que soit l’orientation artistique du directeur.

    Peut-être ces étiquettes m’ont-elles gêné dans mon envie de me donner les moyens d’aborder d’autres répertoires, parce que j’ai pu avoir tendance à me reposer sur une certaine aisance scénique, et ne pas continuer à travailler vocalement pour asseoir les choses – ce que j’aurais peut-être fait si j’étais resté dans un répertoire plus lyrique.

    En province, je suis toujours engagé pour de l’opérette ou de l’opéra-comique. Mais à la Bastille, et bien qu’il s’agisse de personnages secondaires, j’ai participé aux productions de Mathis der Maler de Hindemith et Tannhäuser, qui demandent un abord et un placement différents de la voix. Alors je tape aux portes, pour que quelqu’un me confie un jour un emploi plus conséquent dans un opéra du grand répertoire.

    La logique voudrait que les chanteurs jeunes ou moins jeunes rôdent leurs rôles dans des théâtres de plus petite jauge pour se lancer ensuite sur des scènes plus importantes, mais la conjoncture financière le permet de moins en moins. Comme si on pouvait passer directement de l’école aux retransmissions HD du Met…

     

    Les emplois sérieux vous sont-ils nécessaires pour briser la routine qui peut parfois s’installer dans les rôles de caractère ?

    Je n’ai jamais éprouvé le sentiment de routine, même dans les séries avec Savary. Une seule fois, je me suis surpris à me demander ce que j’étais en train de raconter, et j’ai perdu mon texte… au bout de la soixante-dixième représentation !

    Cette alternance me permet d’apporter une certaine légèreté, ou une facilité dans le jeu à un spectacle comme Arabella, sans pour autant me poser la question des genres sérieux ou comique. Il y a des partenaires, il faut aller vers eux ; et je dois vraiment faire un effort pour regarder le chef d’orchestre.

    Je n’ai pas l’impression de faire deux métiers différents. Le Peintre dans Lulu, qui musicalement est d’une difficulté sans nom, doit être abordé comme un rôle de théâtre. Autrement, il n’a aucun intérêt. L’opérette apporte davantage cette expérience du jeu que l’opéra italien traditionnel, même si certains savent déceler le théâtre même dans ce type d’ouvrages.

     

    Quels sont les metteurs en scène qui vous ont le plus marqué de ce point de vue ?

    Patrice Caurier et Moshe Leiser, avec qui j’ai fait Falstaff, la Flûte enchantée, Carmen, Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny, réalisent toujours un vrai travail sur le théâtre, les personnages, le corps. Ce sont des aspects qui me servent énormément, par exemple pour retrouver une souplesse dans les jambes. Ce travail est parfois poussé à l’extrême, mais ils m’ont beaucoup appris, et m’ont permis au fur et à mesure des années de fixer les choses.

    À la Bastille, tout dépend de la grandeur du rôle et de l’investissement. Carsen est venu très peu pour la reprise de Tannhäuser, mais peut-être aurai-je vraiment l’occasion de travailler avec lui les quatre valets des Contes d’Hoffmann ? Sur Arabella, Marco Arturo Marelli a vraiment amené un univers, et j’aimerais bien fouiller des rôles plus importants avec lui. Toute expérience est intéressante. Et s’il n’y aucun plaisir à faire ce travail, autant rester chez soi.

     

    Et quand rien ne va ?

    Nous sommes payés pour faire un spectacle, c’est-à-dire chanter aussi bien que possible et suivre l’idée du metteur en scène, aussi farfelue soit-elle. Inutile de faire la guerre, ou alors mieux vaut refuser, et partir. Une forme de détachement finit par s’installer. En tant qu’acteurs, nous comprenons certaines choses parce qu’on nous les explique, mais on ne peut pas faire plus que ce que permettent le corps et les trois dimensions dans lesquelles nous jouons.

    Reste à trouver le truc pour qu’au moins quelques personnes parviennent à nous suivre. C’est parfois très compliqué. Mais il faut prendre le plaisir d’être avec les partenaires, de jouer et chanter ce qui est écrit, et le public se fera son idée. Certaines choses nous échappent aussi, parfois même des rires. Je m’en suis rendu compte en revoyant les Brigands à la télévision. À un moment, le public riait non grâce à moi, mais parce qu’il y avait une tête de cerf derrière Falsacappa.

     

    Pourquoi avez-vous décidé d’aller étudier le chant à Vienne à trente ans ?

    Je développais des logiciels de calcul de structure pour des charpentiers dans une petite société qui offrait aux artisans et aux compagnons qui n’avaient aucune formation informatique la possibilité de faire leurs calculs et de se positionner sur des marchés intéressants. Et puis j’ai commencé à chanter dans un ensemble vocal amateur à vingt-six ans.

    J’ai pris mes premiers cours à vingt-sept ans dans un conservatoire municipal à Paris. Très vite, j’ai fait des petits solos à Saint-Louis-en-l’Île, à la Madeleine. À trente ans, j’avais atteint la limite de mon métier du fait de ma formation d’informaticien, et non d’ingénieur. De l’autre côté, je voyais une fenêtre qui s’ouvrait.

     

    Donc vous avez sauté.

    À cette époque, comme aujourd’hui d’ailleurs, la France n’offrait que peu de possibilités de continuer à se former, hormis le CNIPAL et l’École d’Art Lyrique de l’Opéra de Paris. Je n’ai même pas tenté d’y aller, parce que je ne me sentais pas prêt vocalement. Et puis je voulais apprendre autre chose.

    J’avais des amies à Vienne, j’ai passé des coups de téléphone et eu deux rendez-vous pour des auditions, une au conservatoire, avec le baryton wagnérien Gerd Nienstedt, qui regardait par la fenêtre pendant que je chantais, et une autre à la Musikhochschule avec Walter Berry. Il m’a repris sur deux ou trois points, et m’a dit qu’il serait très heureux de me faire travailler. J’ai passé le concours d’entrée pour intégrer le cycle court.

    Une fois ce pas franchi, j’ai pensé que j’avais peut-être une chance, et je me suis donné les moyens d’y arriver. Je suis resté à Vienne de 1992 à 1998, où j’ai eu l’occasion de chanter dans Lulu et Œdipe d’Enesco avec le Neue Oper Wien, une troupe axée sur les opéras du XXe siècle et la création contemporaine, ainsi qu’une multitude de messes de Schubert, Haydn et Mozart.

    Cela permet de manger du répertoire le matin de bonne heure, avec une répétition entre neuf et dix, et la messe à dix heures et demie. Quant à mes débuts professionnels, ils ont eu lieu à Rouen en 1996, en Almaviva. Et puis tout est allé assez vite, même si je ne me sentais pas prêt vocalement. Et je ne me sens toujours pas prêt aujourd’hui !

     

    Et que chanterez-vous, lorsqu’enfin vous vous sentirez prêt ?

    Je n’ai jamais été attiré par le répertoire italien, au contraire de l’opéra allemand. J’aimerais bien faire Loge quelque part – mais il faut trouver une Tétralogie, ce qui en France ne va pas de soi –, ainsi qu’Erik dans le Vaisseau fantôme. Et dire dans dix ans que j’ai chanté Lohengrin.

    Je travaille donc dans cette direction, tout en essayant de garder la légèreté de la voix pour pouvoir chanter Ménélas jusqu’à soixante-quinze ans – et Lohengrin jusqu’à soixante-dix, ce serait l’idéal ! Un rôle comme Elemer me fait passer un cran au-dessus : l’apprendre, le réussir et être au niveau dans une maison comme l’Opéra de Paris, et au sein d’un plateau aussi prestigieux.

    Si j’avais commencé dix ans plus tôt, j’aurais eu vingt ans devant moi pour aborder les grands rôles. Le temps est un peu court, mais je suis très heureux de pouvoir participer à des spectacles intéressants, et de me réveiller le matin en me demandant si ma voix est là. Il faut parler de ses envies. Faire Melot m’a permis de mettre un pied dans Wagner. Et de le désacraliser.

    Quand on est sur le plateau avec un chanteur, on ne se rend pas forcément compte de son impact sonore dans la salle. J’avais toujours pensé qu’un ténor wagnérien devait avoir une voix énorme, alors qu’elle doit être focalisée au maximum : un petit grain de rien du tout dont il faut développer la résonance et les harmoniques avec le corps.

    Je travaille des airs, puis des scènes, pour savoir si je parviens à aller au bout des partitions. Hoffmann est un rôle que je dois commencer à pouvoir chanter correctement. Ne serait-ce que pour être le premier, peut-être, à l’interpréter après avoir fait les quatre valets et Spalanzani !




    À voir :
    Arabella de Richard Strauss, direction : Philippe Jordan, mise en scène : Marco Arturo Marelli, avec Renée Fleming, Michael Volle, Julia Kleiter/Genia Kühmeier, Joseph Kaiser, Kurt Rydl, Doris Soffel, Opéra Bastille, du 14 juin au 10 juillet
    L’Amour des trois oranges de Prokofiev (rôle de Trouffaldino en remplacement d'Andreas Conrad), direction : Alain Altinoglu, mise en scène : Gilbert Deflo, Opéra Bastille, du 23 juin au 13 juillet.


     

    Le 12/06/2012
    Mehdi MAHDAVI


      A la une  |  Nous contacter   |  Haut de page  ]
     
    ©   Altamusica.com