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ENTRETIENS 19 avril 2024

François Lazarevitch, instruments anciens mais regard neuf
© Jean-Baptiste Millot

Avec son ensemble des Musiciens de Saint-Julien, François Lazarevitch œuvre non seulement à la découverte d’un répertoire et d’instruments anciens, traditionnels et populaires, mais à une approche différente des musiques baroques plus institutionnalisées. Rencontre avec un musicien original, brillant, passionnant.
 

Le 24/02/2013
Propos recueillis par GĂ©rard MANNONI
 



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  • Vous avec un parcours assez inhabituel. Comment s’est-il dĂ©roulĂ© ?

    J’ai commencé la musique vers cinq ou six ans et je voulais être trompettiste. J’adorais les enregistrements pour trompette et orgue de Maurice André. Mais comme j’étais trop petit, on m’a mis à la flûte à bec. Pendant les dix années suivantes, j’ai ainsi appris la musique et le solfège et puis la trompette.

    Vers quinze ans, j’ai décidé d’en faire mon métier. J’ai intégré le CNR de Paris en flûte à bec, tout en allant en classe en horaires aménagés pour préparer le bac. Au collège, j’avais déjà pu m’initier à la musique ancienne en faisant un peu d’orgue dans la chapelle du collège Decour.

    Au CNR, Daniel Brebbia m’a permis de remettre en cause beaucoup de choses sur le plan musical, notamment dans le domaine du phrasé. J’ai découvert grâce à lui ce que l’on pourrait appeler les secrets de la musique ancienne, car il m’a fait entrer en contact avec Antoine Geoffroy-Dechaume, un des pionniers en la matière, puisqu’il était né en 1905.

    J’ai eu la chance de travailler avec lui pendant cinq ou six ans. Ce furent des années très riches à la découverte de tout un univers sonore. Ensuite, J’ai vendu ma trompette et acheté une flûte traversière baroque, tournant décisif dans ma vie musicale. J’allais voir Antoine Geoffroy-Dechaume pour lui jouer de la flûte et il me jouait du clavecin. Je n’ai jamais entendu personne en jouer comme lui.

     

    Comment en ĂŞtes-vous venu Ă  vous tourner vers les musiques traditionnelles ?

    La plupart de mes maîtres s’intéressaient à toutes sortes de musiques. Daniel Brebbia, par exemple, avait fait du jazz et du saxophone, Philippe Allain-Dupré de la flûte irlandaise et pratiqué les musiques traditionnelles dans sa jeunesse, Antoine Geoffroy-Dechaume s’intéressait beaucoup à la danse baroque.

    C’est après avoir passé mon bac que j’ai décidé de m’intéresser de près aux musiques traditionnelles. Je me suis d’abord mis à la flûte irlandaise, instrument propre à la musique irlandaise, avec un jeu assez lié. L’année d’après je me suis mis à la cabrette, cornemuse pratiquée notamment en Auvergne et dans l’Aubrac

    Ma mère est aveyronnaise et cela se rapprochait de mes racines familiales. Et puis la cabrette a récupéré certains attributs de la musette baroque au cours du XIXe siècle, mais avec une technique très différente. C’est la plus intéressante des cornemuses traditionnelles françaises, avec la technique de jeu la plus riche, de belles possibilités d’ornementation, de variations et une tradition forte.

    Je me suis ensuite intéressé alors à la musette baroque et j’ai commencé donner quelques concerts muni de mes diplômes du CNSM de Paris et du Conservatoire de Bruxelles. En 2004, j’ai gagné un concours de cornemuse, ce qui m’a offert une semaine de studio. De fil en aiguille je me suis retrouvé avec un disque à faire.

    Ce fut Danses des bergers, danses des loups chez Alpha, consacré à la musique traditionnelle du centre de la France. Il est sorti en 2005. Les disques se sont ensuite enchaînés, presque une dizaine, avec Les musiciens de Saint-Julien que j’ai fondés cette même année. Ils ont bien marché, avec Diapason d’Or et Choc de Classica notamment.

     

    Vous avez redécouvert toute une approche stylistique de ces musiques.

    J’ai surtout redécouvert la conscience de ce qu’est un langage musical, notion que l’on a un peu perdue de vue, surtout dans le cadre de la musique baroque. Dire que la musique baroque c’est la liberté est une grosse erreur. Dans la musique ancienne, il y a des règles, des techniques qu’il faut acquérir.

    Les interprètes de musique traditionnelle à la rencontre de qui je suis allé incarnent vraiment une rigueur, un style. Il y a notamment toute la notion de cadence qui est ce que la musique doit avoir pour donner envie de danser, rythme, accentuation, phrasé, exactement où il le faut.

    Être en cadence, c’est tout sauf flotter, tout en étant dans la légèreté. C’est pour continuer ce travail personnel que j’ai voulu monter un ensemble, dans l’esprit de recherche de la plupart de mes maîtres, recherche du répertoire et de la façon de le jouer.

     

    Quelle frontière y a-t-il entre musique ancienne et musique traditionnelle ?

    Cette frontière, je l’ai ressentie parfois en proposant à des musiciens de musique traditionnelle de jouer de la musique ancienne. Ce n’était pas évident pour eux. Il leur manquait une vraie formation harmonique. Cela dit, les musiques anciennes sont à l’origine des musiques traditionnelles.

    En fait, il y a d’une part des musiques travaillées et ce que l’on appelle des petits airs. Ce que l’on qualifierait aujourd’hui de populaire est dans la famille des petits airs, destinés à être pratiqués soi-même, à la différence de la musique travaillée, même s’il y a des croisements de répertoire, notamment autour de la danse.

     

    Comment avez-vous formé les Musiciens de Saint-Julien ?

    En réunissant des instrumentistes pour chercher ensemble comment jouer ces répertoires. Il y a une grande variété d’instruments, comme je l’avais moi-même expérimenté assez tôt. L’ensemble est à géométrie variable. Il s’appelle les Musiciens de Saint-Julien en référence à la confrérie des Ménétriers qui a existé de 1321 au XVIIIe siècle.

    Ils étaient danseurs et généralement violonistes. Je me suis tourné vers ce nom pour son lien à la danse, au mouvement et aussi pour sa longévité. Le projet de l’ensemble est plus dans un état d’esprit face à la musique, en rapport avec la rigueur de la danse et l’ornementation.

     

    Quels instruments avez-vous rassemblés ?

    Principalement viole, luth, violon, harpes parfois, un peu de clavecin, vielle à roue, occasionnellement accordéon, piano, différentes sortes de cornemuses et de flûtes, cistre, viole de gambe, guitare, vièle à archet, rebec, bombarde à clef, chalemie, trompette à coulisse, tympanon et percussions.

    Je travaille beaucoup en collaboration avec des facteurs d’instruments. Il faut faire renaître tout un instrumentarium. Nous nous situons un peu en marge de la pratique de la musique ancienne qui est aujourd’hui très institutionnalisée et traitée de manière assez uniforme. Par le biais de musiques un peu moins connues, j’essaie de proposer une façon de jouer différente.

    Nous avons dans cet esprit joué des cantates profanes de Bach et certaines critiques ont souligné cet aspect de notre travail. Il faut communiquer une émotion qui paraisse spontanée mais elle ne peut qu’être le fruit d’un travail approfondi sur le phrasé, l’articulation, le temps fort et le temps faible. Il faut combiner l’extrême rigueur avec un élément de surprise, essayer de retrouver une pratique musicale à travers une sensibilité.

     

    Comment constituez-vous votre répertoire ?

    Le champ des découvertes est encore vaste. Beaucoup de musique est publiée mais pas jouée. Pour notre prochain disque qui va sortir le 12 mars, Je voy le bon tens venir, musique du XIVe siècle, il y a plusieurs pièces qui n’ont jamais été enregistrées.

    Il faut travailler en bibliothèque mais certaines partitions sont éditées dans des recueils. Dans À l’ombre d’un ormeau, certaines brunettes étaient déjà publiées. J’ai envie de continuer à réaliser ces programmes originaux, qui nous sont propres, mais en développant aussi par exemple l’intégrale des sonates de Bach, des œuvres beaucoup plus connues mais avec une certaine recherche du côté de l’interprétation.

    Cela m’a aussi conduit à participer au travail d’autres ensembles comme le Concert d’Astrée ou les Talents lyriques et à collaborer avec des danseuses et chorégraphes comme Marie-Geneviève Massé, Naïk Raviart ou Sarah Berreby, ou encore un metteur en scène comme Vincent Tavernier.

     

    Les titres de vos programmes au concert ou au disque sont en effet originaux. À quoi correspondent-ils ?

    Le programme Je voy le bon tens venir, notre prochain disque, est par exemple construit autour du thème de Robin et Marion avec une alternance de très belles pièces d’amour courtois et de danses d’une force et d’une modernité saisissante. La seconde moitié du XIVe siècle et le début du XVe furent une période d’une intense créativité, avec des compositeurs comme Solage, Guido ou Baude Cordier dont l’art correspond au raffinement de l’époque.

    L’écriture rythmique et le traitement de la polyphonie sont par exemple d’une très grande subtilité. À l’ombre d’un ormeau regroupe des brunettes, des chansons pastorales et des airs de danse du XVIIIe siècle qui sont autant de chemins de traverse du répertoire baroque français, avec des pages de compositeurs comme Charles-Emmanuel Borjon de Scellery, Jean-Baptiste de Bousset, Lully, Jacques-Christophe Naudot, Rameau, John Playford et quelques anonymes.

    Le berger poète traite des danses pastorales françaises du XVIIIe siècle de Montéclair, Hotteterre, Nicolas Chédeville, avec aussi la Sonate pour flûte traversière de Leclair et le Rossignol en amour de Couperin. Un univers très particulier. Dans l’ensemble avec des partenariats et certains festivals, nous donnons pour l’instant une quarantaine de concerts par an.

    Il y a incontestablement du répondant à notre démarche, sans doute souvent de la part de gens qui n’aiment pas s’ennuyer au concert. Personnellement, j’ai horreur de m’ennuyer au concert et je m’efforce d’éviter cela à notre public.




    Entendre les Musiciens de Saint-Julien :
    Sortie du CD Je voy le bon tens venir chez Alpha le 12 mars

    1er mars : Théâtre Claude Debussy de Maison Alfort (Monsieur de Pourceaugnac)
    12 mars : Théâtre du Château d’Eu (Je voy le bon tens venir)
    14 mars : L’Entracte à Sablé (Je voy le bon tens venir)
    15, 16 et 18 mars : Opéra de Rennes (les Festes de l’été)
    12 avril : Opéra de Massy (Monsieur de Pouceaugnac)
    14 avril : les Musicales de Montreuil (1000 ans de cornemuse en France)

     

    Le 24/02/2013
    GĂ©rard MANNONI


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