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ENTRETIENS 25 avril 2024

Mariame Clément, au cœur du Chevalier à la rose
© Pietro Spagnoli

Révélée par une Belle Hélène aussi élégante que spirituelle, Mariame Clément compte parmi les metteurs en scène les plus pertinents du moment. Avant ses débuts au Palais Garnier la scène prochaine avec Hänsel et Gretel de Humperdinck, elle revient à l’Opéra du Rhin pour le Chevalier à la rose de Richard Strauss, dont elle puise la profondeur dans la légèreté.
 

Le 13/06/2012
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



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  • Comment abordez-vous, cent ans après sa crĂ©ation, ce vrai faux pastiche du XVIIIe siècle ?

    Jongler avec les Ă©poques dans le Chevalier Ă  la rose implique d’identifier ce XVIIIe siècle, ce Ă  quoi il fait rĂ©fĂ©rence, et pourquoi. Sous des atours historiques, au sujet desquels le livret est parfaitement clair – « Ă€ Vienne, dans les premières annĂ©es du règne de l’impĂ©ratrice Marie-ThĂ©rèse Â» –, le cĹ“ur de l’œuvre, ce qui lui donne son titre, relève de la fiction : la remise de la rose, Ă  laquelle il est fait rĂ©fĂ©rence de manière Ă©vidente, est une coutume qui n’existe pas.

    Et partant emblématique de ce fantasme du XVIIIe viennois, qui puise ses principales sources non en Autriche, mais en France. Hofmannsthal s’est en effet inspiré de Molière et des Amours du Chevalier de Faublas. Ce faux historicisme est très libérateur, en ce qu’il incite à se demander ce que Strauss et son librettiste ont voulu y trouver, et comment le recréer.

    Qu’elle soit authentique ou non, l’anecdote selon laquelle le compositeur aurait affirmĂ© : « La prochaine fois, j’écris un opĂ©ra de Mozart Â» en sortant de la première d’Elektra, dĂ©note un profond dĂ©sir de comĂ©die, souvent perdu dans les productions que j’ai pu voir.

    Très axée sur le mauvais tour joué à Ochs, la genèse de l’opéra révèle des origines structurelles bien plus proches de la Commedia dell’arte que des clichés que l’on a en tête : un barbon veut épouser une jeune fille, et un jeune homme se met en travers – il n’y manque pas même les intrigants.

    Avoir cette filiation à l’esprit m’a beaucoup aidée à aborder la pièce, qui est sans doute celle avec laquelle je me suis le plus battue. D’autant qu’en préparant Der Rosenkavalier en même temps que Don Pasquale, j’ai été confrontée à des résonances inattendues entre deux œuvres qui racontent la même histoire. À cette exception qu’il n’y a pas de Maréchale chez Donizetti. C’est dans cette tension entre un canevas typique de l’opéra bouffe et ce personnage énigmatique que se situe le cœur de l’œuvre.

     

    Rétrospectivement, et notamment dans les lettres concernant Arabella, Hofmannsthal reproche à Strauss son manque de légèreté. Prenez-vous en compte ces remarques, ainsi que toutes celles qui émaillent leur abondante correspondance, dans votre mise en scène ?

    Comme tout ce que j’ingurgite lorsque je fais mes devoirs, je ne sais pas oĂą cela ressortira. La genèse, la correspondance nourrissent la conception d’une manière ou d’une autre, et mĂŞme tout Ă  fait consciemment dans le cas des indications de Strauss sur le personnage de la MarĂ©chale Ă  la fin du premier acte : « il lui faut montrer des yeux Ă  la fois humides et secs. Â»

    Tenir constamment cet équilibre entre la volonté fantasmée de légèreté exprimée par les auteurs et ce qu’elle est devenue, tant par la musique que l’introduction du personnage de la Maréchale, est le cœur du travail, qui consiste à voguer du livret à la partition, soit pour les réunir, soit en quittant l’un pour rejoindre l’autre.

     

    Dans cette collaboration pour ainsi dire sans nuage – les suivantes seront moins sereines –, le Baron Ochs apparaît au détour d’une lettre comme une possible pomme de discorde.

    Un ami metteur en scène m’a mise en garde contre lui, car il est la principale pierre d’achoppement du Chevalier Ă  la rose ! Strauss Ă©crit lui-mĂŞme qu’il « sait si bien observer les convenances dans le salon de la MarĂ©chale qu’elle n’éprouve au bout de cinq minutes aucun besoin de le faire sortir par son domestique Ă  coups de pied dans le derrière. Â»

    Il est essentiel de ne pas en faire un bouffon, mais un personnage doté d’un certain pouvoir de séduction, voire dangereux. Le fait qu’il appelle les choses par leur nom le rend même sympathique, tout en étant absolument odieux. Leonie Rysanek l’évoque comme ce cousin de quelques années son aîné, certainement son préféré, qui a vu grandir la Maréchale à la campagne, et était là quand elle prenait son bain.

    Bien que la vie les ait sĂ©parĂ©s, et que le mariage de la petite RĂ©si ait fait d’elle une grande dame, leur intimitĂ© remonte Ă  loin. J’essaie de mettre en relief ce rapport de symĂ©trie. Ainsi, la fin des premier et deuxième actes commence exactement de la mĂŞme manière : c’est le monologue de la MarĂ©chale, puis les exclamations d’Ochs qui, blessĂ© physiquement, mais aussi un peu dans son âme, ne cesse de rĂ©pĂ©ter : « ce freluquet du haut de ses dix-sept ans ! Â»

    Il y a là quelque chose de l’ordre de l’angoisse et de la nostalgie. Mais alors que la Maréchale a un discours d’une lucidité extrême, Ochs se précipite sur la première occasion de se divertir, presque au sens pascalien, c’est-à-dire de fermer les yeux sur cette réalité. Cette transformation d’une symétrie en dissymétrie est très belle.

     

    Quel âge a la Maréchale, ou du moins le reflet que lui renvoie son miroir ?

    Librettiste, compositeur, interprètes et exĂ©gètes s’accordent Ă  dire qu’elle n’est pas vieille. Pour Christa Ludwig, « quand elle se regarde dans son miroir et s’y trouve vieille, ce n’est que par jeu. Si vraiment elle s’y trouvait vieille, elle ne s’y regarderait plus depuis longtemps. Â»

    C’est un point de vue aussi sain qu’amusant sur la question. Beaucoup d’interprètes évoquent aussi son caractère viennois, et donc jamais complètement sérieux. Un des grands problèmes de l’ouvrage, sans doute moins dans le traitement que dans l’attente qu’il suscite, tient au culte voué à ce personnage forcément sublime, le plus beau de l’histoire de l’opéra, etc… qui me donne envie de réagir de façon défensive.

    Je pense instinctivement à la Comtesse des Noces de Figaro, qui est tout aussi sublime, mais dont on ne fait pas tout un plat ! Ces deux femmes sont évidemment très liées, tant par leur légèreté que par leur profondeur. Ma réaction tend simplement à désacraliser la Maréchale. Parce qu’il n’y pas si longtemps, elle était la petite Rési. Elle ne l’est plus, et pourtant elle est la même. Sa vision dans le miroir a sur elle le même impact qu’une vieille photographie.

    Ce sont des impressions que je ressens de manière très intime, instinctive et immĂ©diate, mais comment les transmettre Ă  une interprète ? Qu’est-ce qui va distinguer le clichĂ© atroce, l’image Ă©culĂ©e de la MarĂ©chale Ă  la fin du premier acte, d’un regard fin et sensible dans le miroir ? Tout est dans la nuance. Mais faut-il, pour la rendre perceptible, faire de grandes choses très visibles, ou rester dans la subtilitĂ© ? Je penche toujours vers la deuxième solution.

     

    Octavian est-il tĂŞte Ă  claques ou sympathique ?

    Il faudra que je vive avec Octavian pendant le temps des répétitions pour en décider. Je n’aurais pas osé donner cette réponse il y a quelques années, parce que j’avais le complexe de ne pas être suffisamment préparée. Reste l’angoisse, qui est motrice. Ne pas pouvoir répondre à cette question ne signifie pourtant pas que je ne sais pas ce que je veux, ou ce que je vais dire à l’interprète.

    J’ai simplement beaucoup de mal à juger les personnes. Mais ce qui dans la vie relève de l’évidence est un processus auquel un metteur en scène d’opéra doit oser aboutir pour les personnages. Je sais ce qui va se passer dans un certain nombre de scènes, mais serais incapable de répondre à des questions typiques telles que : Octavian va-t-il épouser Sophie ? Reviendra-t-il à la Maréchale ? Et mon ambition n’est pas de l’apprendre a priori, car les personnages deviendraient des marionnettes, ce qu’il faut absolument éviter dans le Chevalier à la rose.

    Il arrive à Octavian d’être très tête à claques, mais aussi absolument craquant. C’est pourquoi je me réfère aux témoignages des grandes interprètes du passé, d’autant que la pièce à cette particularité que nombre d’entre elles y ont chanté plusieurs rôles. Gwyneth Jones raconte que chanter Octavian l’a beaucoup aidée, parce qu’être consciente de sa passion pour la Maréchale en incarnant cette dernière lui donnait une grande tendresse pour son jeune amant. Et qui connaît mieux les personnages que ceux qui les ont interprétés ?

     

    Comment en est-on arrivé à considérer Sophie comme la cruche de service ?

    Parce que l’opéra, dans sa dynamique d’amour-haine, est un art très misogyne. Si le Chevalier à la rose passe pour un opéra de femme, c’est grâce à la Maréchale – alors que Sophie, l’oie blanche, ne serait pas digne d’intérêt. Ce qui revient comme d’habitude à glorifier le personnage qui se sacrifie à la fin… pour le plaisir de l’homme. Sophie a beau sortir du couvent, être naïve, elle saisit extrêmement vite le rapport entre la Maréchale et Octavian.

    Bien plus que de la représenter comme une enveloppe vide, un faire-valoir, il est intéressant de continuer la référence à Beaumarchais, Mozart, Rossini et à la Commedia dell’arte, en suggérant que dans l’opéra de Strauss figurent à la fois la Comtesse et Rosine, qui sont une seule et même femme. J’aimerais donc les relier, comme le fait la Maréchale elle-même dans son monologue.

    Elle a été mariée au Feldmarschall à un âge tendre et sans qu’on lui demande son avis, de la manière que Sophie sera mariée à Ochs, ce qui explique peut-être ce geste étrange de lancer Octavian dans les bras de la jeune fille. C’est non seulement une manière de se détacher de lui, mais aussi de faire échouer le mariage. Rapportée au schéma narratif de la Commedia dell’arte, elle est l’adjuvant qui aide le couple d’amoureux, mais ce faisant s’aide elle-même en réécrivant sa propre histoire.

     

    N’y a-t-il pas un paradoxe entre ces références à la Commedia dell’arte et votre volonté d’éviter de faire des personnages des marionnettes ?

    Il ne s’agit, à l’instar du XVIIIe rêvé des auteurs, que d’une référence – et il faudrait être sourd pour monter cet opéra comme une comédie de masques. Il s’agit donc de réussir à en infiltrer l’esprit à travers les décors, les costumes, le chœur, les figurants et le personnage du page, pour restituer à l’œuvre une certaine légèreté, dont Strauss et Hofmannsthal ont exprimé le désir, tout en gardant sa profondeur.

    Ma scénographe Julia Hansen et moi étions bloquées dans le travail de conception par les attentes, ne seraient-ce que visuelles, que suscite l’œuvre : ses lambris, boiseries et moulures rococo, ses quarante mille laquais en livrée et perruque poudrée, comme autant d’éléments essentiels à la narration, de même qu’il n’y aurait aucun intérêt à mettre en scène la Bohème de Puccini sans la bougie et la clé.

    En commençant à débroussailler, nous nous sommes rendu compte qu’il était possible de raconter très clairement le Chevalier à la rose sans ce dispositif scénique. Mais l’inertie des clichés était telle que je n’arrivais pas à y croire moi-même ! Il est naturel, dans un parcours de metteur en scène, d’aller vers davantage d’abstraction, parce qu’à mesure que s’acquièrent le métier, le savoir-faire au sens technique et artisanal, les accessoires deviennent superflus.

    Jamais je ne mettrai un cube noir sur scène parce que c’est « cool Â» – cela ne l’est d’ailleurs plus vraiment depuis quelques dĂ©cennies, contrairement Ă  ce que certains croient. L’abstraction doit demeurer un processus, et non une fin en soi.




    À voir :
    Der Rosenkavalier de Richard Strauss, direction : Marko Letonja, mise en scène : Mariame Clément, Opéra du Rhin, Strasbourg, du 17 au 28 juin, Mulhouse, les 6 et 8 juillet.

     

    Le 13/06/2012
    Mehdi MAHDAVI


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