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ENTRETIENS 23 avril 2024

Xavier Sabata,
serial contre-ténor

© Beetroot Design Group

Cultivé par William Christie dans son Jardin des Voix, l’alto viril mais constamment sur le fil de la fragilité de Xavier Sabata rompt assurément avec l’image angélique des contre-ténors. Pas étonnant qu’il ait choisi d’apparaître sous les sombres traits de méchants haendéliens dans son premier disque en solo paru chez Aparté.
 

Le 08/02/2013
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



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  • Qu’est-ce qui vous a attirĂ© chez ces mauvais garçons haendĂ©liens ?

    Il est beaucoup plus amusant de jouer les méchants que les héros. Parce que la profondeur, la variété d’émotion qu’ils offrent est bien plus évidente. Cette dimension théâtrale m’attire beaucoup. En passant de la colère à la mélancolie, ces airs démontrent l’humanité de ces personnages, sans jamais tomber dans la caricature. J’ai décidé de les extraire du contexte de l’opéra, en essayant de trouver un équilibre entre la qualité musicale et l’esprit de chacun de ces morceaux.

    Dans Ariodante, l’arrogance magnifique de Polinesso invite à la subtilité. De même, le choix d’ouvrir le disque avec l’air Vo’ dar pace, où s’exprime l’ambivalence de Tamerlano, est une déclaration d’intention. Nul n’est complètement mauvais. Je cherche toujours leur motivation, en faisant un voyage vers moi-même pour comprendre comment quelqu’un peut en arriver à agir de la sorte. C’est aussi une façon de rendre ces personnages plus crédibles, en établissant une connexion avec des émotions réelles.

     

    N’est-il pas risqué, pour un premier récital discographique, d’apparaître ainsi sous un jour négatif ?

    Certes, mais je ne me caractĂ©rise pas par ma rĂ©serve ! J’aime me donner Ă  100%. Sans doute est-il plus confortable de s’en tenir Ă  une interprĂ©tation musicale plus conservatrice, mais je viens du théâtre, et nous sommes ici pour transmettre des Ă©motions et prendre des risques. Sur scène, il faut ĂŞtre vraiment libre, et essayer de trouver une fragilitĂ© que parfois la vie ne permet pas.

     

    Comment votre parcours vous a-t-il amené à devenir contre-ténor ?

    J’ai emprunté un chemin très organique. Il ne s’agit en rien d’un choix forcé. J’ai toujours entendu de la musique à la maison. À l’âge de huit ou neuf ans, ma mère, qui a une voix de soprano incroyable, m’a demandé si je voulais étudier la musique. J’ai répondu oui, mais j’aurais aussi bien pu dire non. C’était une décision un peu arbitraire.

    À l’école de musique, lorsqu’il s’est agi de choisir un instrument, j’ai simplement désigné celui qui se trouvait être un saxophone. Une fois mes études musicales achevées, je suis allé dans une école de théâtre, puis j’ai travaillé comme comédien. Mais quelque chose me manquait. Parce que j’avais toujours chanté. Et dans le chœur de l’école de musique, ma voix passait sans cesse du registre de poitrine à celui de tête.

    Ce moment coïncidait avec le boom d’Andreas Scholl, et je me suis reconnu dans le mécanisme qu’il utilisait. J’ai donc décidé d’arrêter le théâtre et de retourner au Conservatoire. Et puis tout est allé très vite, puisque j’ai passé l’audition pour le Jardin des Voix de William Christie dès la deuxième année.

     

    Certains professeurs de chant sont réticents à faire travailler le registre de contre-ténor. Comment avez-vous persuadé les vôtres que cette voix était la bonne pour vous ?

    Il faut adorer le répertoire, avoir des facilités techniques, et surtout sentir que ce registre est notre seul moyen de communiquer avec le public. Pendant trois mois, j’ai essayé de construire une voix de baryton, mais j’ai immédiatement senti que quelque chose n’allait pas. Les contre-ténors sont désormais crédibles sur une grande étendue, du soprano au contralto.

     

    Le Gala des quatre contre-ténors, que vous avez donné le 19 juin dernier à Versailles avec Max Emanuel Cencic, Terry Wey et Vince Yi, en est la preuve.

    Nous sommes plus enclins à devenir bons camarades qu’avec des chanteurs d’un autre répertoire. C’est non seulement une manière de partager nos expériences, mais aussi de montrer la diversité de timbre, de technique, et même d’esprit des voix. Sentir que le public apprécie ces différences est très agréable. Car aujourd’hui, chaque contre-ténor a une personnalité vocale qui lui est propre.

     

    Qu’avez-vous appris avec William Christie ?

    Je lui dois tout ! Il m’a tendu la main, m’a fait venir en France. J’ai beaucoup appris du point de vue de la connaissance du répertoire et de la rhétorique. J’ai également pu voir et comprendre le métier, comment fonctionne une mise en scène. Nous avons fait une tournée internationale, et travailler avec les Arts Florissants est une expérience unique. Je suis entré dans le monde de la musique baroque par la grande porte.

     

    Vous sentez-vous plus proche du répertoire du XVIIe ou du XVIIIe siècle ?

    L’évidence théâtrale de la musique du Seicento fait que je m’y sens chez moi. J’aime aussi chanter Haendel, mais je cherche toujours à travailler la virtuosité du point de vue du texte et de l’émotion. La scène n’est pas une classe de chant. Chaque répertoire est différent, et il est inutile d’interpréter Bellini sans une belle ligne de chant. Mais dans Monteverdi, les mots priment.

     

    Et la musique contemporaine ?

    Elle dégage la même énergie théâtrale que la musique du XVIIe siècle. Le livret du Grand Macabre de Ligeti est une vraie pièce de théâtre. Le compositeur voulait d’ailleurs qu’il soit traduit dans la langue des spectateurs. L’analyse, la compréhension du langage et de la rhétorique de cette musique demandent du temps, mais sa mémorisation est très rapide car elle est calquée sur le débit de la parole.

     

    Comment parvenez-vous à ne pas vous laisser dépasser par votre tempérament explosif, particulièrement dans des rôles très exigeants sur le plan vocal ?

    En répétitions, j’ai besoin d’aller très loin, de tester mes limites, avant de chercher un équilibre entre la ligne de chant et l’expression. Parce que de cette limite naît la fragilité. Je sais que beaucoup viennent à l’opéra parce qu’ils ont besoin de magie, mais nous ne devons pas perdre le lien avec la réalité. D’autant que la virtuosité, même celle de la Reine de la Nuit, ne va pas nécessairement à l’encontre de l’expression.

     

    À Versailles, vous étiez au bord des larmes dans Voi che udite il mio lamento, extrait d’Agrippina de Haendel.

    J’ai beaucoup chanté cet air. Mais je ne provoque pas ces larmes. Ottone est au bord du suicide : je ne peux pas chanter nonchalamment. Il faut aller vraiment loin. Techniquement, c’est un tour de force.

     

    Votre expérience d’acteur vous a-t-elle rendu très exigeant envers les metteurs en scène ?

    Certains metteurs en scène arrivent sans connaître l’opéra. J’attends une compréhension profonde du texte, pas seulement une idée esthétique – car tout le monde peut en avoir. C’est d’une œuvre d’art dont il est question !

    Les metteurs en scène ont causé mes plus grandes déceptions dans le monde de l’opéra. Mais tout ce que j’ai fait en France, Il Sant’Alessio, La Didone, était de grande qualité. À l’instar d’une production de La Calisto à Bâle avec un metteur en scène allemand, Jan Bosse.

    Et surtout, j’aime beaucoup travailler avec Calixto Bieito, bien qu’il soit très controversé. Une fois que l’on a bien compris son univers, il donne une grande liberté de création. Dans ses productions du Grand Macabre et d’une pièce de théâtre musical basée sur le Grand Théâtre du Monde de Calderón, j’ai joué au côté de la mezzo-soprano serbe Leandra Overmann, qui est aujourd’hui disparue.

    Elle était déjà très malade, mais l’énergie, la théâtralité avec laquelle elle investissait la scène étaient immenses. L’opéra est un art total, et le metteur en scène en est le démiurge. Un orchestre, des chanteurs aussi magnifiques soient-ils ne suffisent pas s’il n’est pas à la hauteur de l’enjeu.

     

    Un récital discographique ne peut être que le reflet limité de cet art total.

    Le chef d’orchestre Riccardo Minasi et moi nous sommes mis d’accord dès la première répétition. Nous voulions faire un disque théâtral, en déployant une grande variété de couleurs. Certains airs demandent une grande simplicité, mais dans d’autres, qui sont beaucoup plus exposés, j’ai essayé de renoncer à la beauté du son.

    À première lecture, les vocalises en triolets de Polinesso dans Se l’iganno sortisce felice peuvent sembler ridicules. Il s’agit en fait d’un rire démoniaque, et nous avons cherché, sans perdre la vélocité des coloratures, à exprimer cette tension. Face à un micro, il faut être très engagé. Heureusement, nous avons eu le luxe de n’enregistrer qu’une heure par jour, avec la plus grande énergie possible.




    À écouter :

    Bad Guys, airs d’opéras de Haendel, Xavier Sabata, contre-ténor, Il Pomo d’Oro, Riccardo Minasi, violon et direction

     

    Le 08/02/2013
    Mehdi MAHDAVI


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