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ENTRETIENS |
27 avril 2024 |
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La Duchesse de Crackentorp est-elle votre premier rÎle exclusivement parlé ?
Oui, et Ă la diffĂ©rence de la Belle HĂ©lĂšne et de la Grande Duchesse de GĂ©rolstein, je nâaurai pas la possibilitĂ© de regagner la situation en chantant â ce qui est loin de me faciliter la tĂąche ! De toute façon, participer Ă cette Fille du rĂ©giment, dont jâavais assistĂ© Ă la premiĂšre Ă Londres, mâintriguait. Ă la fin dâun spectacle, jâapplaudis beaucoup et je pleure, car je ne suis pas trĂšs forte pour crier mon enthousiasme. Mais Natalie Dessay et Juan Diego FlĂłrez Ă©taient tellement merveilleux que jâavais rĂ©ussi Ă vaincre ma discrĂ©tion. |
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Votre personnage nâest pas des plus sympathiques.
Lady Billows, dans Albert Herring de Britten, est du mĂȘme style : câest la grande dame dâun petit pays qui se croit trĂšs importante et mĂ©prise tout le monde. Le rĂŽle est court, il faut donc sâimposer tout de suite. MĂȘme si jâai tendance Ă me sentir un peu seule sur scĂšne. JâespĂšre que les costumes et la perruque mâaideront Ă remplir cet espace. |
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Vous succĂ©dez Ă des personnalitĂ©s aussi diffĂ©rentes, et imposantes, que Dawn French, Montserrat CaballĂ© et Kiri Te Kanawa. La mise en scĂšne laisse-t-elle une part Ă lâimprovisation ?
Laurent Pelly et Agathe MĂ©linand prĂ©fĂšrent que nous fassions ce qui est Ă©crit. Nous avons beaucoup discutĂ© de ce que je chanterais Ă©ventuellement. Car je ne voulais pas arriver en imposant un choix qui nâaurait rien Ă voir ni avec le spectacle, ni avec le personnage. Je vais chanter quelque chose, mais je ne vous dirai pas quoi ! |
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Quelle est lâorigine du virage comique pris par votre carriĂšre ?
Les opĂ©ras de Mozart et de Strauss Ă©taient toute ma vie. Et lorsque jâai commencĂ© Ă chanter des musiques plus lĂ©gĂšres en rĂ©cital, tout le monde a Ă©tĂ© surpris que je puisse ĂȘtre drĂŽle, car mĂȘme sâils nâĂ©taient pas tragiques â je nâai jamais dĂ» mourir en scĂšne â, mes rĂŽles Ă©taient plutĂŽt sĂ©rieux ou sentimentaux. La Belle HĂ©lĂšne et la Grande Duchesse avec Laurent Pelly ont certainement constituĂ© un dĂ©clic. Une fois mes complexes Ă©vacuĂ©s, lâopĂ©rette mâa libĂ©rĂ©e, rajeunie aussi : me retrouver sur scĂšne en chemise de nuit mâa obligĂ©e Ă bouger diffĂ©remment.
Jâai pris dâautant plus de plaisir Ă le faire que jâadore la musique dâOffenbach. Celle de Donizetti nâen est dâailleurs pas si Ă©loignĂ©e, avec ses merveilleux ensembles. Et quel bonheur dâĂȘtre enfin sur scĂšne avec Natalie Dessay, que jâadmire beaucoup depuis des annĂ©es ! Nous avions pensĂ© que, peut-ĂȘtre, nous ferions un jour le Chevalier Ă la rose ensemble Ă Vienne, et nous avons finalement enregistrĂ© le trio ainsi que le duo dâArabella. La regarder travailler est vraiment une leçon, parce quâelle est un personnage extraordinaire et une superbe comĂ©dienne. |
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Quâavez-vous appris avec Laurent Pelly ?
Avec lui tout est si prĂ©cis, alors que je suis trĂšs floue, et jamais vraiment consciente de ce que je fais. Jâai beaucoup de mal Ă exĂ©cuter ces mouvements nets, parfaitement coordonnĂ©s, mais jâessaie, je travaille. Lorsque je chante, câest le compositeur qui donne la direction de la phrase, mais sans musique, comment faire ? Cela semble tellement simple, et finalement, cela ne lâest pas du tout. |
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Peut-ĂȘtre est-ce plus facile dans une autre langue que votre langue maternelle ?
En effet, parce quâil faut lâapprendre. Il nâen arrive pas moins que la Duchesse de Crackentorp parle un peu anglais dans les moments de frustration, de colĂšre. Jouer la Belle HĂ©lĂšne Ă Londres dans ma propre langue Ă©tait une expĂ©rience totalement diffĂ©rente de celle que jâavais vĂ©cue Ă Paris, et en français. Jâai osĂ© appeler Maggie Smith, qui a eu la gentillesse de mâaider Ă mâen sortir avec tout ce texte. Câest un de mes meilleurs souvenirs. Mais je suis tellement heureuse de revenir Ă Paris et dây travailler encore une fois. |
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Laurent Pelly vous a Ă©galement mise en scĂšne dans Parlez-moi dâamour !, un rĂ©cital-spectacle que vous reprenez en dĂ©cembre Ă lâOpĂ©ra de Lille.
Quand nous travaillions sur la Grande Duchesse, Laurent a dit quâil aimerait monter un rĂ©cital mis en scĂšne, avec une grande variĂ©tĂ© de styles musicaux, et peut-ĂȘtre un autre chanteur. Finalement, nous avons demandĂ© Ă Olivier Sferlazza, un merveilleux danseur, dâĂȘtre mon partenaire. Il joue lâamant et tous les rĂŽles nĂ©cessaires pour me donner la rĂ©plique.
Jâai aussi un pianiste fantastique, Jason Carr, qui a beaucoup collaborĂ© avec Stephen Sondheim, dont je chante Loosing my mind. Il a lui-mĂȘme Ă©crit un spectacle sur la photographe Lee Miller, dont est tirĂ©e la mĂ©lodie Looking for a bear, oĂč une trapĂ©ziste cherche un ours dansant pour son nouveau numĂ©ro. JâinterprĂšte Ă©galement une chanson de BĂ©nabar : « J'veux pas y'aller Ă ce dĂźner, j'ai pas l'moral, j'suis fatiguĂ©. »
Câest trĂšs amusant, avec aussi quelques moments dâĂ©motion, comme la Dame de Monte-Carlo de Poulenc. Je termine la soirĂ©e avec Monsieur Martin de Mireille, qui me tue parce quâil y a tant de paroles. Câest un miracle si jâarrive Ă mâen souvenir ! |
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Vos programmes de récitals ont toujours été trÚs variés.
Câest Ă cause de Graham Johnson, un pianiste et un accompagnateur plein dâidĂ©es, avec qui jâai grandi Ă la Royal Academy of Music. Lorsque nous avons dĂ©butĂ© dans les annĂ©es 1970, il fallait sâappeler Schwarzkopf, Fischer-Dieskau ou Victoria de los Ăngeles pour attirer le public Ă un rĂ©cital. Cette dĂ©saffection a dâailleurs tendance Ă se rĂ©pĂ©ter aujourdâhui, alors quâun beau rĂ©cital de chant peut ĂȘtre tellement intime.
Ă lâĂ©poque donc, on louait le Wigmore Hall pour y faire ses dĂ©buts. Ce lieu a une acoustique merveilleuse et un public dĂ©vouĂ©. MalgrĂ© les coupes budgĂ©taires, la programmation de John Gilhooly, qui a succĂ©dĂ© Ă William Lyne, directeur artistique pendant plus de trente ans, reste trĂšs dynamique. Que ce soit le matin, pour les coffee concerts, ou tard le soir, la salle est toujours pleine.
Mais pour en revenir Ă Graham Johnson, il avait choisi Ann Murray, Anthony Rolfe Johnson, Richard Jackson et moi pour explorer le rĂ©pertoire peu frĂ©quentĂ© des ensembles de Schubert, Schumann et Brahms. Ces programmes extraordinaires, que nous avons donnĂ©s pendant des annĂ©es Ă la Purcell Room du Southbank Centre puis au Wigmore Hall, attiraient leur propre public. Graham a beaucoup fait pour redonner vie Ă lâart du rĂ©cital. |
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à quand remonte votre passion pour le répertoire français ?
Jâai toujours beaucoup aimĂ© la langue française. En rĂ©alitĂ©, je ne voulais pas ĂȘtre chanteuse. Jâai passĂ© une annĂ©e en France pour ma licence de français, et comme je ne savais pas comment occuper mon temps libre, je suis allĂ©e mâinscrire au conservatoire de Grenoble. Jâavais dĂ©jĂ pris des leçons de chant, mais jâinterprĂ©tais surtout des airs dâoratorios. En 1968, Elisabeth Maximovitch mâa envoyĂ©e Ă lâAcadĂ©mie internationale de Nice, oĂč jâai appris le Jet dâeau de Debussy.
Je pensais pĂ©nĂ©trer dans un monde rempli de gens horribles et ambitieux, mais je me suis rendu compte que jâĂ©tais semblable Ă tous ces Ă©tudiants. Je suis rentrĂ©e en Angleterre pour terminer ma licence, puis jâai obtenu une bourse pour aller Ă la Royal Academy. Jâai toujours Ă©tĂ© trĂšs reconnaissante envers la France de mâavoir donnĂ© le coup de pied nĂ©cessaire. Si seulement la Duchesse de Crackentorp pouvait mâen donner un nouveau ! |
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Comment le monde de lâopĂ©ra a-t-il Ă©voluĂ© ces quarante derniĂšres annĂ©es ?
Tout est devenu tellement cher. Heureusement, les retransmissions au cinĂ©ma permettent Ă ceux qui pourrait aimer lâopĂ©ra, mais ne peuvent se permettre de dĂ©penser une fortune pour se faire une premiĂšre impression, dâassister Ă un spectacle dans de bonnes conditions. Cela oblige aussi les chanteurs Ă savoir vraiment jouer la comĂ©die et Ă avoir le physique du rĂŽle. Câest Ă double tranchant, particuliĂšrement pour certaines voix somptueuses qui passent Ă cĂŽtĂ© dâune carriĂšre Ă cause de ces nouvelles exigences.
Jâai eu la chance de faire carriĂšre Ă la bonne Ă©poque. Mais jâai toujours vĂ©cu dans ma petite bulle, tellement absorbĂ©e par mes rĂŽles que je ne mâintĂ©ressais pas vraiment Ă la maniĂšre dont ces immenses maisons fonctionnaient. Ă prĂ©sent que je suis membre honoraire de la Royal Academy of Music et du conseil dâadministration du Wigmore Hall, je commence Ă comprendre ce que coĂ»te notre art. Jamais je ne me suis sentie capable de prendre des initiatives. Tout cela est un peu Ă©gocentrique, mais jâespĂšre pouvoir transmettre quelque chose.
Je prĂ©fĂšre dâailleurs ĂȘtre en tĂȘte Ă tĂȘte avec de jeunes chanteuses, plutĂŽt que de donner des masterclasses, dont le cĂŽtĂ© show me semble dangereux. Bien que certains soient plus douĂ©s que moi pour se construire une carapace, on peut faire beaucoup de mal Ă une personne fragile en dix ou quinze minutes. Pierre Bernac avait Ă©tĂ© assez dur avec moi, et Ă raison â dâautant quâil avait Ă©tĂ© adorable quand jâavais travaillĂ© seule avec lui. Quant Ă Hugues CuĂ©nod, il avait Ă©tĂ© trĂšs impressionnĂ© par Simon Rattle, qui mâaccompagnait au piano, et pas du tout par moi ! |
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Avez-vous Ă©tĂ© victime de ce que dâaucuns appellent la dictature des metteurs en scĂšne ?
Jâai eu la chance de toujours travailler avec des personnes merveilleuses, Ă commencer par John Cox, avec qui jâai fait tous mes rĂŽles Ă Glyndebourne en dĂ©but de carriĂšre. Sa mise en scĂšne de Capriccio, que nous avions reprise Ă Bruxelles, et mĂȘme au ChĂątelet, Ă©tait superbe. Je regrette que la famille Strauss ait donnĂ© son accord trop tard pour quâelle soit filmĂ©e.
Peter Hall Ă©tait aussi trĂšs intĂ©ressant, ainsi que Willy Decker, qui avait signĂ© un Chevalier Ă la rose extraordinaire au ChĂątelet, Johannes Schaaf, et puis Laurent. Il faut avoir confiance dans les metteurs en scĂšne. Jâai toujours essayĂ© de faire ce quâils me demandaient, et si je nây arrivais pas â malheureusement câĂ©tait Ă©vident â, ils sâadaptaient. Car ils veulent nous mettre en valeur, et tout est gĂąchĂ© si nous sommes mal Ă lâaise sur le plateau.
Il mâest arrivĂ© de voir en Angleterre une mise en scĂšne dâOrphĂ©e aux Enfers vraiment vulgaire â et je ne suis pas prude. On ne devrait pas tomber aussi bas, surtout pour les opĂ©rettes, qui ont de toute façon mauvaise rĂ©putation. Finalement, cela ne plaĂźt Ă personne, ni aux personnes un peu ĂągĂ©es comme moi, ni aux plus jeunes. |
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Tout le monde ne peut pas se vanter dâavoir chantĂ© sous la direction de Carlos Kleiber !
Jâai en effet eu cette chance folle quâil ait bien voulu de moi dans un opĂ©ra quâil dirigeait. Il nâĂ©tait pas du tout difficile avec nous. Bien au contraire, il Ă©tait adorable, sensible et drĂŽle. Jâai aussi adorĂ© travailler avec Armin Jordan. Jâadmire beaucoup son fils Philippe, avec qui jâai fait des concerts en Allemagne, et qui dĂ©ploie une formidable Ă©nergie.
Jâai souvent chantĂ© sous la baguette de Bernard Haitink, Andrew Davis, Jeffrey Tate. Et quel dommage que je ne fasse que parler dans la Fille du rĂ©giment, car Marco Armiliato porte tout le monde, et avec le sourire ! Ma route nâa pas croisĂ© celle de Muti, Giulini, ou Abbado, mais je ne regrette rien, car jamais je nâaurais cru avoir une vie aussi extraordinaire. |
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Quels sont les partenaires dont vous vous ĂȘtes sentie le plus proche ?
Faire des rĂ©citals avec Ann Murray a toujours Ă©tĂ© une grande joie. Ensemble, nous avons aussi chantĂ© le Chevalier Ă la rose Ă Londres et les Noces de Figaro Ă Hambourg. Jâadore Angelika Kirchschlager, qui a Ă©tĂ© Octavian Ă mes cĂŽtĂ©s. Et quel trio nous formions avec Anne Sofie von Otter et Barbara Bonney ! Jâaimais beaucoup la voix de velours dâAnthony Rolfe Johnson. Quelle tristesse quâil ne soit plus lĂ !
Au dĂ©but de ma carriĂšre, jâai Ă©tĂ© influencĂ©e par Elisabeth Schwarzkopf. Son enregistrement des Quatre derniers Lieder est un des rares disques que nous avions Ă la maison et je lâĂ©coutais en boucle. Nous avions aussi un rĂ©cital de Mirella Freni, mais cela ne mâa pas attirĂ©e vers son rĂ©pertoire. Et puis jâai pu chanter avec RĂ©gine Crespin dans Dialogues des carmĂ©lites. Pour moi qui adore la langue française, lâhumour et la beautĂ© du son, elle avait tout.
Ă voir :
La Fille du régiment de Donizetti, direction : Marco Armiliato, mise en scÚne : Laurent Pelly, Opéra Bastille, du 15 octobre au 11 novembre.
Parlez-moi dâamour !, piano : Jason Carr, mise en scĂšne : Laurent Pelly, OpĂ©ra de Lille, les 11 et 12 dĂ©cembre. |
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