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ENTRETIENS 25 avril 2024

William Christie ou l'éternel printemps musical
© Govin Sorel

Fin 1999 à la Cité de la Musique Les Arts Florissants fêtaient leur vingtième floraison, avec quelque avance sur le printemps. C'est l'occasion de revenir sur la carrière et la formation de leur fondateur et jardinier en chef.
 

Le 02/02/2000
Propos recueillis par Eric SEBBAG
 



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  • À quand remonte votre premier contact avec le clavecin ?

    J'ai commencé la musique avec le piano et l'orgue. Lorsque j'étais adolescent, les clavecins étaient très rares à New York. On entendait peut-être cet instrument une fois l'an à Paris, lors d'une représentation du Messie avec un grand orchestre symphonique. En fait, le vecteur privilégié était déjà le disque. Il y avait bien sûr Wanda Landowska et aussi Ruggero Gerlin, J'étais absolument fasciné par leurs microsillons. Mais mon premier enregistrement phare était un cadeau de ma grand-mère, il s'agissait de Jorg Demus dans les Suites Anglaises de Bach. Plus tard au collège, j'ai pu toucher mon premier instrument digne du nom. Ce fut un véritable choc.

     
    Est-ce de ce moment que date votre décision de vous consacrer à la musique ?

    En fait, il y a eu une longue période de maturation, mais mon activité musicale est rapidement devenue très intense. À Harvard, j'accompagnai la totalité des opéras de Mozart et des cantates de Bach dans des productions entièrement assurées par des étudiants. Mais mon intention n'était pas réellement de devenir musicien, seulement un grand amateur.
    Cependant au bout de quelques années, je me suis rendu compte que je consacrai le moindre de mes instants de liberté au clavecin ou au piano. J'ai donc décidé d'en tirer les conséquences. Vers l'age de 20 ans, j'ai aussi choisi de concentrer mes efforts sur le clavecin. Et à la suite d'un concert de Ralph Kirkpatrick, je lui ai écrit un mot en lui demandant s'il m'accepterait comme élève. Il enseignait alors à Yale. À ma grande surprise, il a accepté de m'auditionner.

     
    Kirkpatrick passait pour un professeur très exigeant, non ?

    Oui, le jour de l'audition venu, j'étais assez terrifié. Kirkpatrick était une sorte d'ogre immense et solitaire. Il m'a désigné un énorme piano Bösendorfer en me demandant de jouer quelque chose. Protestant, car j'avais préparé des pièces de clavecin, je finis tout de même par m'exécuter. Il sembla assez satisfait et m'expliqua que selon lui, les clavecinistes devenaient trop sectaires. Disant cela, il s'était mis au piano et attaqua le premier mouvement de la Sonate en Si de Liszt. En fait, Kirkpatrick était capable de jouer tout le répertoire romantique. Il prodiguait d'ailleurs à Horowitz des cours sur Scarlatti contre des astuces sur Liszt

    © Thomas Muller

     
    Kirkpatrick vous accepte donc comme élève. Or lui-même ayant dû subir le tempérament de Landowska comme professeur, il aurait hérité d'elle une tendance à déprécier en permanence ses élèves. Est-ce exact ?

    Oui, il avait une pédagogie assez curieuse. Il me disait volontiers : “Ah, je vais te briser et je vais de rebâtir complètement
    ”. Il était entier, passionné et imprévisible. Un jour, il pouvait être affable et généreux, le lendemain monstrueux et tyrannique. Il avait d'ailleurs une conception très romantique du musicien, nécessairement solitaire et torturé. Il insistait aussi sur son obligation morale envers le public. Mais s'il fallait parfois souffrir pour être son élève, ce simple état était déjà une reconnaissance.

     
    N'est-ce pas le genre d'enseignement qui forme des musiciens en priorité solistes ?

    Bien sûr, Kirkpatrick entendait que je suive exactement son modèle, c'est-à-dire que je devienne le soliste avec le grand répertoire (Bach, Scarlatti
    ). J'ai essayé
    Mais aujourd'hui, je peux admettre que j'avais d'autres aspirations et peut-être pas assez de technique pour le suivre. M'enfermer six mois pour travailler les concertos de Bach, ce n'était pas mon inclination. Kirkpatrick avait d'ailleurs détecté une sorte de révolte en moi. Vers ma troisième année, il m'a carrément interdit de faire de la musique de chambre !
    Or à l'époque déjà, je considérais aussi le clavecin comme un instrument de rassemblement. Un catalyseur pour soutenir les voix et fortifier les instruments. J'étais mordu par le chant depuis mon plus jeune âge.

    je considérais aussi le clavecin comme un instrument de rassemblement. Un catalyseur pour soutenir les voix et fortifier les instruments.

     
    Je ne crois pas me tromper en disant que vous avez rendu ses lettres de noblesse à l'art de la basse continue


    Je faisais partie d'une génération pour laquelle la basse continue n'était pas un calvaire. En ce temps-là, il y avait deux manières d'envisager cette discipline. Soit le continuiste écrivait une partition surchargée qui l'élevait au rang de concertiste, soit au contraire, il se contentait de planter les accords comme des clous. Dans tous les cas, personne n'avait la compétence pour réaliser à vue. Or cette improvisation structurée du continuo est le seul moyen d'insuffler la vie au répertoire baroque. Il suffit d'écouter une Passion de Bach enregistrée il y a trente ans et une version d'aujourd'hui. La différence la plus immédiate réside dans le continuo.

     
    Vos qualités de continuiste sont-elles à l'origine de votre rencontre avec Alfred Deller ?

    Alfred était l'homme le plus fidèle qui soit avec ses accompagnateurs. Il avait son équipe et il n'aimait guère les surprises. Or nous étions dans la même maison de disque. Un jour, Bernard Coutaz d'Harmonia Mundi lui propose d'essayer une nouvelle manière d'envisager l'accompagnement avec Wieland Kuijken et moi-même. Les premières rencontres furent assez difficiles, il n'appréciait pas nos improvisations et réclamait que nous en restions aux accords sans fioritures. Mais petit à petit, il a compris que notre jeu lui procurait davantage de liberté et il en a tiré le meilleur parti.
    De son côté, il nous a beaucoup appris. Il chantait avec une telle sensibilité que nous étions à chaque fois bouleversés.

     
    Concevez-vous le travail de continuiste comme un dialogue avec le soliste ?

    Ce rôle comporte de multiples facettes. Il faut être à la fois complice, gendarme, psychologue
    Parfois le continuo devient temporairement plus important que le soliste. Le continuo à un rôle moteur et imaginatif en même temps. Et finalement, le travail du continuo a beaucoup enrichi ma carrière de soliste. Car pendant les quinze premières années dans la vie musicale, j'essayai de mener les deux carrières de front.

     
    Pourquoi jouez moins en soliste désormais ?

    Dans les années cinquante, on se pressait aux concerts de Kirkpatrick. À la décennie suivante, Leonhardt était partout à la fois. Puis ce fut le tour de Scott Ross. Moi-même je jouai encore beaucoup en soliste dans les années soixante-dix. Par la suite, les Arts Florissants ont pris une importance croissante. Aujourd'hui, il semble d'ailleurs plus difficile pour la jeune génération de motiver le public avec le seul clavecin. C'est tout du moins l'avis de mon jeune collègue et ami Christophe Rousset dont les disques sont pourtant très appréciés.
    Toutefois, je me sens enfin mûr pour revenir sur le grand répertoire que Kirkpatrick vénérait, à savoir Scarlatti et Bach. Je pense m'y atteler prochainement.

     
    En tant que chef d'orchestre, on a dit parfois que vous privilégiez trop le travail des voix sur les instruments, est-ce votre sentiment ?

    J'ai fondé les Arts Florissant autour d'un projet prioritairement vocal. Il ne faut pas oublier qu'à l'époque baroque, le modèle des instruments n'est autre que la voix. Pour moi, un orchestre qui chante est un orchestre qui m'enchante. S'il est vrai que le premier disque instrumental des Arts Florissants est sorti assez récemment (NDR : il s'agit de Haendel), j'espère que l'orchestre phrase et respire comme une voix humaine. Par ailleurs, j'ai beaucoup dirigé de musique instrumentale à l'étranger en tant que chef invité.

    Pour moi, un orchestre qui chante est un orchestre qui m'enchante

     
    Vous pratiquez très régulièrement les spectacles avec mise en scène. Or certains de vos collègues stigmatisent les metteurs en scène contemporains qui refusent de faire, avec leur discipline, le travail de restitution historique qui a été opéré avec la musique. Qu'en pensez-vous ?

    Si on considère la pyramide du Louvre, elle ne présente aucune espèce de fidélité aux lieux. Pourtant, de l'avis général, elle s'intègre parfaitement dans le site. Il en va de même pour la mise en scène. Selon moi, il faut surtout distinguer les metteurs en scène qui respectent la musique des autres. D'ailleurs pour la restitution musicale elle-même, je n'ai jamais prétendu être "fidèle" à la manière dont jouait un orchestre dans une fosse d'opéra. Il y a tout simplement trop peu d'informations à ce sujet. Je ne saurais donc exiger quoique ce soit d'un metteur en scène, sinon le respect de la musique, et je pense l'avoir obtenu le plus souvent. Évidemment, je ne dis pas qu'une reconstitution scénique plus conforme aux données historiques ne serait pas passionnante, mais personne n'en a encore eu les moyens.

    je n'ai jamais prétendu être "fidèle" à la manière dont jouait un orchestre dans une fosse d'opéra. Il y a tout simplement trop peu d'informations à ce sujet.

     
    À ce jour, votre discographie est déjà très riche. Quelle importance accordez-vous au support disque en tant que tel ?

    J'essaye de ne pas donner un document neutre. Mon souci premier est de restituer au plus près les éléments qui étaient dans le spectacle. Je cherche toujours à montrer le fruit d'un travail mûri sur la scène. Dans King Arthur, nous avons ajouté une petite danserie dans le style de la partition. Bien que respectant scrupuleusement le style de Purcell, elle n'est pas de sa plume. Cependant, elle était utile à la scène et je l'ai incluse dans le disque. J'ai horreur de cette idée que l'on puisse laisser un document objectif. À ce sujet, un critique anglais m'a fait le plus beau compliment dont je puisse rêver à propos de mon enregistrement des pièces de clavecin de Rameau. Mon disque lui laissait l'impression d'être pris sur le vif en récital.

     
    Aujourd'hui de nombreux jeunes interprètes ont comme principal professeur le disque. Que pensez-vous de cette démarche ?

    Il faut être prudent et éviter la servilité, mais ce n'est pas forcément une mauvaise chose. Le disque constitue une chance extraordinaire pour un Argentin ou un Coréen d'entendre les interprétations des plus grands maîtres. Au début de ce siècle, ils auraient dû traverser le monde pour les entendre.

     

    Le 02/02/2000
    Propos recueillis par Eric SEBBAG


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