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ENTRETIENS 25 avril 2024

Peter Sidhom boucle le Ring
© Charles Duprat

Au fil du prologue et des trois journées comme des dernières saisons dont le cycle complet de juin prochain marquera l’aboutissement, Peter Sidhom s’est affirmé comme l’un des piliers du Ring de l’Opéra de Paris. Parce que dans la vision de Günter Krämer, Alberich est celui par qui tout s’achève et (re)commence.
 

Le 12/03/2013
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



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  • Bien qu’il apparaisse de manière de plus en plus Ă©pisodique au fil de la TĂ©tralogie, Alberich est celui sans qui rien ne serait arrivĂ©.

    C’est l’élément déclencheur – et je dis souvent, sur le ton de la plaisanterie naturellement, que si une des Filles du Rhin avait été un peu plus gentille avec lui, elle nous aurait épargné quatorze heures de musique ! Alberich a toujours existé. Et lorsqu’il apparaît, c’est encore un innocent. Peut-être est-ce la première fois qu’il ose monter à la surface pour voir à quoi ressemble le reste du monde. Et il tombe sur ces trois merveilleuses jeunes filles qui le taquinent. Mais il ne s’en rend d’abord pas compte.

    Ce sont finalement les moqueries de la troisième qui lui ouvrent les yeux, non qu’il devienne méchant, mais simplement parce qu’elles ont parlé devant lui du pouvoir de l’or. Ces trois ou quatre minutes sont difficiles à jouer, parce qu’il ne dit rien, et dans ce silence, il prend sa décision : s’il ne peut pas avoir l’amour, alors il aura le pouvoir. Chercher un moyen d’exprimer physiquement ses pensées est très intéressant pour un comédien. Il renonce à l’amour, s’empare de l’or, mais je ne sais pas s’il est déjà sûr de ce qu’il en fera.

    Bien sûr, il forgera l’anneau, avant de le maudire. Mais il n’est pas au centre de l’histoire, qui est celle des dieux, de Wotan surtout, et des promesses qu’il fait et ne tient pas. Du point de vue du Nibelung, c’est d’ailleurs lui le voleur. Il est intéressant qu’Alberich ne réapparaisse que brièvement ensuite. Et même s’il est totalement absent de la Walkyrie, il est beaucoup question de lui, de la guerre entre le Nibelheim et le Walhalla, et de tout ce qu’il fait qu’on ne voit pas sur scène.

    Lorsqu’il revient au deuxième acte de Siegfried, c’est un personnage très triste. Tous, et surtout Wotan sous le chapeau du Wanderer, ont laissé le passé derrière eux ; seul l’avenir compte. Mais Alberich est resté fixé sur cet instant où il a perdu l’anneau. Et il pense qu’en le récupérant, tout ira pour le mieux. C’est tragique.

     

    Dans la troisième scène de l’Or du Rhin, il semble d’ailleurs avoir gardé une part de son innocence, comme si le pouvoir qu’il détenait était trop large pour ses épaules.

    Alberich est orgueilleux, bien sûr, et quand ces personnages de là-haut viennent voir ce qui se passe, il veut leur montrer ce dont il est capable. Il ne s’imagine pas qu’ils sont en train de trouver un moyen de lui arracher l’anneau, et il se fait avoir très facilement, car il n’est pas assez intelligent pour être un vrai tyran.

    J’espère que j’arrive à le rendre sympathique, parce que jouer un personnage uniment méchant n’est pas intéressant. D’autant que tout le monde peut justifier ses propres actions, y compris les plus grands tyrans de l’histoire. Et ils vivent leur chute comme une tragédie personnelle. C’est pourquoi la malédiction de l’anneau a une telle force : chaque personne qui le possède subit un désastre. Mais Alberich ne se rend pas compte que s’il récupérait l’anneau, il serait lui aussi victime de la malédiction.

     

    Son apparence change-t-elle entre l’Or du Rhin et Siegfried ?

    Combien de temps a passé ? Au moins une quarantaine d’années. Il est tapi dans l’obscurité et rumine sa colère. Dans l’Or du Rhin, et particulièrement au troisième tableau, il est dans son royaume, très ouvert, avec des gestes larges, alors que dans Siegfried, il est assis, les épaules fermées. Même si leurs armées se sont battues, c’est la première fois qu’il revoit Wotan depuis qu’il lui a arraché l’anneau, et il libère sa colère. Mais il arrive un certain point où Alberich comprend qu’ils sont tous les deux semblables, car ils ont l’un et l’autre perdu quelque chose d’important. Ce moment est presque émouvant dans la mise en scène. Mais il ne dure pas longtemps, parce que trop d’histoires les sépare.

     

    Et son rapport Ă  Mime ?

    Évidemment, ces deux frères ne se sont jamais bien entendus. Mime a été l’esclave d’Alberich dans l’Or du Rhin, et il croit tenir sa vengeance dans Siegfried. Leur petite scène est presque comique, car ils redeviennent des enfants qui se taquinent et se disent des choses vraiment bêtes. En même temps, Alberich assiste à la mort de Mime et n’éprouve aucune émotion face à la perte de son frère. Car il a non seulement renoncé à l’amour des femmes, mais aussi à l’amour fraternel, et peut-être sans le comprendre.

     

    La scène dans laquelle il apparaît à Hagen dans Crépuscule des dieux est très énigmatique. Est-ce un rêve, la réalité ?

    En principe, cela reste ambigu. Mais dans la production de Günter Krämer, Alberich est présent durant presque tout l’opéra. Il est le gardien de son fils, il lui suggère ce qu’il faut faire, et c’est lui qui guide ses actions. Car Hagen est en fauteuil roulant. Le metteur en scène a pensé à cette solution non pour des raisons dramaturgiques, mais parce que le chanteur qui devait tenir le rôle n’était pas disponible avant la dernière semaine de répétitions. Et qui pouvait pousser le fauteuil ? Alberich, bien sûr.

    Une fois cette option adoptée, nous avons pensé qu’ils devaient se parler et prendre les décisions ensemble. La scène où Alberich chante n’est donc pas un rêve, pas exactement une conversation non plus, puisque Hagen est à moitié endormi. Et lorsque celui-ci tue Siegfried, son père est toujours présent. De même qu’à la fin, ce qui a déçu beaucoup de spectateurs. Alberich est donc le premier et le dernier personnage qu’on voit sur scène.

     

    Ce rĂ´le est-il difficile Ă  chanter ?

    Il l’est pour deux raisons. D’une part, il faut projeter les mots sans perdre la ligne vocale. D’autre part, et plus particulièrement dans l’Or du Rhin, Alberich est présent sur scène pendant une heure où il ne cesse presque jamais de chanter. Grâce à Philippe Jordan et à son approche quasiment chambriste de l’orchestre, mais aussi du fait que toute l’action se déroule à l’avant-scène, il est vraiment possible de chuchoter en sachant qu’on va se faire entendre. C’est d’autant plus important que je dois garder des forces pour la malédiction. Mais ce rôle exige plutôt un comédien qui chante qu’un chanteur qui joue la comédie. Et c’est là sa principale difficulté.

     

    La mise en scène de Günter Krämer a été très contestée. L’accueil du public et de la critique a-t-il eu une influence sur l’ambiance de travail d’une journée à l’autre de cette Tétralogie ?

    Dans notre métier, nous ne pouvons pas toujours faire exactement ce que nous voulons. Nous dépendons du chef et du metteur en scène, mais nous ne sommes pas pour autant des marionnettes. À un certain niveau, nous espérons toujours avoir un dialogue pendant les répétitions. Le metteur en scène a des idées, nous avons les nôtres, et nous les échangeons. Nous ne sommes pas toujours d’accord, mais il arrive un certain point où nous avons confiance en ce que le metteur en scène propose. Car si nous n’y croyons pas, il est difficile de convaincre le public de croire à son tour à ce que nous sommes en train de faire.

    Nous sommes conscients des aspects qui seront controversés, mais une fois sur scène, nous devons jouer avec conviction. Dans l’Or du Rhin, il était évident qu’il faudrait faire des modifications par souci de cohérence une fois le cycle achevé. En ce qui concerne Crépuscule des dieux, Günter Krämer s’est certainement rendu compte de ce qui ne fonctionnait pas, mais il ne changera sans doute pas grand-chose. Le mur vidéo, qui a été l’un des aspects les plus contestés de sa mise en scène, sera toujours là, car l’idée de base demeure.

    Le Ring n’avait pas été représenté à l’Opéra de Paris depuis plus de cinquante ans. Il n’est donc pas étonnant que certaines personnes aient été déçues. Mais si vous leur demandez ce qu’elles ont envie de voir, je suis sûr qu’elles seront incapables de répondre. C’est la septième production à laquelle je participe en une vingtaine d’années, et pas une seule n’a fait l’unanimité auprès du public et de la critique. Même la mise en scène de Patrice Chéreau, dont tout le monde parle aujourd’hui avec révérence, a été détestée à l’époque de sa création.

    Mais s’il est une chose que je déteste, c’est de lire qu’on a jeté n’importe quoi sur scène sans y réfléchir. Car nous passons des semaines, des mois à répéter, à discuter, après que le metteur en scène a cherché pendant des années des idées nouvelles. Bien sûr, il n’y réussit pas toujours, mais j’aimerais que les spectateurs et la presse se rendent compte du travail que nous fournissons avant de monter sur scène.

     

    Les publics wagnériens sont-ils différents selon les pays ?

    Ils sont tous passionnés ! J’ai découvert au fur et à mesure de mes voyages wagnériens qu’on retrouvait souvent les mêmes personnes, que ce soit à San Francisco, Londres, Paris, ou même en Australie. Et quand on leur plaît, c’est très émouvant, parce qu’on sait qu’on a vraiment atteint notre but. Mais il faut aussi s’habituer aux huées, d’autant qu’elles sont beaucoup plus sonores que les bravi. Même si le public est partagé, nous percevons d’abord le négatif.

     

    Wagner vous manque-t-il lorsque vous chantez d’autres répertoires ?

    Il offre tant de possibilités sur le plan de la comédie. Mais vocalement, je dois faire attention, et particulièrement en cette année de bicentenaire, car après la fin du Ring parisien, je vais reprendre Alberich à Lucerne, puis à Monte-Carlo. J’aurai bien mérité un peu de repos à la fin de 2013.

    Scarpia est le rôle que j’ai le plus souvent chanté. J’aime à le revisiter, surtout après une période wagnérienne, parce que l’opéra italien est bon pour la santé de la voix. Je suis très heureux d’avoir commencé ma carrière avec Mozart, Rossini, Verdi, Puccini, et d’avoir été élevé dans la technique du bel canto et du legato. Parce que la tentation est grande de crier tout le temps dans la musique de Wagner, alors même que le compositeur voulait l’inverse. J’aimerais alterner les répertoires italiens et allemands, mais cette année, on ne m’a proposé que du Wagner. C’est dommage pour moi, car c’est aussi l’anniversaire de Verdi !




    À voir :
    Siegfried de Wagner, direction : Philippe Jordan, mise en scène : Günter Krämer, Opéra Bastille, du 21 mars au 15 avril.
    Götterdämmerung de Wagner, direction : Philippe Jordan, mise en scène : Günter Krämer, Opéra Bastille, du 21 mai au 16 juin.
    Der Ring des Nibelungen de Wagner, direction : Philippe Jordan, mise en scène : Günter Krämer, Opéra Bastille, du 18 au 26 juin.

     

    Le 12/03/2013
    Mehdi MAHDAVI


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