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ENTRETIENS 19 avril 2024

L’archet fait sa révolution

Julien Chauvin

Dans le cadre de Violoncelle en Seine, le CRR de Paris accueille du 3 au 9 décembre l’Archet Révolutionnaire, la plus importante collection d’archets anciens jamais réunie en Europe. Coorganisateurs de l’exposition, les violonistes Jérôme Akoka et Julien Chauvin et le violoncelliste et gambiste Christophe Coin nous révèlent les secrets oubliés de ce prolongement du bras du musicien.
 

Le 29/11/2012
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



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  • Pourquoi une exposition sur l'archet, qui plus est rĂ©volutionnaire ?

    Christophe Coin : François-Xavier Tourte (1747-1835) est souvent comparé à Stradivarius, non seulement pour la qualité de son travail, mais aussi parce qu'il a donné une forme « définitive », un patron idéal pour l’archet, qui ont fait école durant tout le XIXe et le XXe siècles. Mais Tourte, c'est aussi l'aboutissement d'une dynastie, de la collaboration avec des musiciens, et l’accomplissement des brevets mis au point à cette époque.

    Car avant cette standardisation de l'archet, chacun, compositeurs autant que musiciens, a contribué à son évolution en établissant de nombreux modèles différents. Et dès lors que la liberté prime, chaque archet est révolutionnaire. Évidemment, cela nous complique la vie, car dans la mesure où il n’y avait de signature systématique, et que l’archèterie n’était pas encore un métier en soi, le domaine de l’expertise est très compliqué.

    Cette exposition est une première initiative pour mettre en marche une étude plus approfondie et surtout réunir des archets de collections privées qui permettent de trouver des correspondances, des doublons voire des familles, et donc faire avancer l’expertise et la connaissance de cette époque, qui reste encore très vague.

    Jérôme Akoka : L'initiative est née d'une volonté commune de pouvoir présenter tous ces archets – près de cent cinquante s'échelonnant de la fin du XVIIe à la fin du XVIIIe, avec une petite enclave dans le XIXe siècle – comme les témoins d’une période longtemps négligée par les archetiers eux-mêmes qui s'y intéressaient, parfois les collectionnaient, mais les gardaient dans des cabinets de curiosités.

    Julien Chauvin : Cette envie est d’abord celle de musiciens attachés au jeu sur instruments anciens, et donc fidèles à certains instruments du XVIIIe siècle, notamment aux archets originaux. À cette époque, la grande diversité des modèles et leur constante évolution découlent des liens étroits entre, d’une part musiciens et luthiers, d’autre part musiciens et compositeurs. Ces liens ont bouleversé la facture instrumentale, puisque la recherche incessante de ces trois corps de métiers a abouti au XIXe siècle à une certaine standardisation.

    Cette exposition permettra de comprendre d’apprendre et de comprendre quels étaient ces liens entre musiciens, compositeurs et archetiers. Si la révolution baroque se déroule depuis une cinquantaine d’années, de nombreuses questions restent ouvertes sur les choix des instruments, et des archets en particulier – à savoir quel archet pour quel répertoire, quel compositeur, quel langage musical ?

    Il est important que les musiciens puissent avoir connaissance de cette évolution dans la mesure où, les salles de concert étant de plus en plus grandes, ils recherchent des sonorités plus brillantes et puissantes, alliées à un confort de jeu en rapport avec le style musical de cette époque.

     

    Quelle est l'origine de l'Ă©volution de l'archet Ă  l'Ă©poque classique ?

    Christophe Coin : Compositeur, interprète et matériel sont indissociables. Le style classique demande par exemple des phrases de plus en plus longues. Contrairement à l’époque baroque, on a cherché une homogénéité de l’archet qui réponde à ces demandes.

    Jérôme Akoka : À partir du milieu de XVIIIe siècle, les adaptations de l'archet au répertoire sont de plus en plus fréquentes du fait que la musique se démodait de plus en plus vite – à tel point que Mozart antidatait certaines de ses œuvres pour pouvoir vendre à Londres une musique déjà vendue à Vienne l'année précédente !

    Les archetiers, et en particulier à Paris – puisque nous étions au cœur de la vie musicale de cette époque –, essaient donc d’adapter très rapidement leur production aux demandes des musiciens. Dans l’archet classique sont contenus des savoirs de l’archet baroque, et il en va de même pour l’archet romantique. C’est ce qui fait la force de Tourte, qui a vécu toutes ces périodes.

    Ses premiers archets sont de style baroque, puis il a modifié son modèle en fonction de la demande. Il a ainsi produit le modèle Cramer, du nom de ce fameux violoniste allemand qui vécut à Paris dans les années 1760-1770 avant de se rendre à Londres, et qui eut une grande influence sur l’archèterie. Puis Tourte change son modèle de tête, ce qui induit une tension quasi égale entre le talon et la tête.

    C’est une véritable rupture avec la période baroque, où la position plus basse de la tête permettait de jouer les temps forts presque uniquement en tirant l’archet – d’où une inégalité des notes, tirées et poussées. Alors qu’avec l’archet classique, il est possible de tenir un cantabile, une forme de legato. Sous l’impulsion de grands musiciens comme Duport et Viotti, Tourte intègre des parties métalliques, ce qui aboutira par la suite à l’archet moderne tel qu’il est encore construit aujourd’hui.

     

    L'archet Ă©volue-t-il au mĂŞme rythme, et dans le mĂŞme sens, pour tous les instruments de la famille des violons ?

    Christophe Coin : Les violonistes étaient généralement des précurseurs, et les autres suivaient le mouvement. Le violoncelle n’en garde pas moins une place à part du fait de son rôle partagé entre le solo et les parties d’orchestre, pour lesquels on n’utilisait ni le même instrument, ni le même archet. C’est pourquoi il existe encore davantage de modèles. Par ailleurs, il est important de noter que si le violon a trouvé sa forme définitive à l’âge d’or de Crémone avec Stradivarius, l’archet a continué d’évoluer tout au long du siècle, puis encore au XIXe.

     

    Quand l'archet baroque est-il définitivement abandonné au profit de l'archet classique ?

    Christophe Coin : On trouve des archets cannelés de style baroque datant du XIXe siècle, notamment en Angleterre. Il est probable que des archets inspirés du baroque aient existé très tardivement, de même que des musiciens ayant de très belles baguettes de cette époque les aient utilisées très longtemps. Un célèbre portrait de Boccherini le montre utilisant un archet tout à fait baroque, alors qu'il était contemporain de Haydn et Mozart.

    Même Schubert et Schumann ont pu être joués avec des archets baroques. Aujourd'hui encore, certains musiciens préfèrent jouer Schubert, même sur instrument moderne, avec des archets beaucoup plus anciens pour la transparence qu’ils apportent. Mais s’il n’est pas anachronique de jouer des archets plus anciens dans des répertoires plus tardifs, le contraire ne fonctionne pas très bien…

    Julien Chauvin : Dans la pratique d'orchestre, on imagine très bien une grande diversité des archets, avec des musiciens qui restent attachés à leur modèle baroque pour des raisons esthétiques, financières, sentimentales ou autres. Certains vont continuer à jouer leur archet à l'époque de Beethoven, tandis que d’autres à la pointe de la modernité, vont acheter le modèle dernier cri de l'archetier parisien ou viennois.

     

    Quel est l'apport, pour le musicien d'aujourd'hui, d'un archet ancien authentique par rapport Ă  une copie ?

    Christophe Coin : On dit souvent que c'est très subjectif, et que le musicien se sent plus inspiré de tenir un instrument historique dans les mains. Pour autant, il faut considérer l'aspect pluridimensionnel d'une baguette ancienne. Je remarque, outre les facilités d'exécution des spiccato, staccato, etc., la largeur, la profondeur de son que permettent ces archets.

    Comme si le son n’émanait pas seulement de l'instrument, mais de tout autour du musicien. Cette spatialisation est extraordinaire. Cela vient-il de la qualité et de la densité du bois qui se sont perdues dans les forêts actuelles ? C'est fort possible. Cela vient aussi d’un savoir-faire, mais on ne peut nier l’importance de cette notion d’espace.

    Julien Chauvin : Il est évident que pour les musiciens de notre génération, trouver des archets originaux devient de plus en plus rare et difficile. La copie a donc toute sa légitimité et son importance. Cependant, lorsque l'on a l'occasion de comparer les archets originaux et des copies, on peut parfois ressentir une frustration au niveau du contact avec l'archet, du son et des vibrations qu’il transmet à l'instrument – même si cela reste une fois encore très subjectif. Les recherches passionnantes que mènent les archetiers à l'heure actuelle sur les gestes de fabrication et les techniques anciennes qui ont été perdues avec le temps nous laissent très optimistes pour l'avenir.

    Jérôme Akoka : L’analogie avec la peinture me semble assez parlante : l'original restera toujours supérieur à la copie. Cela peut notamment tenir à la vitesse d'exécution, car on n’utilise pas les mêmes gestes pour créer et copier.

     

    OĂą trouve-t-on ces archets authentiques ?

    Julien Chauvin : Il reste dans les mentalités que ces archets d'époque sont moins intéressants que les instruments par exemple. Sauf pour les luthiers spécialistes. Comme ils ne sont pas standards, le marché est peut-être plus compliqué : les conservatoires et les orchestres ne les recherchent pas. Ce qui fait leur valeur, c'est leur rareté, leurs spécificités.

    Christophe Coin : Qu'une viole de gambe de 1625 en parfait état, rarissime, ne valle pas plus cher qu'un violon Gand et Bernardel construit au XIXe siècle à des dizaines d'exemplaires parce qu’une viole de gambe est moins recherchée qu’un violon, montre bien les aberrations du marché. Mais cette tendance, qui touche aussi l'archet ancien, peut s'inverser, notamment grâce à la demande croissante des musiciens.

    Jérôme Akoka : Ces archets anciens étaient souvent exposés chez les luthiers en tant que beaux objets de curiosité. Il était aussi d'usage de s'offrir un de ces archets entre confrères en signe d'amitié, pour se faire plaisir. Des modèles classiques de la famille Tourte ont une cote parfois beaucoup plus faible que des archets plus tardifs, qui répondent donc davantage aux normes actuelles. Alors qu’ils ont été façonnés par la même main et avec la même excellence de savoir-faire.

    Pour ce qui est de trouver ces archets, c'est le réseau des antiquaires et des luthiers, parfois des ventes aux enchères d'instruments lors desquelles quelques modèles sont proposés. Mais cela reste rare.

     

    L'exposition s'accompagne d'une série de conférences et de concerts, ainsi que de la parution d'un catalogue.

    Julien Chauvin : L'exposition sera jalonnée de conférences d'experts tels que Jean-François Raffin, d'archetiers, de musicologues et de conservateurs, comme Rudolf Hopfner, le directeur du Musée des instruments de Vienne. Une table ronde se tiendra sur la question de l’archet et du répertoire, suivie d’une discussion avec l’archetier Jean-Yves Tanguy sur la copie moderne, illustrée par des modèles exposés dans la même scène.

    Jérôme Akoka : Il nous semblait fondamental de garder une trace de cette exposition exceptionnelle. L’édition du catalogue a nécessité un important travail de photographie, puisque chaque archet est reproduit à l'échelle 1 pour ce qui est de la hausse et de la pointe. Il s’agit d’un ouvrage de référence qui intéressera non seulement les musiciens et les luthiers, mais aussi le public amateur de lutherie ou de beaux objets. Nous voulons insister sur le caractère unique de cette exposition, car c'est la première fois en Europe qu’autant d’instruments sont réunis.




    À voir :
    L’archet révolutionnaire, exposition d’archets anciens dans le cadre de Violoncelle en Seine, du 3 au 9 décembre, CRR de Paris, 14 rue de Madrid.
    Programme complet sur : http://www.violoncellenseine.fr/journees/programme/

     

    Le 29/11/2012
    Mehdi MAHDAVI


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