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ENTRETIENS 28 mars 2024

Antoine Tamestit,
alto mes amours

© Éric Larraydieu

Totalement amoureux de son instrument, Antoine Tamestit a pris la relève des plus grands altistes internationaux. A trente ans, ce musicien d’exception, compte parmi les plus illustres solistes mondiaux. Très fusionnel avec son Stradivarius, il parle de la musique et de l’alto en termes aussi intelligents que chaleureux.
 

Le 22/03/2013
Propos recueillis par GĂ©rard MANNONI
 



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  • Beaucoup de pianistes et de violonistes ont des vocations très prĂ©coces. Cela semble a priori peu frĂ©quent chez les altistes. Qu’en est-il pour vous ?

    J’ai en fait commencé par le violon, guidé par mon père qui l’enseignait. J’entendais aussi jouer ma tante, violoniste. Il y avait donc beaucoup de violon dans la famille mais personne ne m’y a poussé. C’était un souhait personnel. J’ai demandé que l’on m’offre des leçons comme cadeau d’anniversaire.

    Tout s’est très bien passé jusqu’à mes dix ans. J’ai alors entendu les suites de Bach pour violoncelle, sans doute par Fournier. La sonorité de l’instrument m’a beaucoup marqué. Elle a provoqué en moi des vibrations bien différentes de celles du violon. J’ai donc demandé à jouer du violoncelle. On m’a prévenu que cela impliquerait un grand changement de technique et mon professeur de violon, également altiste, m’a parlé de l’alto, comme ayant un peu la même technique que le violon et un son se rapprochant de celui du violoncelle. Elle m’en a joué. J’ai été emballé, avec l’impression que cela réunissait les deux instruments que j’aimais.

    Totalement séduit, j’ai même mis des cordes d’alto sur mon violon. Les cordes de do et de sol en particulier vibraient dans tout de mon corps d’une manière si forte que je n’ai plus jamais pu m’en passer. Mon père le regrettait mais j’avais une telle joie à pratiquer cet instrument qu’il s’est fait une raison. Cette joie ne m’a jamais quitté depuis. C’est un instrument complet, riche, avec une sonorité charnelle, très humaine.

     

    Faire une carrière de soliste est-il plus facile à l’alto qu’au violon ?

    Le parcours est différent. On se connaît presque tous, comme dans une petite famille. Mais les organisateurs sont parfois frileux pour programmer de l’alto, et notre répertoire est mal connu. On doit se battre contre ces préjugés, mais si une possibilité nous est donnée, tout le monde est prêt à nous suivre. Notre répertoire est différent de celui du violon mais souvent très original et unique.

    Nous n’avons pas de concerto emblématique comme celui de Tchaïkovski pour les violonistes. C’est beaucoup plus égal. Je joue toutes sortes de concertos de Telemann à Schnittke et ils ont souvent une autre forme, comme Harold en Italie que Berlioz présente comme une Symphonie avec alto principal. Certains compositeurs sont aussi moins connus, ce qui les rend encore plus intéressants à défendre, même si je ne suis pas d’abord un défenseur du répertoire, mais un amoureux de la couleur de l’instrument.

     

    Vous n’avez jamais songé à être musicien d’orchestre ?

    Il m’est difficile de répondre car je ne sais pas d’où vient ma vocation. J’ai suivi une évolution normale, du Conservatoire à un concours qui m’a permis de jouer avec orchestre, ce qui m’a beaucoup plu. Alors j’en ai passé un autre pour rejouer avec orchestre, sans vraie ambition de soliste mais plutôt pour que mon individualité d’instrumentiste soit reconnue, car je sentais avoir beaucoup à dire. Chaque fois que j’allais, encore enfant, au concert, j’étais impressionné par la capacité à galvaniser l’attention que possédait le soliste, avec tant d’autres d’instrumentistes derrière lui. Sans que j’en sois conscient, cela a dû me marquer dès mon plus jeune âge.

     

    Est-ce que l’on naît soliste ?

    Je ne sais pas, mais en ce qui me concerne, j’adore jouer tout seul. J’ai récemment donné un concert en solo salle Gaveau, avec les suites de Bach, et en dehors du trac, inévitable, j’y ai pris un énorme plaisir. Ce n’est pas une question d’égo mais le simple fait d’être là avec le public qui profite du son magnifique de l’instrument. J’ai l’impression de lui parler, d’avoir quelque chose à lui dire.

    C’est peut-être ça être né soliste. D’ailleurs, j’avais seulement onze ans quand un de mes professeurs l’a dit à mes parents… lesquels l’ont gardé pour eux, pour ne pas me perturber ! Quand je suis seul sur scène avec mon alto, j’ai vraiment l’impression d’être à cent pour cent moi-même, sans aucune gêne, sans jouer un rôle, plus libre qu’en m’exprimant par la parole.

     

    La technique est-elle plus difficile que celle du violon ?

    Il y a un problème de position avec l’instrument. L’alto est ce que l’on peut faire de plus grand à mettre sur l’épaule. C’est la limite extrême et de là vient toute la complexité de sa technique. La difficulté de tourner la main, déjà difficile au violon, l’est encore plus à l’alto, car c’est encore plus loin. Les muscles ne sont pas faits pour être tendus de cette manière.

    En outre, la largeur de l’instrument le fait paraître plus lourd. C’est une illusion mais c’est ce que l’on ressent. Si l’on apprend la bonne technique comme me l’a apprise Tabea Zimmerman, on y arrive sans trop d’effort. Après, il faut choisir le bon gabarit d’instrument. Un Gérard Caussé qui est grand peut avoir un instrument plus grand que moi. Je suis dans la moyenne. Chacun doit gérer cet ensemble de données.

     

    La recherche du meilleur son constitue-t-elle un travail astreignant ?

    Ardu mais très intéressant car on a beaucoup de possibilités, d’abord avec les positions de l’achet et ensuite avec la main gauche. On a toutes les surfaces du bout des doigts à utiliser, les possibilités de variation de vibrato et celles de la pression. Un travail infini mais passionnant. J’adore chercher chaque jour des solutions, travail à la fois très abstrait et très concret.

    J’ai la chance d’avoir un Stradivarius qui m’est prêté. Il faut apprendre à partager sa personnalité avec celle de l’instrument. C’est un dialogue. J’ai parfois l’impression qu’il est d’accord avec ma façon de jouer, qu’il l’approuve, qu’il s’y sent bien, ni brimé ni écrasé. Par moments, j’ai aussi l’impression qu’il me propose une couleur à laquelle je n’aurais pas forcément pensé, qu’il m’indique une direction. C’est une grande joie que d’entrer avec lui sur scène, de partager ce moment, d’attendre ce qu’il va me proposer.

    Pour l’enregistrement des suites de Bach, il est arrivé à point pour m’inspirer et m’aider à trouver ma voie dans cette musique. Je savais vers où je voulais aller, mais avec lui, cela prenait du sens. Il y avait ces graves du violoncelle et en même temps une autre clarté, une autre résonnance, un peu cristalline, parfois, car c’est un instrument ancien. Je pense qu’il fait presque la moitié du travail, même si je ne vais pas jusqu’à l’assimiler à un être humain.

     

    Outre Tabea Zimmermann, d’autres maîtres vous ont-ils beaucoup influencé ?

    Certaines rencontres sont effectivement plus signifiantes. Comme Tabea Zimmermann est une très grande soliste de l’alto, son aura, sa présence, m’ont beaucoup marqué. Mais juste avant elle, Jesse Levine, à l’Université de Yale aux États-Unis, a été encore plus un mentor pour moi, un vrai maître avec qui on apprend en plus les choses de la vie, gérer la pression, le public. Aujourd’hui décédé, il était d’une génération plus ancienne.

    Je me suis d’abord un peu opposé à lui. Puis, quand j’ai accepté de prendre tout ce qu’il avait à m’apporter, j’ai vu que cela pouvait me donner accès à toute une culture du son, du vibrato, avec une expression de la main gauche très raffinée, très subtile, très touchante. C’est lui qui m’a donné cet amour du chant, notamment en m’emmenant à des masterclasses de Marilyn Horne. Il m’a fait grandir, m’apprenant beaucoup plus que l’alto. J’y pense très souvent, même si je vis en 2013, si j’ai une trentaine d’années et qu’il était conservateur, même dans son époque.

     

    Une des questions que l’on se pose forcément concerne le répertoire de votre instrument. Quel est-il et comment peut-on l’élargir ?

    Comme beaucoup d’altistes, je touche au répertoire à d’autres instruments. L’important est d’arriver à bien les comprendre, comme la clarinette chez Brahms, ce qui est spécifique à son legato. Quand je me tourne vers les suites pour violoncelle de Bach, je pense que ce n’est pas tellement anachronique. Et puis Bach n’était pas spécialement violoncelliste. Il avait écrit la Cinquième Suite pour le luth avant de la transcrire pour violoncelle.

    Je fais aussi la transcription des concertos pour clarinette de Mozart car il a existé aussi une version pour alto dès le tout début du XIXe siècle, même attribuée un moment à Beethoven. On ne sent jamais l’arrangement ni la transcription, on reste dans le monde de la clarinette. En revanche, je ne toucherai pas au concerto pour violon de Sibelius.

    Je choisis aussi des œuvres connues qui peuvent être entendues d’une manière nouvelle jouées à l’alto. La chaconne de Bach, déjà d’une couleur assez sombre, m’a semblé gagner encore à être jouée une quinte en dessous, avec un instrument encore plus chaleureux. Les œuvres que je défends le plus de par le monde sont néanmoins nos concertos, Telemann, Mozart, Berlioz, Bartók, Schnittke, Penderecki, beaucoup dans le XXe siècle.

    En ce moment, je me concentre sur l’œuvre d’Hindemith dont je vais essayer d’enregistrer une sorte de best of pour alto. L’an prochain, je compte m’intéresser également à la musique anglaise. Il y a eu de grands altistes anglais et donc beaucoup de compositeurs qui ont écrit pour eux. Et puis, il reste toute la musique de chambre que je pratique notamment avec mon trio à cordes. En ce domaine, le répertoire est vaste, passionnant, très varié. Entre violon et violoncelle, l’alto peut y prendre pleinement sa place et affirmer sa vraie personnalité.




    Antoine Tamestit joue en concert de musique de chambre le 27 mars à l’Auditorium du Musée du Louvre

     

    Le 22/03/2013
    GĂ©rard MANNONI


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