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ENTRETIENS 24 avril 2024

Paul Daniel,
l’étincelle de l’imagination

© Frances Andrijich

D’Opera North à l’English National Opera, Paul Daniel s’est forgé un répertoire aussi vaste qu’éclectique dans son pays natal. Le futur directeur musical de l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine fait ses débuts à l’Opéra de Paris dans un diptyque composé du Nain de Zemlinsky et de l’Enfant et les sortilèges de Ravel.
 

Le 21/01/2013
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



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  • En quoi le couplage du Nain de Zemlinsky et de l’Enfant et les sortilèges de Ravel est-il pertinent ?

    Comme je n’ai jamais dirigé ces deux pièces ensemble, je découvre à chaque répétition un lien différent et une étincelle nouvelle pour mon imagination. Je résiste à l’instinct intellectuel qui me dicterait une formule dramaturgique, car l’énergie qui parcourt ces opéras nous entraîne dans une multitude de directions, qui se rejoignent dans leurs conclusions respectives, tragique dans le Nain, rédemptrice dans l’Enfant et les sortilèges.

    C’est pourquoi il paraît logique de finir la soirée avec Ravel. Peut-être est-ce simplement mon humeur du moment, mais il est très agréable de se perdre dans les labyrinthes que sont ces deux pièces afin de parvenir à cet instant fascinant, où l’Enfant se découvre lui-même en comprenant qu’il a causé tant de dégâts. Après cette prolifération d’idées et de personnages, il ne reste plus que cet enfant perdu dans sa solitude.

     

    Passer sans transition de la fin tragique du Nain à l’Enfant et les sortilèges peut sembler tout sauf évident.

    On ne se souvient généralement que de la fin des œuvres. C’est pourquoi il est si difficile de convaincre les programmateurs de finir un concert par la Troisième Symphonie de Brahms, qui s’achève pianissimo, alors qu’elle est plus tourmentée et soulève davantage d’interrogations sur l’architecture musicale que les trois autres !

    La conclusion du Nain est pesante et déprimante, mais qu’en est-il des contours de ce drame ? L’ironie n’est pas sur scène ou dans la fosse, c’est au public de l’inventer. Notre seul moyen est de jouer franc jeu, ce qui procure un plaisir totalement hédoniste. A priori, l’Enfant et les sortilèges oriente la pensée vers la légèreté de l’esthétique ravélienne. Mais la musique se développe de façon éminemment complexe.

    L’énergie, la température sont en perpétuelle évolution dans cette série de scènes très brèves, dont certaines sont au moins aussi sombres que celles du Nain. La soirée entière est une montagne russe émotionnelle, et chacun, dans le public comme parmi les musiciens, doit trouver sa propre voie. Il n’y a qu’une seule façon de traverser un certain nombre d’opéras et d’œuvres scéniques. Dans le cas de ces deux pièces, les chemins sont multiples.

     

    Quelle attitude adoptent Zemlinsky et Ravel face au genre lyrique, parvenu à la fin d’une ère dans les années 1920 ?

    Je me méfie des visions rétrospectives. Je préfère me demander quelle musique Zemlinsky connaissait au moment où il écrivait. Là où Strauss suivrait le texte d’une façon beaucoup plus enjouée et virtuose, Zemlinsky développe une grande pensée symphonique. La responsabilité du chef et de l’orchestre n’en est que plus grande. La partition est écrasante et présente, avec un effectif quasiment identique à celui de l’Enfant et les sortilèges, une écriture orchestrale en fusion.

    À l’opposé, la cuisine de Ravel emprunte ses saveurs à toutes sortes de plats différents, avec des contrastes saisissants. Pourtant, et c’est là son génie, je ne peux pas citer plus d’un passage qui ne satisfasse pas à la logique musicale, bien que chaque rencontre, chaque histoire vécue par l’Enfant soient différentes. Je ne connais aucun autre compositeur capable de contrôler autant d’idées et de couleurs à la fois, puis de parvenir à une conclusion aussi facilement.

     

    La dimension autobiographique du Nain a-t-elle une influence sur votre interprétation ?

    Il est très facile de voir une incroyable tragédie dans ce besoin qu’a eu Zemlinsky de créer cette horrible histoire à propos de lui-même. Pourtant, il a choisi de le faire. Je ne ressens donc aucune compassion pour lui. C’est une démarche thérapeutique. Il voulait s’exprimer sur sa propre laideur, en faire étalage. Il a puisé tout ce qu’il pouvait dans la tragédie de son amour pour Alma Schindler, et en a tiré quelque chose de très positif.

     

    Qu’en est-il de l’écriture vocale de ces deux opéras ?

    La musique de Zemlinsky n’est pas particulièrement allemande. Elle est très exotique. Sans doute s’intéressait-il beaucoup à cette étincelle qui jaillit de la musique russe, et notamment à cette virtuosité créée par Rimski-Korsakov, et que reprend Stravinski. Son usage de la modalité et de la gamme par tons est à la fois très russe et très français, et le lie bien plus à Ravel qu’à Schoenberg ou Strauss.

    La hiérarchie vocale du Nain est très clairement établie. Le rôle-titre est un Heldentenor, et l’Infante et Ghita s’inscrivent dans ce cadre. Ils chantent dans un style germanique, et pourtant, de façon très déroutante, certaines scènes semblent sortir tout droit de Madame Butterfly. À l’instar de Mahler, Zemlinsky était amené, en tant que directeur musical du Neuer Deutscher Theater de Prague, à diriger tous les répertoires, et ne s’est dès lors pas senti obligé de suivre une voie particulière.

    Son incroyable fertilité découle de cette liberté, qui est d’ailleurs similaire à celle de Ravel. Celui-ci peut être plus enjoué, mais chaque scène exige d’être examinée de très près pour en trouver la couleur exacte. Se moque-t-il ou rend-il hommage au jazz, à l’opéra russe, ou même au baroque français ? Il est souvent question de l’attachement de Debussy au passé, mais Ravel réalise un très beau pastiche de Rameau et Lully avec ses pâtres et pastourelles.

     

    Que vous a appris votre expérience de directeur musical de l’English National Opera, où tout le répertoire est joué en anglais, sur le théâtre lyrique ?

    Les compositeurs écrivaient les opéras dans leur propre langue. Et il faut voir avec quel soin du détail Verdi supervisait la traduction de ses œuvres en français, pour qu’elles soient accessibles au public parisien. Jouer les opéras dans la langue des spectateurs est moins indispensable aujourd’hui, car le surtitrage, qui était au début très rudimentaire, a beaucoup progressé. Il y a désormais des experts dans ce domaine, capables de restituer le rythme et la poésie de la version originale à travers ce médium.

    À l’écoute d’un opéra traduit en anglais ou en allemand, la réaction d’un étranger est que la langue, les voix ne sonnent pas juste. Mais dans le travail, le processus est le même que lorsque l’italien, le russe et le français sont chantés par des natifs. Dans les grands théâtres internationaux, la moitié au moins des chanteurs reproduisent les sons d’une langue qui n’est pas la leur. Et quel que soit leur niveau de compétence, ils ne peuvent pénétrer au plus profond du sens. Je ressens toujours un grand plaisir à travailler dans ma propre langue.

     

    Est-il du même ordre que celui que vous éprouvez à diriger un orchestre français dans un opéra français ?

    La plupart des orchestres ont perdu leur identité sonore et sont maintenant capables de jouer tous les styles en se référant à d’autres formations qu’ils peuvent écouter facilement. Les orchestres français ont su conserver leur identité, leur clarté, leur légèreté, et ce désir de proposer une approche imaginative et originale. L’excentricité profite à Ravel. Les Anglais, les Américains et les Allemands restent dans le cadre de leur expérience, qui est de plus en plus étendue, et donc standardisée, alors que les Français peuvent tout jouer, mais dans leur propre style.

     

    Vous avez dirigé l’Affaire Makropoulos, le Roi Roger, Macbeth et Lulu dans des mises en scène de Krzysztof Warlikowski. Cette collaboration vous nourrit-elle en tant que musicien ?

    Un chef vit sa vie avec ses compositeurs et ses orchestres. Que ce soit dans le répertoire lyrique ou symphonique, je suis immergé dans un univers musical. Collaborer avec des personnes qui enrichissent notre vie, qu’il s’agisse de solistes, de musiciens d’orchestre, de metteurs en scène ou d’intellectuels, est un fantastique privilège.

    La première fois que j’ai travaillé avec Krzysztof, sur la reprise de l’Affaire Makropoulos à Madrid, je ne saisissais pas d’où provenait la substance de son imagination. J’essayais de rétablir des liens tout à fait logiques pour lui, qui donne souvent l’impression d’être ailleurs. C’est une relation très particulière, à travers laquelle je cherche à trouver un moyen pour que le compositeur et Krzysztof, qui sont l’un et l’autre dans un processus de création, se rejoignent.

    J’aime la tension qu’il fait naître, tantôt avec, tantôt contre la musique, et qui s’avère totalement positive – alors même que des productions ordinaires, très respectueuses de la musique peuvent produire une énergie négative. Beaucoup pensent que les metteurs en scène sont une maladie moderne, et ne comprennent rien à la musique, mais ce n’est pas le cas. Depuis le XIXe siècle et ses tentatives de réunir opéra et drame, on se demande comment les aimants vont s’assembler, s’ils vont s’attirer ou se repousser.

     

    Quels sont vos projets avec l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine, dont vous serez le directeur artistique et musical à compter de septembre 2013 ?

    J’ai pu mesurer la fertilité du jeu de ses musiciens, et nous chercherons à explorer de nouvelles voies pour ne jamais nous répéter. C’est une formation à l’emploi du temps très chargé, qui joue à la fois le répertoire symphonique, lyrique et chorégraphique. L’inauguration ce mois-ci du nouvel auditorium est une chance, et le Grand-Théâtre de Bordeaux est un des plus beaux d’Europe.

    Pour le moment, je préfère me concentrer sur le West Australian Symphony Orchestra, dont je quitterai la direction en décembre 2013, et le Real Filharmonia de Galicia, où je viens d’entrer en fonction – j’aurai ainsi trois orchestres entre septembre et décembre 2013 ! C’est un grand défi et une immense responsabilité. Mais je ne peux me développer que grâce à la richesse de toutes ces personnalités.

    Je ne me repose pas sur la tradition, je veux au contraire la réinventer, et explorer toutes les façons de jouer la même musique. Il est possible, bien sûr, de toujours prendre le même chemin pour aller de chez soi à son travail, mais je préfère m’en écarter. Qui plus est à une époque où notre horizon ne cesse de s’élargir.




    À voir :
    Der Zwerg d’Alexander von Zemlinsky et l’Enfant et les sortilèges de Maurice Ravel, direction : Paul Daniel, mise en scène : Richard Jones et Anthony McDonald, Palais Garnier, du 23 janvier au 13 janvier.

     

    Le 21/01/2013
    Mehdi MAHDAVI


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