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ENTRETIENS 27 avril 2024

Dame Felicity Lott,
merci Ă  la France !

EntrĂ©e dans la lĂ©gende grĂące Ă  la MarĂ©chale et Ă  la Comtesse Madeleine de Capriccio, Felicity Lott s’est rĂ©inventĂ©e en incarnant une belle HĂ©lĂšne irrĂ©sistible d’autodĂ©rision distinguĂ©e. Pour son retour Ă  l’OpĂ©ra Bastille, et toujours en complicitĂ© avec Laurent Pelly, la soprano francophile joue les guest stars dans la Fille du rĂ©giment.
 

Le 12/10/2012
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



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  • La Duchesse de Crackentorp est-elle votre premier rĂŽle exclusivement parlĂ© ?

    Oui, et Ă  la diffĂ©rence de la Belle HĂ©lĂšne et de la Grande Duchesse de GĂ©rolstein, je n’aurai pas la possibilitĂ© de regagner la situation en chantant – ce qui est loin de me faciliter la tĂąche ! De toute façon, participer Ă  cette Fille du rĂ©giment, dont j’avais assistĂ© Ă  la premiĂšre Ă  Londres, m’intriguait. À la fin d’un spectacle, j’applaudis beaucoup et je pleure, car je ne suis pas trĂšs forte pour crier mon enthousiasme. Mais Natalie Dessay et Juan Diego FlĂłrez Ă©taient tellement merveilleux que j’avais rĂ©ussi Ă  vaincre ma discrĂ©tion.

     

    Votre personnage n’est pas des plus sympathiques.

    Lady Billows, dans Albert Herring de Britten, est du mĂȘme style : c’est la grande dame d’un petit pays qui se croit trĂšs importante et mĂ©prise tout le monde. Le rĂŽle est court, il faut donc s’imposer tout de suite. MĂȘme si j’ai tendance Ă  me sentir un peu seule sur scĂšne. J’espĂšre que les costumes et la perruque m’aideront Ă  remplir cet espace.

     

    Vous succĂ©dez Ă  des personnalitĂ©s aussi diffĂ©rentes, et imposantes, que Dawn French, Montserrat CaballĂ© et Kiri Te Kanawa. La mise en scĂšne laisse-t-elle une part Ă  l’improvisation ?

    Laurent Pelly et Agathe MĂ©linand prĂ©fĂšrent que nous fassions ce qui est Ă©crit. Nous avons beaucoup discutĂ© de ce que je chanterais Ă©ventuellement. Car je ne voulais pas arriver en imposant un choix qui n’aurait rien Ă  voir ni avec le spectacle, ni avec le personnage. Je vais chanter quelque chose, mais je ne vous dirai pas quoi !

     

    Quelle est l’origine du virage comique pris par votre carriùre ?

    Les opĂ©ras de Mozart et de Strauss Ă©taient toute ma vie. Et lorsque j’ai commencĂ© Ă  chanter des musiques plus lĂ©gĂšres en rĂ©cital, tout le monde a Ă©tĂ© surpris que je puisse ĂȘtre drĂŽle, car mĂȘme s’ils n’étaient pas tragiques – je n’ai jamais dĂ» mourir en scĂšne –, mes rĂŽles Ă©taient plutĂŽt sĂ©rieux ou sentimentaux. La Belle HĂ©lĂšne et la Grande Duchesse avec Laurent Pelly ont certainement constituĂ© un dĂ©clic. Une fois mes complexes Ă©vacuĂ©s, l’opĂ©rette m’a libĂ©rĂ©e, rajeunie aussi : me retrouver sur scĂšne en chemise de nuit m’a obligĂ©e Ă  bouger diffĂ©remment.

    J’ai pris d’autant plus de plaisir Ă  le faire que j’adore la musique d’Offenbach. Celle de Donizetti n’en est d’ailleurs pas si Ă©loignĂ©e, avec ses merveilleux ensembles. Et quel bonheur d’ĂȘtre enfin sur scĂšne avec Natalie Dessay, que j’admire beaucoup depuis des annĂ©es ! Nous avions pensĂ© que, peut-ĂȘtre, nous ferions un jour le Chevalier Ă  la rose ensemble Ă  Vienne, et nous avons finalement enregistrĂ© le trio ainsi que le duo d’Arabella. La regarder travailler est vraiment une leçon, parce qu’elle est un personnage extraordinaire et une superbe comĂ©dienne.

     

    Qu’avez-vous appris avec Laurent Pelly ?

    Avec lui tout est si prĂ©cis, alors que je suis trĂšs floue, et jamais vraiment consciente de ce que je fais. J’ai beaucoup de mal Ă  exĂ©cuter ces mouvements nets, parfaitement coordonnĂ©s, mais j’essaie, je travaille. Lorsque je chante, c’est le compositeur qui donne la direction de la phrase, mais sans musique, comment faire ? Cela semble tellement simple, et finalement, cela ne l’est pas du tout.

     

    Peut-ĂȘtre est-ce plus facile dans une autre langue que votre langue maternelle ?

    En effet, parce qu’il faut l’apprendre. Il n’en arrive pas moins que la Duchesse de Crackentorp parle un peu anglais dans les moments de frustration, de colĂšre. Jouer la Belle HĂ©lĂšne Ă  Londres dans ma propre langue Ă©tait une expĂ©rience totalement diffĂ©rente de celle que j’avais vĂ©cue Ă  Paris, et en français. J’ai osĂ© appeler Maggie Smith, qui a eu la gentillesse de m’aider Ă  m’en sortir avec tout ce texte. C’est un de mes meilleurs souvenirs. Mais je suis tellement heureuse de revenir Ă  Paris et d’y travailler encore une fois.

     

    Laurent Pelly vous a Ă©galement mise en scĂšne dans Parlez-moi d’amour !, un rĂ©cital-spectacle que vous reprenez en dĂ©cembre Ă  l’OpĂ©ra de Lille.

    Quand nous travaillions sur la Grande Duchesse, Laurent a dit qu’il aimerait monter un rĂ©cital mis en scĂšne, avec une grande variĂ©tĂ© de styles musicaux, et peut-ĂȘtre un autre chanteur. Finalement, nous avons demandĂ© Ă  Olivier Sferlazza, un merveilleux danseur, d’ĂȘtre mon partenaire. Il joue l’amant et tous les rĂŽles nĂ©cessaires pour me donner la rĂ©plique.

    J’ai aussi un pianiste fantastique, Jason Carr, qui a beaucoup collaborĂ© avec Stephen Sondheim, dont je chante Loosing my mind. Il a lui-mĂȘme Ă©crit un spectacle sur la photographe Lee Miller, dont est tirĂ©e la mĂ©lodie Looking for a bear, oĂč une trapĂ©ziste cherche un ours dansant pour son nouveau numĂ©ro. J’interprĂšte Ă©galement une chanson de BĂ©nabar : « J'veux pas y'aller Ă  ce dĂźner, j'ai pas l'moral, j'suis fatiguĂ©. Â»

    C’est trĂšs amusant, avec aussi quelques moments d’émotion, comme la Dame de Monte-Carlo de Poulenc. Je termine la soirĂ©e avec Monsieur Martin de Mireille, qui me tue parce qu’il y a tant de paroles. C’est un miracle si j’arrive Ă  m’en souvenir !

     

    Vos programmes de récitals ont toujours été trÚs variés.

    C’est Ă  cause de Graham Johnson, un pianiste et un accompagnateur plein d’idĂ©es, avec qui j’ai grandi Ă  la Royal Academy of Music. Lorsque nous avons dĂ©butĂ© dans les annĂ©es 1970, il fallait s’appeler Schwarzkopf, Fischer-Dieskau ou Victoria de los Ángeles pour attirer le public Ă  un rĂ©cital. Cette dĂ©saffection a d’ailleurs tendance Ă  se rĂ©pĂ©ter aujourd’hui, alors qu’un beau rĂ©cital de chant peut ĂȘtre tellement intime.

    À l’époque donc, on louait le Wigmore Hall pour y faire ses dĂ©buts. Ce lieu a une acoustique merveilleuse et un public dĂ©vouĂ©. MalgrĂ© les coupes budgĂ©taires, la programmation de John Gilhooly, qui a succĂ©dĂ© Ă  William Lyne, directeur artistique pendant plus de trente ans, reste trĂšs dynamique. Que ce soit le matin, pour les coffee concerts, ou tard le soir, la salle est toujours pleine.

    Mais pour en revenir Ă  Graham Johnson, il avait choisi Ann Murray, Anthony Rolfe Johnson, Richard Jackson et moi pour explorer le rĂ©pertoire peu frĂ©quentĂ© des ensembles de Schubert, Schumann et Brahms. Ces programmes extraordinaires, que nous avons donnĂ©s pendant des annĂ©es Ă  la Purcell Room du Southbank Centre puis au Wigmore Hall, attiraient leur propre public. Graham a beaucoup fait pour redonner vie Ă  l’art du rĂ©cital.

     

    À quand remonte votre passion pour le rĂ©pertoire français ?

    J’ai toujours beaucoup aimĂ© la langue française. En rĂ©alitĂ©, je ne voulais pas ĂȘtre chanteuse. J’ai passĂ© une annĂ©e en France pour ma licence de français, et comme je ne savais pas comment occuper mon temps libre, je suis allĂ©e m’inscrire au conservatoire de Grenoble. J’avais dĂ©jĂ  pris des leçons de chant, mais j’interprĂ©tais surtout des airs d’oratorios. En 1968, Elisabeth Maximovitch m’a envoyĂ©e Ă  l’AcadĂ©mie internationale de Nice, oĂč j’ai appris le Jet d’eau de Debussy.

    Je pensais pĂ©nĂ©trer dans un monde rempli de gens horribles et ambitieux, mais je me suis rendu compte que j’étais semblable Ă  tous ces Ă©tudiants. Je suis rentrĂ©e en Angleterre pour terminer ma licence, puis j’ai obtenu une bourse pour aller Ă  la Royal Academy. J’ai toujours Ă©tĂ© trĂšs reconnaissante envers la France de m’avoir donnĂ© le coup de pied nĂ©cessaire. Si seulement la Duchesse de Crackentorp pouvait m’en donner un nouveau !

     

    Comment le monde de l’opĂ©ra a-t-il Ă©voluĂ© ces quarante derniĂšres annĂ©es ?

    Tout est devenu tellement cher. Heureusement, les retransmissions au cinĂ©ma permettent Ă  ceux qui pourrait aimer l’opĂ©ra, mais ne peuvent se permettre de dĂ©penser une fortune pour se faire une premiĂšre impression, d’assister Ă  un spectacle dans de bonnes conditions. Cela oblige aussi les chanteurs Ă  savoir vraiment jouer la comĂ©die et Ă  avoir le physique du rĂŽle. C’est Ă  double tranchant, particuliĂšrement pour certaines voix somptueuses qui passent Ă  cĂŽtĂ© d’une carriĂšre Ă  cause de ces nouvelles exigences.

    J’ai eu la chance de faire carriĂšre Ă  la bonne Ă©poque. Mais j’ai toujours vĂ©cu dans ma petite bulle, tellement absorbĂ©e par mes rĂŽles que je ne m’intĂ©ressais pas vraiment Ă  la maniĂšre dont ces immenses maisons fonctionnaient. À prĂ©sent que je suis membre honoraire de la Royal Academy of Music et du conseil d’administration du Wigmore Hall, je commence Ă  comprendre ce que coĂ»te notre art. Jamais je ne me suis sentie capable de prendre des initiatives. Tout cela est un peu Ă©gocentrique, mais j’espĂšre pouvoir transmettre quelque chose.

    Je prĂ©fĂšre d’ailleurs ĂȘtre en tĂȘte Ă  tĂȘte avec de jeunes chanteuses, plutĂŽt que de donner des masterclasses, dont le cĂŽtĂ© show me semble dangereux. Bien que certains soient plus douĂ©s que moi pour se construire une carapace, on peut faire beaucoup de mal Ă  une personne fragile en dix ou quinze minutes. Pierre Bernac avait Ă©tĂ© assez dur avec moi, et Ă  raison – d’autant qu’il avait Ă©tĂ© adorable quand j’avais travaillĂ© seule avec lui. Quant Ă  Hugues CuĂ©nod, il avait Ă©tĂ© trĂšs impressionnĂ© par Simon Rattle, qui m’accompagnait au piano, et pas du tout par moi !

     

    Avez-vous Ă©tĂ© victime de ce que d’aucuns appellent la dictature des metteurs en scĂšne ?

    J’ai eu la chance de toujours travailler avec des personnes merveilleuses, Ă  commencer par John Cox, avec qui j’ai fait tous mes rĂŽles Ă  Glyndebourne en dĂ©but de carriĂšre. Sa mise en scĂšne de Capriccio, que nous avions reprise Ă  Bruxelles, et mĂȘme au ChĂątelet, Ă©tait superbe. Je regrette que la famille Strauss ait donnĂ© son accord trop tard pour qu’elle soit filmĂ©e.

    Peter Hall Ă©tait aussi trĂšs intĂ©ressant, ainsi que Willy Decker, qui avait signĂ© un Chevalier Ă  la rose extraordinaire au ChĂątelet, Johannes Schaaf, et puis Laurent. Il faut avoir confiance dans les metteurs en scĂšne. J’ai toujours essayĂ© de faire ce qu’ils me demandaient, et si je n’y arrivais pas – malheureusement c’était Ă©vident –, ils s’adaptaient. Car ils veulent nous mettre en valeur, et tout est gĂąchĂ© si nous sommes mal Ă  l’aise sur le plateau.

    Il m’est arrivĂ© de voir en Angleterre une mise en scĂšne d’OrphĂ©e aux Enfers vraiment vulgaire – et je ne suis pas prude. On ne devrait pas tomber aussi bas, surtout pour les opĂ©rettes, qui ont de toute façon mauvaise rĂ©putation. Finalement, cela ne plaĂźt Ă  personne, ni aux personnes un peu ĂągĂ©es comme moi, ni aux plus jeunes.

     

    Tout le monde ne peut pas se vanter d’avoir chantĂ© sous la direction de Carlos Kleiber !

    J’ai en effet eu cette chance folle qu’il ait bien voulu de moi dans un opĂ©ra qu’il dirigeait. Il n’était pas du tout difficile avec nous. Bien au contraire, il Ă©tait adorable, sensible et drĂŽle. J’ai aussi adorĂ© travailler avec Armin Jordan. J’admire beaucoup son fils Philippe, avec qui j’ai fait des concerts en Allemagne, et qui dĂ©ploie une formidable Ă©nergie.

    J’ai souvent chantĂ© sous la baguette de Bernard Haitink, Andrew Davis, Jeffrey Tate. Et quel dommage que je ne fasse que parler dans la Fille du rĂ©giment, car Marco Armiliato porte tout le monde, et avec le sourire ! Ma route n’a pas croisĂ© celle de Muti, Giulini, ou Abbado, mais je ne regrette rien, car jamais je n’aurais cru avoir une vie aussi extraordinaire.

     

    Quels sont les partenaires dont vous vous ĂȘtes sentie le plus proche ?

    Faire des rĂ©citals avec Ann Murray a toujours Ă©tĂ© une grande joie. Ensemble, nous avons aussi chantĂ© le Chevalier Ă  la rose Ă  Londres et les Noces de Figaro Ă  Hambourg. J’adore Angelika Kirchschlager, qui a Ă©tĂ© Octavian Ă  mes cĂŽtĂ©s. Et quel trio nous formions avec Anne Sofie von Otter et Barbara Bonney ! J’aimais beaucoup la voix de velours d’Anthony Rolfe Johnson. Quelle tristesse qu’il ne soit plus lĂ  !

    Au dĂ©but de ma carriĂšre, j’ai Ă©tĂ© influencĂ©e par Elisabeth Schwarzkopf. Son enregistrement des Quatre derniers Lieder est un des rares disques que nous avions Ă  la maison et je l’écoutais en boucle. Nous avions aussi un rĂ©cital de Mirella Freni, mais cela ne m’a pas attirĂ©e vers son rĂ©pertoire. Et puis j’ai pu chanter avec RĂ©gine Crespin dans Dialogues des carmĂ©lites. Pour moi qui adore la langue française, l’humour et la beautĂ© du son, elle avait tout.




    À voir :
    La Fille du régiment de Donizetti, direction : Marco Armiliato, mise en scÚne : Laurent Pelly, Opéra Bastille, du 15 octobre au 11 novembre.
    Parlez-moi d’amour !, piano : Jason Carr, mise en scĂšne : Laurent Pelly, OpĂ©ra de Lille, les 11 et 12 dĂ©cembre.

     

    Le 12/10/2012
    Mehdi MAHDAVI


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