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ENTRETIENS 20 avril 2024

Renée Fleming,
la séduction au naturel

© Decca/John Stoddart

Elle a su allier le charme, le travail et la raison, grâce à quoi elle mène l'une des plus belles carrières du moment. Elle vient d'ailleurs de triompher à Salzbourg en Donna Anna. Paris, qui l'adore, la retrouvera l'an prochain dans "Manon", temps fort d'une saison placée, entre autres, sous le signe de Massenet.

 

Le 03/08/2000
Propos recueillis par Michel PAROUTY
 



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  • Votre prochaine intĂ©grale d'opĂ©ra chez Decca, qui paraĂ®tre Ă  la rentrĂ©e, sera la ThaĂŻs de Massenet. D'oĂą vous vient ce goĂ»t pour ce compositeur ?

    C'est un musicien qui est très aimé aux États-Unis. De très grandes chanteuses comme Anna Moffo ou Beverly Sills ont souvent interprété ses oeuvres, mais elles n'ont fait que perpétuer une longue tradition. Au Metropolitan Opera de New York, on parle encore de la Manon de Victoria de los Angeles ! Et n'oubliez pas que c'est Mary Garden, la première Mélisande, qui a créé Thaïs à New York. Nous l'avons enregistré avec l'Orchestre de Bordeaux-Aquitaine que dirigeait Yves Abel, dont l'aide nous a été précieuse. Pour l'instant, je n'ai abordé ce rôle qu'en concert ; mais je vais le faire à Chicago, avec Thomas Hampson, mon partenaire du disque, en Athanaël, et dans une mise en scène très moderne de Bob Fowles : Thaïs sera une " pop star " et Athanaël un ministre du culte.

     
    Appréciez-vous ce genre de transpositions ?

    Si la production fonctionne bien, pourquoi pas ? Mais il faut qu'elle s'accorde vraiment Ă  la musique.

     
    Dans le cas contraire, vous refuseriez de la faire ?

    Maintenant, c'est une chose que je peux me permettre, d'autant que je tiens à partager mon temps entre la scène et le concert. Je ne veux pas participer à plus de trois ou quatre productions par an, que je jouerai chacune entre six et dix fois.

     
    Pour en revenir à Massenet, vous sentez-vous des affinités avec ses héroïnes ?

    Pour moi, c'est un compositeur qui représente le romantisme, pas comme Puccini, bien sûr, mais d'une manière plus subtile, plus délicate. J'ai chanté Salomé dans Hérodiade à San Francisco, Manon à Paris, que je reprendrai la saison prochaine avec Marcelo Alvarez, ce qui m'intéresse beaucoup parce qu'il est Sud-Américain, et qu'il peut apporter un côté latin et passionné à son personnage. L'histoire de Thaïs me plaît, avec ces deux individus dont les positions extrêmes sont complètement inversées à la fin puisque c'est Athanaël qui est tenté par la chair alors que Thaïs va vers Dieu. Mon rôle est très attachant, l'air du miroir, au deuxième acte, toutes les femmes peuvent le comprendre. Et la musique, avec ses couleurs exotiques, est d'une telle fluidité ! Avant de jouer mon personnage à la scène, je vais quand même lire le roman d'Anatole France.

     
    Stylistiquement, vous vous référez beaucoup, dans le domaine de l'opéra français, à des chanteuses comme Renée Doria ou Ninon Vallin. Pourquoi ?

    Parce que leur chant me paraît un modèle de clarté, de pureté, sans exagération, sans ces ports de voix qui sont propres à l'opéra italien. En même temps, elles sont capables d'apporter à leurs personnages du coeur et de la passion. Aux États-Unis, nous avons tendance à être trop romantiques, trop sentimentaux. Hugues Gall me l'a dit après une représentation de Faust : " C'est trop sentimental, Renée, pas assez français ".

     
    Vous faites partie de ceux qui considèrent que la langue française est difficile à chanter ?

    Elle est très difficile. Je l'ai beaucoup travaillée avec Janine Reiss, avec Michel Sénéchal. Prenez par exemple le problème des " r ", faut-il ou non les rouler ? Je trouve que ça peut être utile dans les opéras, pas dans les mélodies. Le Français est pourtant la langue que je préfère, elle place parfaitement bien la voix dans le masque, elle est beaucoup plus fluide que l'Anglais. Mais elle est difficile, d'autant que si un ténor parle et chante dans le même registre, nous, les sopranos, nous chantons plus haut, donc les voyelles sont plus ouvertes.

     
    Vous travaillez beaucoup votre technique ?

    Bien sûr. Je veux chanter longtemps, donc je dois être prudente. Ma voix n'a pas beaucoup changé, mais je la trouve plus stable, et surtout je la contrôle mieux dans l'aigu, dans les pianissimos. Je veux me sentir libérée de la technique, pendant un spectacle, je ne veux penser qu'à la musique et à mon personnage. La meilleure façon d'acquérir cette liberté, c'est le travail. Le répertoire belcantiste, que je pratique régulièrement et que je chanterai de plus en plus, m'aide énormément à conserver ma souplesse vocale. J'ai déjà à mon actif l'Armida de Rossini, j'ai fait la Lucrezia Borgia de Donizetti à La Scala de Milan, et l'an prochain je vais aborder Il Pirata de Bellini.

     
    Craignez-vous la fatigue ?

    Celle du corps, oui ; celle de la voix, non. Je sais que je chante bien lorsque je chante longtemps et pianissimo. Je ne me fixe aucun régime de travail mais j'écoute mon corps. Si je me sens tendue, je travaille sur cette tension. Tout est une question de contrôle et d'équilibre entre les muscles ; j'essaie de trouver des images qui m'aident, celle d'une ligne, d'un fil
    Un pianiste peut changer la position de ses mains, nous, c'est beaucoup plus difficile. Il est une règle qu'un bon professeur de chant apprend toujours à ses élèves : si, en chantant, vous avez mal, arrêtez aussitôt, c'est que votre position vocale est mauvaise. Le chant est un mystère ; mais beaucoup de professeurs ne le connaissent pas, et certaines cantatrices non plus.

     
    Aimeriez-vous enseigner ?

    Énormément, mais je n'ai absolument pas le temps. Ce doit être une question d'hérédité, puisque mes parents étaient tous deux professeurs de chant. Les deux premières jeunes filles au pair qui se sont occupées de mes filles étaient de futures cantatrices. En ce qui me concerne, j'ai toujours quelqu'un qui m'écoute régulièrement ; c'est comme quand je vais chez le dentiste faire examiner mes dents, il faut toujours un contrôle extérieur. En plus de la technique, je travaille beaucoup l'interprétation à proprement parler. Je suis très curieuse, je n'ai jamais fini.

     
    Au Palais Garnier, vous avez participé à la production d'Alcina que dirigeait William Christie. Quel souvenir en gardez-vous ?

    Formidable. C'était la première fois que je chantais du Haendel, et j'avais des airs de dix minutes ! William Christie m'a rassurée : " Fais comme si tu chantais du jazz, sois libre, sois sexy ! " Je ne m'attendais pas à ça, je pensais qu'il voulait seulement que ma voix soit belle et sans vibrato. Il est très populaire aux États-Unis, vous savez ; le public, là-bas, est fou de baroque. Quant à moi, je suis sûre que je chanterai de plus en plus de Haendel ; c'est comme Mozart, c'est bon pour la voix.

     
    Vous avez d'ailleurs refait Alcina Ă  Chicago.

    Oui, mais avec un orchestre moderne, et un diapason plus haut, donc dans une tessiture plus tendue et plus fatigante.

     
    La production de Robert Carsen vous a-t-elle séduite ?

    J'ai rarement perçu un tel équilibre entre la musique et la conception scénique. Carsen est un très bon directeur d'acteurs ; il a montré une histoire d'amour, pas de magie. Alcina, pour lui, est une femme malheureuse, et la manière dont il la voit est aussi émouvante que la musique qu'elle chante.

     
    Quels sont les axes vers lesquels vous allez maintenant orienter votre carrière ?

    Toujours le bel canto, avec Handel en plus. Sans doute un peu moins de Mozart, mais ce n'est que momentané ; je ferai surtout Donna Anna dans Don Giovanni, comme à Salzbourg, cet été. J'aime énormément l'opéra tchèque mais pour l'instant on ne m'a proposé que la Rusalka de Dvorak. Et puis Richard Strauss, dont je ne saurais me passer ; je vais bientôt reprendre Arabella.

     
    Sans oublier les récitals...

    Oui, et je veux m'y consacrer de plus en plus. J'ai trouvé un excellent partenaire en Jean-Yves Thibaudet, nous avons fait un programme Rachmaninov, Josef Marx, Richard Strauss, Debussy, Fauré passionnant, autour de musiques " nocturnes ". Nous avons aussi participé à un film de Bruce Beresford sur Alma Mahler, qui doit sortir à la fin de l'année ; la scène que nous interprétons se passe au Musikverein de Vienne, Alma entend pour la première fois sa musique chantée sur scène par Emma Calvé. C'est Jonathan Pryce qui joue Mahler.

     
    Et le répertoire contemporain ?

    Et le répertoire contemporain ?
    J'y tiens beaucoup. Récemment, j'ai créé au Minnesota une pièce de Kernis, Valentines. J'aime aussi beaucoup André Previn, j'entends dans sa musique une voix très originale. La musique la plus contemporaine ne m'effraie absolument pas, d'autant que j'ai étudié la composition et composé moi-même dès l'âge de douze ans. Le problème, c'est qu'aux États-Unis, nous n'avons que peu de public pour ces oeuvres qui paraissent ardues. J'ai donné au Lincoln Center de New York un récital uniquement composé de partitions de jeunes musiciens, et j'ai reçu un tas de lettres me disant : " Surtout, ne chantez plus ça ! ". On n'aime guère Wozzeck chez nous, et il faut toujours tenir compte du goût du public puisque tout fonctionne avec des fonds privés. Le jazz, c'est pareil ; il est réservé à un public plutôt intellectuel. Vous n'avez pas ce problème, en France. C'est une des raisons pour lesquelles j'aime tant revenir dans votre pays dont j'adore les gens, la culture. Inutile de vous dire que si j'avais l'occasion de travailler avec Pierre Boulez, j'accepterai avec plaisir.

     


    4 CD pour découvrir la voix de Renée Fleming

    Wolfgang Amadeus Mozart - Arias
    Avec Charles Mackerras
    Decca London 52602

    Wolfgang Amadeus Mozart - Cosi fan tutte
    Avec Georg Solti
    Decca London 44174

    Richard Strauss - Quatre derniers Lieder –
    Avec Christoph Eschenbach
    Bmg/Rca 68539

    Jules Massenet HĂ©rodiade
    Valery Gergiev
    Sony 66847

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    Un entretien en anglais pour UniversalClassics

     

    Le 03/08/2000
    Michel PAROUTY


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