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ENTRETIENS 27 avril 2024

Martina Serafin, Tosca par-delĂ  les apparences

Née pour Wagner et Strauss – Richard et non Johann, malgré des parents stars de l’opérette viennoise –, Martina Serafin a trouvé sa nouvelle voie en renouant avec ses racines italiennes. C’est en Tosca, rôle désormais fétiche qu’elle a incarné sur les plus grandes scènes lyriques, qu’elle débute à l’Opéra Bastille. Avant d’y retrouver Sieglinde…
 

Le 22/10/2012
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



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  • Comment Tosca est-elle devenue votre rĂ´le fĂ©tiche ?

    C’était tellement inattendu ! J’ai commencé ma carrière avec Mozart, Wagner et Strauss, et je n’aurais jamais pensé chanter le répertoire italien. Puis j’ai rencontré mon mari, qui est italien. Il m’a entendue, et m’a dit que j’avais une voix magnifique pour Puccini et Giordano, par exemple. Lorsque j’ai débuté dans Andrea Chénier à Catane, des choristes, des musiciens de l’orchestre et des spectateurs sont venus me voir les larmes aux yeux pour me remercier. J’ai donc décidé de continuer dans cette voie.

    Par une heureuse coïncidence, une chanteuse qui devait participer à une nouvelle production de Tosca à Rome avec Franco Zeffirelli, Marcelo Alvarez et Renato Bruson, est tombée malade. J’ai passé l’audition deux semaines avant la première, et le Maestro Gelmetti m’a engagée. À partir de ce moment, beaucoup de théâtres m’ont invitée à chanter ce rôle. Après la Scala et les Arènes de Vérone cet été, je suis heureuse d’y faire mes débuts à l’Opéra de Paris.

     

    Vos origines viennoises apportent-elles une coloration particulière à votre incarnation du personnage ?

    Je porte le même nom que le célèbre chef d’orchestre Tullio Serafin. À chaque fois que j’étudie un rôle, j’essaie de me procurer un enregistrement de l’œuvre sous sa direction, car ses tempi sont absolument merveilleux. Tout le monde me demande si je lui suis apparentée. Je n’ai jamais fait les recherches nécessaires pour le savoir, mais j’en garde l’espoir.

    Mon ancêtre était originaire de Vénitie, et j’ai toujours aimé l’Italie, sa langue, sa musique, sa cuisine – sans doute ne suis-je pas la seule ! Lorsque mon mari m’a amenée chez lui, à Pescara, pour la première fois, j’ai eu l’impression de revenir à la maison. Je n’avais jamais ressenti cela de toute ma vie. Mais puisque l’allemand est ma langue maternelle et que je suis une grande femme aux longs cheveux clairs, il était évident que ma carrière prendrait une autre direction.

    Je reviens d’ailleurs à la Bastille en février pour Sieglinde, que j’ai déjà chantée au Met, à l’instar de la Maréchale. Je n’abandonne donc pas le répertoire allemand, même si je suis particulièrement heureuse de chanter de nouveaux rôles italiens. Je vais débuter prochainement dans Elisabeth de Don Carlo, Amelia du Ballo in maschera à Londres avec Antonio Pappano, puis Abigaille de Nabucco et Lady Macbeth.

     

    Votre interprétation de Tosca évolue-t-elle selon les mises en scène ?

    Un chanteur doit évidemment s’identifier à son personnage, mais pas au point de s’y perdre. Ce serait très dangereux, tant sur le plan vocal que de l’interprétation : on ne chante pas pour soi, mais pour transmettre des émotions au public. J’ai un rapport très personnel à Tosca. Elle est différente à chaque acte, et donc très intéressante à incarner.

    À chaque fois que je reprends ce rôle, j’ai l’impression de le chanter pour la première fois. C’est la beauté de ce métier, et plus particulièrement de Tosca et de la Maréchale. À tel point que lorsque j’écoute de vieux enregistrements, il m’arrive de me dire que je n’ai rien compris à ces personnages ! Jusqu’à présent, j’ai eu de la chance avec les metteurs en scène, au premier rang desquels Zeffirelli, qui m’a ouvert l’esprit, et Hugo de Ana, qui m’a révélé de nouvelles facettes du rôle.

    Aucun ne m’a demandé de faire des choses étranges ou que je ne pouvais comprendre. Une seule des productions auxquelles j’ai participé m’a posé des difficultés. Dans ce cas, il est indispensable de discuter pour trouver un compromis. Autrement, nous nous renfermons sur nous-mêmes et sur notre art.

     

    Jouer le rôle d’une chanteuse constitue-t-il un défi supplémentaire ?

    Tosca est constamment sur le fil. C’est une actrice qui amène son art dans sa vie privée. Au troisième acte, alors qu’elle a été traumatisée par la violence psychologique de son affrontement avec Scarpia et marquée à vie par le meurtre qu’elle vient de commettre, elle joue à croire au bonheur, déjà aux limites de la folie. Et Cavaradossi la laisse parler, parce qu’il sait qu’il va mourir d’un moment à l’autre. Cette innocence me touche.

     

    Quelles interprètes du rôle vous ont marquée ?

    Maria Caniglia avait une voix somptueuse, de même que la grande Tebaldi. Comment ne pas écouter Callas, qui est notre modèle à toutes ? Elle n’était pas seulement une chanteuse merveilleuse et une superbe actrice, elle était moderne. J’ai écouté aussi beaucoup d’interprètes plus récentes, non pour les copier, mais pour savoir comment elles font face à certains passages délicats. Il est très important de rester ouvert à l’art des autres et de ne pas se replier sur soi.

     

    Interpréter Tosca à Rome, Milan ou Londres est certainement très différent.

    C’est chaque soir que le public est différent. Et je sens s’il est de notre côté ou s’il va falloir travailler dur pour l’acquérir à notre cause dès le lever du rideau. Mais il est évident que les spectateurs réagissent aussi différemment suivant les pays. À Londres, il n’est pas de tradition d’applaudir après les airs, sauf Vissi d’arte. En Italie, le public est très sérieux, et s’il n’aime pas ce que nous faisons, il le fait savoir, même en pleine représentation. Il est d’autant plus difficile de le convaincre de nous faire confiance que nous ne sommes pas toujours au meilleur de notre forme.

    Au Japon, certains attendent une heure et demie après le spectacle pour avoir un autographe. Ils nous sont simplement reconnaissants d’avoir chanté, même si tout n’était pas parfait. Les disques sont une concurrence souvent déloyale. Il y a cinquante ans, les auditeurs allaient à l’opéra pour retrouver une pureté du son que les enregistrements ne pouvaient restituer, mais aujourd’hui les CDs sont tellement parfaits qu’il est difficile de lutter, qui plus est contre les chanteurs du passé. Nous devons accepter les traditions que nous ne pouvons pas changer. Gagner et recevoir l’amour du public est la plus belle chose qui soit. Et c’est ce pour quoi nous chantons.

     

    Vous avez grandi à Vienne, où l’Opéra fonctionne selon le système de répertoire. Est-ce une bonne école ?

    Cela fait aussi partie de notre métier. À Paris, nous disposons de deux semaines pour répéter sur scène, avec l’orchestre, et nous reposer avant la première. À Vienne, nous avons trois jours au maximum, sans orchestre ni décors. C’est d’autant plus difficile que le public est très exigeant. Lorsque nous entrons en scène, il faut être très concentré pour repérer la porte, la table ou le bougeoir dont on nous avait parlé.

     

    Est-ce une gymnastique délicate que de passer d’un répertoire à l’autre ?

    L’année dernière, j’ai chanté Turandot et la Maréchale en l’espace de dix jours – alors qu’il était soi-disant impossible de passer de l’un à l’autre. Comme un acteur qui incarnerait un jour un fou, et le lendemain un tout autre type de personnage. Et sans pour autant changer ma voix, qu’il s’agisse de Wagner, Strauss ou Puccini.

     

    Vous chanterez Sieglinde à l’Opéra Bastille cet hiver, puis dans le Ring complet du mois de juin.

    Beaucoup de théâtres me proposent déjà Brünnhilde, parce que je chante Turandot et que ma voix est plus dramatique, mais j’aime tellement interpréter Sieglinde, sa féminité et sa souffrance. O hehrstes Wunder ! est un vrai cadeau de la part de Wagner. Et le premier acte est aussi beau, qui est plus exigeant pour l’actrice que pour la chanteuse. Que je sois sur scène ou en coulisses, il m’arrive de pleurer, par exemple lorsque j’entends la fin de la scène entre Wotan et sa fille. J’ai fait une magnifique Walkyrie à Zurich avec Philippe Jordan, et c’est pourquoi il m’a invitée à chanter Sieglinde. Il est plein d’énergie et toujours tellement positif.




    À voir :
    Tosca de Puccini, direction : Paolo Carignani, mise en scène : Werner Schroeter, Opéra Bastille, du 23 octobre au 20 novembre.
    La Walkyrie de Wagner, direction : Philippe Jordan, mise en scène : Günter Krämer, Opéra Bastille, du 17 février au 10 mars, puis le 19 juin 2013.

     

    Le 22/10/2012
    Mehdi MAHDAVI


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