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ENTRETIENS 27 avril 2024

Flannan Obé, à la croisée des chemins

Comédien, chanteur, danseur de claquettes à ses heures, et même auteur, Flannan Obé additionne les talents avec une réjouissante élasticité. Les Brigands ne s’y sont trompés, qui en ont fait l’un des leurs en 2007. Désormais pilier de la compagnie, il joue le rôle-titre de Croquefer et Hermosa dans l’Île de Tulipatan d’Offenbach au Théâtre de l’Athénée.
 

Le 18/12/2012
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



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  • Comment ĂŞtes-vous devenu un Brigand ?

    Florence Andrieu, ma partenaire et co-auteur de l’Envers du décor, qui jouait en alternance une des trois commères de Ta Bouche, a convaincu Loïc Boissier, le directeur artistique de la compagnie, de venir me voir dans Lucienne et les Garçons. Je savais qui étaient les Brigands, et j’étais tout à fait intéressé pour d’éventuels travaux futurs.

    Lorsque nous nous sommes rencontrĂ©s, LoĂŻc Boissier m’a dit qu’il pensait peut-ĂŞtre Ă  moi pour le spectacle de la saison suivante, ce qui n’est pas tombĂ© dans l’oreille d’un sourd ! En le retrouvant dans le foyer de l’AthĂ©nĂ©e après avoir assistĂ© Ă  une reprĂ©sentation des Brigands d’Offenbach, je lui ai lancĂ© : « Alors, ce rĂ´le ? Â» Et je tombais bien, puisqu’il Ă©tait en train de faire les auditions pour Arsène Lupin Banquier.

    C’est ainsi que j’ai décroché le rôle de Gontran. Après toutes ces années passées en trio avec Lara Neumann et le pianiste Emmanuel Touchard dans Lucienne et les Garçons, réintégrer une équipe plus large et avoir un personnage a été comme une bouffée d’oxygène. L’année suivante dans la Cour du roi Pétaud, Volteface occupait le même emploi, toujours payant, de mouche du coche, s’hystérisant au fur et à mesure de la pièce.

     

    Si le noyau de la troupe demeure, le metteur en scène change. Comment l’esprit des Brigands s’intègre-t-il à des univers chaque fois différents ?

    Chacun fait un pas, et même plusieurs, vers l’autre. Dans la mesure où le choix se porte le plus souvent sur un metteur en scène issu du théâtre, ce dernier n’est pas non plus dans son univers de prédilection et doit se demander ce qu’est l’opérette ou l’opéra-bouffe, quel regard il va porter dessus, tout en faisant confiance à l’équipe des Brigands et à ce qu’elle a envie de défendre. L’intérêt de cette troupe et des personnalités qui la constituent provient de ce que chacun a le souci de servir une œuvre plutôt que de tirer la couverture à soi.

     

    L’opérette a été servie tant par des acteurs que de grands chanteurs d’opéra. Comment se répartissent les rôles entre les interprètes issus d’une formation musicale classique et les comédiens ?

    Contrairement aux jeunes premiers, les fantaisistes ou les rôles de caractère parlent plus qu’ils ne chantent, et n’ont généralement pas de prouesses techniques à faire. Volteface avait un air au début de la Cour du roi Pétaud, ce qui me permettait de m’égosiller ensuite sans trop avoir de scrupules dans la mesure où ses interventions dans les ensembles n’étaient pas très exposées.

    Dans l’Île de Tulipatan, que nous montons cette année, Hermosa est en revanche clairement un rôle de ténor. Et le duo de Croquefer, qui unit avec ironie une jeune première très débrouillarde à un jeune premier plutôt benêt, est une vraie parodie de duo d’opéra, et exige de la soprano et du ténor une technique lyrique solide. Quant au rôle-titre, que j’interprète, il chante beaucoup, mais ni ornements, ni cadences infernales.

    Il faut un moyen terme, y compris dans les équipes, d’autant que chacun bénéficie de cette association. Étant d’abord comédien, puis chanteur – même s’il m’a fallu du temps pour admettre que je l’étais aussi –, jouer aux côtés de chanteurs de formation me tire vers le haut en m’obligeant à soigner mon émission vocale.

     

    Cette année, deux ouvrages d’Offenbach sont donc au programme, Croquefer ou le dernier des paladins et l’Île de Tulipatan.

    Croquefer, dont le propos est très mince, tend vers l’opĂ©ra pour mieux s’en moquer. La situation, censĂ©e ĂŞtre dramatique, est renversĂ©e sans que l’on sache pourquoi, et le grand duo d’amour, qui commence non sans beautĂ© avant de tourner Ă  vide, s’achève Ă  l’OpĂ©ra de Paris alors que l’action se dĂ©roule au Moyen Ă‚ge. « Il y a quinze jours Â», Croquefer, qui règne sur un tas de pierres, unique vestige de son grand château, a enlevĂ© Fleur-de-Soufre, la fille de son « ennemi acharnĂ© Â» Mousse-Ă -Mort, qui pour n’avoir plus qu’une jambe, un bras, un Ĺ“il et pas de langue, n’en est pas moins terrifiant. L’intrigue avance au grĂ© de retournements de situations aussi soudains qu’idiots, qui culminent avec un numĂ©ro de colique aussi rabelaisien que puĂ©ril.

     

    Dans l’Île de Tulipatan, vous jouez Hermosa, un garçon…

    …auquel sa mère fait croire, ainsi qu’à son père et à tous les autres, qu’il est une fille. Parce qu’elle avait très peur que la guerre qui faisait rage à sa naissance ne s’éternise et que son fils soit envoyé au front. Et quel meilleur moyen que de dire qu’elle avait eu une fille ? Mais Hermosa vient d’avoir dix-huit ans, et ce terrible secret devient de plus en plus difficile à garder.

    Sur l’Île de Tulipatan règne le duc Cacatois XXIII, qui pour sa part espérait un fils, puisque la loi salique est en vigueur, et tombe malade chaque fois que sa femme accouche d’une fille. Le père d’Hermosa, son grand chambellan, décide de trouver une solution et affirme que la fille qui vient de naître est un garçon. Parallèlement à Hermosa, Alexis a donc été élevé en croyant qu’il est un garçon, rôle dont elle s’acquitte relativement mal.

     

    Est-ce la première fois que vous reprenez un rôle que vous aviez déjà interprété dans une autre mise en scène ?

    C’est à la fois plus facile, parce que le personnage me fait moins peur que si je l’abordais pour la première fois, et plus difficile, dès lors que j’étais soucieux durant les répétitions de ne pas refaire ce que j’avais déjà fait, plutôt que de proposer quelque chose ou de répondre à ce que le metteur en scène me demandait. Alors même que les deux options sont assez différentes.

    Le texte est marqué par cette espèce de déterminisme qui veut que, de toute éternité, un garçon reste un garçon, aime la guerre, le bruit, et ne soit pas gracieux, malgré la robe et les couettes dont on l’affuble – l’inverse se vérifiant pour les filles. Sauf qu’il est impossible de traiter de cette question aujourd’hui de cette façon – à moins d’être extrêmement d’arrière-garde.

    Hermosa est certes une fille qui aime les instruments bruyants, mais Jean-Philippe Salério, le metteur en scène, me citait Fanny Ardant dans certains films, son côté libre et passionné – au point que c’en est devenu un gag entre nous. Une fille que ses cheveux courts tirent vers la garçonne, courageuse, audacieuse, rebelle au rôle qu’on veut lui faire jouer.

    En miroir, Alexis apparaĂ®t forcĂ©ment comme un petit ĂŞtre fragile, qui se lamente sur la mort d’un petit oiseau qu’elle avait dans sa cage. Et son père ne peut que se plaindre que ce fils tant dĂ©sirĂ© ne soit pas « un rude lapin Â». Car autant Hermosa se prend des gifles, mais a une vraie force de caractère et se rĂ©volte, autant Alexis est d’un tempĂ©rament plus faible, en tout cas plus rĂ©servĂ©, et essaie de satisfaire son père sans y parvenir.

    Dans la mise en scène de Yann Dacosta à l’Opéra de Rouen, j’apparaissais davantage comme une poupée un peu monstrueuse, mais ni lui ni moi ne voulions tomber dans le comique trop facile d’un garçon déguisé en fille. C’est cette ambiguïté qui a plu à Loïc Boissier. Que nous demande-t-on d’être selon le sexe auquel nous appartenons ?

    Cela parle aussi de la misogynie, de l’homophobie si on veut bien le regarder, de l’hétéronormalité et des rôles attribués desquels on ne doit pas sortir. Qu’Alexis et Hermosa arrivent à s’aimer malgré tout est finalement assez beau.

     

    Vous évoquiez vos difficultés à vous considérer comme un chanteur. Qu’est-ce qui vous a attiré vers cet entre-deux ?

    J’ai toujours voulu être comédien. Mon père l’était, ma mère l’a été. Mais j’ai toujours chanté. À la chorale du Conservatoire de Fontenay-sous-Bois, et à l’Ensemble Polyphonique de Choisy-le-Roi après la mue. Puis je me suis mis au chant lyrique, j’ai arrêté, j’ai repris. En Angleterre ou en Amérique, la question ne se serait pas posée, car j’aurais suivi des cours de chant à l’école de théâtre, et même éventuellement participé à des comédies musicales.

    Mais j’ai eu la chance d’interpréter Jean Valjean dans un spectacle musical d’après les Misérables composé par Emmanuel Touchard, le pianiste de Lucienne et les Garçons, que j’ai rencontré à cette occasion, de même que Lara Neumann, qui jouait Madame Thénardier. Nous avons fait quelques belles salles, dans un cadre semi-professionnel mais très formateur. Et j’ai eu la sensation d’être à ma place.

    Puis j’ai continué à faire du théâtre. Mais avec Lucienne et les Garçons, qui est un grand moment de ma vie – sept ans en tournée et à Paris dans deux spectacles différents –, il est devenu évident qu’il fallait que je joue et que je chante en même temps.

     

    Qu’est-ce qui fait que l’opérette marche encore, malgré tous les procès en désuétude ?

    Elle attire d’une part un public très âgé, et il m’est arrivé de prendre part, comme on fait un exercice de style, à des mises en scène très anciennes, remontées en moins d’une semaine, et dans lesquelles l’apport personnel est très limité. Ce sont des expériences amusantes dans ce qu’elles peuvent avoir à la fois de désuet et de sympathique.

    D’autre part, des compagnies comme les Brigands ont envie de revisiter ce répertoire à l’image des grands classiques de théâtre et d’y apporter ce qu’il mérite de créativité, qui plus est lorsqu’il s’agit de titres peu ou pas joués. D’où l’intérêt de faire appel à des metteurs en scène de théâtre qui ont un univers assez marqué, comme c’était les cas des 26000 couverts, qui ont monté Au Temps des croisades dans l’esprit du théâtre de rue.

    Qu’a-t-on envie de raconter aujourd’hui avec telle opérette ou tel opéra-bouffe ? Si la pièce est suffisamment bonne – et généralement elle l’est, car le choix est mûrement réfléchi –, on trouve toujours des choses à dire.

     

    Vous êtes non seulement l’interprète des autres, mais aussi votre propre auteur pour des spectacles en trio comme Lucienne et les Garçons ou l’Envers du décor, et même un récital, Tout fout l’camp !

    Être initiateur, ou co-initiateur d’un projet s’est imposé dans la mesure où j’ai toujours eu des idées et des envies. L’expérience de Lucienne et les Garçons a été très formatrice. Emmanuel Touchard était à l’origine du projet, mais nous avons créé le spectacle ensemble, arrangé les textes, imaginé des personnages. Nous avons eu la chance de rencontrer non seulement des producteurs, mais surtout le public, qui nous a donné une confiance magnifique.

    Mais soyons honnête, je n’aurais pas eu le temps de mener à bien tant de projets si j’avais été pris chaque mois de chaque saison. La grande majorité d’entre nous éprouve le besoin vital et déraisonnable d’être sur scène, de faire le métier, d’être choisi. Parfois cela n’arrive pas, et ce sont des moments de doute, de remise en question, de vide. Et puisque la nature a horreur du vide, c’est là que germent les idées.

    Florence Andrieu et moi avions envie de retravailler ensemble depuis longtemps, et nous avons mis à profit une de ces périodes d’attente. Nous avons réuni ces anecdotes que nous aimons tant sur tout ce qui peut mal se passer en coulisses, et avons écrit l’Envers du décor, que nous avons joué pendant deux mois l’hiver dernier au Théâtre du Ranelagh. Dans Tout fout l’camp ! résonne mon goût ancien et prononcé pour la mélodie française, que j’ai découverte grâce à un disque de José Van Dam.

    J’ai toujours eu le désir d’en faire quelque chose, tout en ayant conscience des exigences purement vocales de ce répertoire. J’ai aussi une passion pour la chanson française, notamment réaliste. Mais je suis un comédien qui bouge, j’aime être en mouvement quand cela s’y prête. J’ai donc fait appel à Jean-Marc Hoolbecq, le chorégraphe des Brigands, qui est habitué à travailler avec des textes, pour me mettre en scène ce récital-spectacle à la croisée des chemins, avec des chansons, des textes parlés que j’ai écrits, et quelques mélodies.

    J’ai toujours été gêné en assistant à des récitals par ces moments où, soudain, tout s’arrête – le public applaudit, le chanteur boit un verre d’eau, redevient lui-même, et passe à autre chose. Entre des œuvres longues, ces interruptions peuvent permettre une respiration, mais dans le cas de mélodies de Poulenc, qui durent parfois moins d’une minute, elles coupent la tension dans laquelle il faut être pour suivre l’interprète là où il veut nous emmener. J’ai eu envie de retendre ce fil, que ce soit du côté du rire ou de l’émotion.




    À voir :
    Croquefer ou le dernier des Paladins et l’Île de Tulipatan de Jacques Offenbach, direction : Christophe Grapperon, mise en scène : Jean-Philippe Salério, Compagnie Les Brigands, Théâtre de l’Athénée, Paris, du 20 décembre au 3 janvier

     

    Le 18/12/2012
    Mehdi MAHDAVI


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